19 avril 2023
Réhabilitation d'une friche industrielle
Arnaud Bouissou - TERRA
A l’heure de la mise en place des décrets d’application de la loi Climat Résilience et du principe du Zéro Artificialisation Nette dans les politiques d’aménagement du territoire, une centaine d’acteurs locaux ont participé le 21 mars dernier à une rencontre régionale de l’aménagement organisée par le Cerema, la Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement des Hauts de France et le Centre de Valorisation des Ressources Humaines dans l’amphithéâtre de l’espace Dewailly à Amiens pour échanger et partager les outils et les expériences sur le thème du repérage et de la revitalisation des friches.

En lien avec la DREAL Hauts de France qui a introduit cette journée par l’intermédiaire de Lionel Hermange Chef du service ECLAT (énergie, climat, logement, aménagement des territoires), le Cerema avait préparé le programme en axant la matinée sur les outils de repérage, d’appui à la fois financiers et mais aussi d’ingénierie, réservant l’après-midi pour évoquer les aspects plus opérationnels avec notamment la présentation d’expériences de reconversions, l’objectif étant de tenter de balayer l’ensemble de la chaîne d’intervention en matière de revitalisation des friches.

Les friches, les repérer pour agir et mieux articuler les données entre échelle locale et nationale.

Cartofriches, un outil de recensement des friches au niveau national.

Cartofriche

 

L’outil "Cartofriches" est un dispositif conçu pour recenser les friches (industrielles, commerciales, d’habitat…). Elaboré par le Cerema à la demande du ministère de la Transition écologique, son objectif est d'aider les collectivités et l'ensemble des porteurs de projets à localiser et caractériser les friches pour les réutiliser et ainsi réduire l’artificialisation des sols. Plus de 8200 sites y sont aujourd'hui recensés à partir de différentes sources. À ce jour, sur l’ensemble de ces sites identifiés, ce sont presque 3 000 qui sont issus de remontées d’informations des acteurs locaux. L’enjeu est de qualifier et de mettre en cohérence ces données à l’échelle nationale.

C’est en ce sens qu’un standard Friches validé par le Conseil national de l’information géographique (CNIG) a été mis au point pour faciliter cet échange des données. Ce standard est désormais partagé par tous les maîtres d'ouvrage d'inventaires territoriaux de friches aussi bien que par les développeurs de solutions numériques. Il donne de la cohérence, facilite les échanges entre tous les acteurs de l'écosystème, et constitue le format d'intégration des données dans Cartofriches.

L'application fournit une base de données "friches" homogène au niveau national. Les données sont ouvertes et disponibles en téléchargement sur data.gouv.fr, et sont mises à jour régulièrement.

Si le recensement est une photographie à un instant "t" de la situation des friches, n’oublions pas qu’une friche "ça bouge". Martin Bocquet, responsable d’études au Cerema insiste donc sur l’intérêt du rythme de mise à jour et de la qualité des informations remontées des territoires qui constitue  un enjeu majeur pour répondre efficacement à la sphère opérationnelle. Cet enjeu est d’autant plus important qu’il resterait environ 100 000 ha à répertorier.

Grand-amiénois: un inventaire des friches pour connaître, prioriser et agir !

Atlas des friches d'activité - Observatoire de l'Aduga - Carto'ADUGA

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Si le Grand Amiénois a été l’un des premiers acteurs à mettre en place un observatoire de ses friches, et à en prévoir l’intégration en adéquation avec le standard "cartofriches", celui-ci a avant tout été conçu pour permettre de mobiliser le foncier au service des projets.

Nicolas Delbouille et Stéphanie Duffourg, (respectivement directeur d’études et géomaticienne à l’Agence de Développement et d’Urbanisme du Grand Amiénois) présentent cet outil vivant qui prend en compte l’ensemble du cycle de vie des friches. Sur le territoire du Grand Amiénois, 118 sites sont aujourd’hui référencés dans l’observatoire dont la 3éme mise à jour sera achevée cet été.

En termes de méthode, l’ADUGA considère que regarder un site c’est aussi tenir compte de son histoire, de sa valeur culturelle, de sa qualité patrimoniale et de son environnement. Sur cette base, l’outil amiénois se veut un véritable espace de dialogue, auprès des élus qui sont amenés à valider ensemble la priorisation des différents sites identifiés, via un organe de gouvernance spécifique ou encore à l’occasion de la mise en place des PLUi, et de la révision de SCOT. La mobilisation des élus est d’autant plus facilitée que l’Aduga propose également un accompagnement des collectivités qui souhaitent s’engager dans une première approche des projets de reconversion.

Dans l’actualité de cet observatoire, l’arrivée récente de l’EPF sur le département de la Somme, confirme l’intérêt de construire un tel outil dans une véritable démarche de mise en projet et comme support au dialogue entre acteurs.

A l’issue de l’exposé, l’accent est mis sur la nécessité de prendre en compte le facteur temps aussi bien dans l’observation que dans la conception des projets (ce qui renvoi d’emblée à intégrer dans ces derniers la réversibilité des usages) mais aussi sur la fragilité de l’identité culturelle et patrimoniale des sites anciens confrontés à la simple dégradation ou à la démolition dans le cadre des reconversions.

Enclencher une dynamique, lever les verrous : un accompagnement gratuit via urbanvitaliz

Il est fréquent qu’une collectivité se sente démunie face à un verrou l’empêchant d’envisager un projet sur une friche, ne sachant comment engager la réflexion ou lui faire franchir une étape face à un obstacle jugé insurmontable. UrbanVitaliz, c’est un service numérique public et gratuit qui permet d’orienter ces collectivités vers les acteurs, dispositifs et étapes qui sont susceptibles de débloquer la situation. L’équipe d’Urbanvitaliz  accompagnée de différents partenaires locaux comme les DDT, les CAUE, les EPF, les agences d’urbanisme  aiguillent  et  accompagnent les différentes démarches grâce à un parcours de suivi du site où les informations, expertises, conseils sont capitalisées.

Perrine Rutkowski, qui pilote le service UrbanVitaliz présente cet outil  certes numérique mais à considérer avant tout comme humain, puisqu’une équipe d’experts est déployée au service des acteurs publics locaux pour combler d’éventuels déficits d’ingénierie et permettre l’émergence des projets dans les territoires.

 

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250 sites répartis dans toute la France, dont 75 % dans les communes de moins de 5 000  habitants bénéficient de ce parcours d’aide et de conseil. Ce service connaît un fort engouement puisqu’il accueille 10 à 15 sites supplémentaires par mois.

La sollicitation rapide et facile se fait en ligne via un formulaire simple.

Le site est aussi une mine d’informations puisqu’il répertorie les différentes ressources qui sont collectées au gré des projets. Ces informations peuvent aussi être exploitées par les collectivités sans pour autant s’inscrire dans un parcours de suivi Urbanivitaliz.

 

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friches@beta.gouv.fr

Passer à l’opérationnel : Des moyens et des experts

Bilan du fonds friches plan de relance et pérennisation de la mesure dans le cadre du fonds vert :


Fonds vertLe fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, aussi appelé « Fonds vert », va aider les collectivités à renforcer leur performance environnementale, adapter leur territoire au changement climatique et améliorer leur cadre de vie. Annoncé le 27 août dernier par la première ministre Elisabeth Borne, il est doté de 2 milliards d'euros de crédits déconcentrés aux préfets pour le financement des projets présentés par les collectivités territoriales et leurs partenaires publics ou privés. Le recyclage des friches est une mesure de l’axe 3 de ce fonds et permet d’éviter la consommation des espaces agricoles, naturels et forestiers. Le Fonds vert vient compléter et pérenniser le fonds friches déployé dans le cadre de France Relance pour soutenir les collectivités qui a connu 3 éditions depuis 2020.

Cette première mesure issue du plan de relance a contribué à la réalisation de 107 projets conventionnés (sur plus de 200 dossiers déposés aux 3 éditions) pour un total de 76,5 M€ sur l’ensemble de la région Hauts-de-France. Ces projets vont ainsi permettre le recyclage de 242 ha de friches (3 000 ha au niveau national), soit la création :

  • d’environ 8000 logements (500 000 m²) dont environ 4800 logements sociaux (300 000 m²)
  • de 360 000 m² de surfaces économiques                                                                                                   

Le Fonds vert permet de financer

  • des études pré-opérationnelles,
  • des acquisitions foncières,
  • des travaux de démolition ou déconstruction,
  • de dépollution,
  • de réhabilitation de bâtiment,
  • de restauration écologique des sols, notamment aux fins de renaturation. Le financement de ce poste de dépense constitue d’ailleurs une nouveauté par rapport au Fonds friches.

  • d’aménagements relatifs à l’action de recyclage d’une friche (y compris pour une friche ICPE, industrielle ou minière) de sorte de combler tout ou partie du déficit constaté.

     

Les différents critères d‘éligibilité, le calendrier d’instruction et les modalités de dépôt de dossiers ont été détaillés par la DREAL, qui a encouragé tous les potentiels porteurs de projet dans cette démarche.

Aux questions de l’assistance notamment sur le point précis de l’éligibilité des porteurs de projets privés, Céline Zimmer de la DREAL  et Caroline Descamps de la DDTM80 ont pu orienter le public concerné vers la plateforme dédiée et les différents correspondants locaux d’une part et rappeler l’intérêt du site "aides territoires" qui répertorie l’ensemble des financements possibles d’autre part. Avant tout dépôt, un entretien préalable obligatoire est à prévoir avec le correspondant fonds friches en Direction Départementale des Territoires ou l'ADEME pour les anciens sites ICPE/miniers, pour vérifier l’adéquation du projet avec le périmètre de la mesure.

Les participants ont débattu de ce dispositif, primordial et facilitateur mais aussi parfois frustrant du fait d’un calendrier contraint, jugé parfois peu adapté en termes de calendrier au temps long de maturation des projets.

Contacts

L’EPF Hauts-de-France, facilitateur des projets de recyclage des espaces dégradés, présentation générale et focus sur la renaturation.

 

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Œuvrant depuis une trentaine d’années pour le recyclage des friches, l’Etablissement Public Foncier Hauts de France voit son rôle renforcé avec les nouveaux objectifs de sobriété foncière. Comment faire en sorte qu’une friche passe de "problème" à "opportunité" ? Comment faire en sorte que la contrainte friche soit désormais perçue comme une véritable richesse patrimoniale ?

Voilà les questions auxquelles tente de répondre l’établissement. Acteur incontournable pour traiter les friches, gérer les risques, répondre aux besoins en logements et de développement économique, l’EPF  adapte son intervention au plus près de la démarche, de la nature et du rythme du projet engagé par le porteur. L’EPF propose aussi un accompagnement financier avec des participations financières importantes aux études, travaux et aux cessions attachés à un projet de recyclage.

L’EPF intervient désormais sur le périmètre de la Somme, en plus du Nord et du Pas de Calais. Patricia Dubois en charge du développement à l’EPF en réponse à une attente exprimée en amont, présente un focus particulier sur la renaturation illustré avec la présentation de projets variés et de différentes échelles. Il est intéressant de retenir que l’établissement procède à l’ensemencement  systématique de tous les fonciers, ce qui lui permet d’avoir une végétation choisie d’une part et de développer des usages temporaires d’autre part.

Ce retour d’expériences invite à ne plus considérer l’établissement comme dédié uniquement au portage du foncier, mais bien à l’envisager comme acteur incontournable de la préparation de l’aménagement d’un site.

Aux questions posées sur le temps des projets, Patricia Dubois répond que moins de 3 ans pour intervenir c’est compliqué et que certains projets peuvent durer jusqu’à 15 ans. D’où l’importance de réfléchir le projet dans un temps donné pour préparer son aménagement sans pour autant l’obérer, cette démarche ne pouvant se mener qu’avec le portage par les élus.

Deux exemples de revitalisations

ILLUSTRATION 1 : Requalifier un site hospitalier de 12ha au cœur d'une agglomération : "transformer les fonctions hospitalières en lieux attracteurs pour la Métropole Amiénoise, un processus complexe et multi-acteurs».

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Anne Legrand responsable de l’atelier Architecture Urbanisme et Paysage et Romain Perreira responsable de la maîtrise d’ouvrage tous deux à Amiens Métropole, ont présenté  le  projet de restructuration de l’ancien hôpital Nord.

Cette intervention a mis l’accent sur l’importance pour le projet de territoire de connaître et répertorier les sites. Grâce à l’inventaire et à l’outil cartofriches, Amiens métropole a pu mesurer qu’en 2016, 40 friches étaient identifiées pour 113 ha mutables. Et qu’en 2022,  29 friches avaient été reconverties et 73ha recyclés. C’est environ 2 000 logements qui ont pu voir le jour sur les anciennes friches. Connaître permet de mieux évaluer et de gagner en réactivité.

Amiens métropole a  bénéficié de l’extension du périmètre d’intervention de l’EPF et a remporté l’Appel à Manifestation d’Intérêt lancé par la Bibliothèque Nationale de France pour l’accueil de son centre de conservation sur le site de l’ancien CHU Nord. Ce site de 12 hectares doté d’un patrimoine des années 30 remarquable et situé en pleine ville, est en cours de relocalisation au sud de la ville et le délaissement y est progressif depuis 2014. C’est un véritable processus itératif qui est mis en place entre l’EPF pour l’acquisition, le proto aménagement et la gestion temporaire, la SPL Vallée Idéale développement pour l’aménagement urbain en lien avec la maîtrise d’œuvre urbaine désignée en vue de préparer le plus vertueusement possible l’arrivée de ce vaste projet emblématique.

Si la gestion de l’installation de ce projet fort dans un temps long se pose, c’est aussi la manière dont il dialoguera avec son environnement qui sera déterminante à l’avenir. En effet, la gestion de la porosité d’un tel projet et des synergies même informelles qu’il induit ou pas avec les autres dynamiques de la collectivité est soulignée comme un des facteurs de réussite de la "greffe" à intervenir, et ce sur l’aspect spatial, comme du point de vue de la concertation avec les habitants et le monde associatif.

ILLUSTRATION 2 :Quelles conditions pour continuer à produire du logement à l’heure du ZAN ? (URH) Présentation de l’opération "Rives et Nature" à Amiens (AMSOM) ;

 

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Emma Desette Responsable du Pôle Stratégies urbaines & patrimoniales de l’URH présente le livret "Sobriété foncière, 15 opérations remarquables de bailleurs sociaux en Hauts-de-France", édition 2022, qui vient tout juste d’être publié et qui répertorie 15 opérations remarquables en termes de sobriété foncière et qui sont portées par des bailleurs sociaux en Hauts de France.

L’objectif de cette parution est de mettre à l’honneur les savoir-faire des bailleurs qui ont beaucoup évolué ces dernières décennies, en dépassant la seule mission de  "construire".

Les bailleurs sont amenés intervenir sur un panel varié d’opérations et selon une diversité de postures, et sont soumis à des contraintes de plus en plus nombreuses. En allant du petit projet dit "dans la dentelle" jusqu’à des interventions plus conséquentes à l‘échelle d’un fonctionnement urbain, le livret montre aussi que si ces opérations peuvent être inspirantes, elles relèvent beaucoup d’une logique sur-mesure du fait des partenaires à mobiliser et des caractéristiques du site.

 

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A titre d’illustration plus approfondie de cette publication,  Mathieu Kolasiak, Directeur de la Production Immobilière  pour AMSOM Habitat présente le projet RIVES & NATURE situé Quai Chalres Tellier à Amiens.

Ancien office public d’Habitat Bon Marché , AMSOM se veut grâce diverses fusions et réorganisations, un acteur "multi casquette" au service des collectivités. Le projet Rives et Nature s’inscrit dans la continuité du concours Europan 14 : la ville productive, lancé par la ville d’Amiens dans une démarche ambitieuse de renouveler les zones d’activités en friche. Ce sont les contraintes de l’existant, qu’elles soient environnementales, paysagères ou encore liées à la présence d’anciennes activités qui ont guidé la conception et l’organisation urbaine de ces quelques 21 000 m². L’opération a bénéficié du fonds friches, ce qui a permis  de couvrir près de 797 000 Euros de dépenses de revitalisation foncière. Le programme propose un dispositif de BRS (Bail Réél Solidaire) permettant ainsi aux ménages dont les revenus correspondent aux plafonds du PLSA de devenir propriétaires, même dans un marché tendu.

En Conclusion :

Les friches initialement perçues comme de véritables verrues, sont aujourd’hui objets de « désirs » et beaucoup d’outils sont mis à la disposition des acteurs locaux pour parvenir leur reconversion. Face à des difficultés potentiellement très nombreuses (maîtrise foncière, dépollution, conservation du patrimoine...) qui expliquent d’ailleurs pourquoi on a trop eu tendance à privilégier les extensions sur terrain naturel, agricole ou forestier, la levée des freins est encouragée par le contexte réglementaire mais aussi de nouveaux outils. Un regard renouvelé et collectif est sans doute à poser sur ces espaces pour répondre dans le temps long aux enjeux de renaturation, de frugalité, d’économie circulaire, d’usages transitoires et de réversibilité.