18 novembre 2020
Presqu'ile d'Oyster Point à Saint-Martin vue des habitations
Afin de mieux comprendre les stratégies de reconstruction des territoires à la suite de catastrophes naturelles, le Cerema a mené des travaux de recherche sur différents territoires. Depuis 2018, le Cerema coordonne le projet de recherche Relev pour suivre le relèvement en cours de la partie française de l'île de Saint-Martin après le passage de l'ouragan Irma en septembre 2017.
Une équipe interdisciplinaire vient de publier les premiers résultats de ce projet dans la revue Sustainability d’octobre 2020.

Cet article paru en octobre dans la revue Sustainability a été rédigé par des spécialistes du Cerema, du Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire et du Laboratoire de Planétologie et Géodynamique (Université de Nantes), et du laboratoire GEOPS de l’Université Paris-Saclay.

 

Il s'inscrit dans le cadre du projet de recherche RELEV:

 

Quelles stratégies de reconstruction à Saint-Martin?

Maison détruite à Saint Martin
Maison détruite après l'ouragan Irma - J Delgado Cerema

En septembre 2017, les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy dans les Antilles ont été frappées par l’ouragan Irma, qui a causé de très importants dégâts aussi bien sur le plan matériel qu’humain. La plupart de l’île a été touchée et le coût des dommages assurés est estimé à 1,176 milliard d’euros pour la partie française de Saint-Martin .

Le Cerema et l’équipe de recherche du projet Relev ont analysé ce processus de reconstruction 18 mois après la catastrophe en recourant à trois méthodes complémentaires:

  1. Une étude cartographique de l'évolution de la construction et des changements environnementaux majeurs depuis 1947, sur la base de photos aériennes de l’IGN ;
  2. L’analyse de l'évolution de l'organisation des institutions de Saint-Martin (Etat français, collectivités locales autorités) avant et après Irma ;
  3. Une analyse psycho-sociologique des habitants de Saint-Martin pour comprendre comment la population perçoit la reconstruction après Irma.

Une analyse croisée de ces méthodes a été réalisée dans le but de mieux comprendre l'impact historique des ouragans passés sur l’aménagement du territoire, la manière dont les institutions sont réorganisées après une catastrophe majeure, et les perceptions d'un tel événement par les victimes de catastrophes.

Deux missions sur Saint-Martin ont permis la collecte de données sur le terrain. Chaque mission était composée de scientifiques de plusieurs disciplines (géographie, urbanisme, psychologie, sociologie, droit administratif) afin de favoriser les échanges entre disciplines. L’analyse des données recueillies sur le terrain a permis de tirer plusieurs enseignements sur la gestion moyen terme du relèvement post-Irma à Saint-Martin :

 

L'urbanisation dans le temps

Evolution de l'urbanisation à l'anse Marcel
Evolution de l'urbanisation à l'anse Marcel

Une analyse de l'évolution de l'urbanisation a été réalisée à partir de photos aériennes et satellite.

Depuis plus de 70 ans, l'île de Saint-Martin a fortement évolué sur le plan de l'urbanisation, notamment à partir de la fin des années 1980 avec la mise en place d’une série de lois de défiscalisation qui ont favorisé l'investissement économique en Outre-Mer.

En parallèle, le choix de concentrer l'économie de l'île presque exclusivement sur le tourisme a eu des conséquences rapides et fortes sur son urbanisation.

En raison des spécificités de l'aménagement lié au tourisme, le littoral a donc été fortement urbanisé et une situation de fragilité a été créée dans ces zones.

Malgré les nombreux ouragans qui ont frappé Saint-Martin depuis 1960, l'île s'est surtout adaptée aux autres perturbations auxquelles elle a été confrontée, telles que la pression liée à la construction et au tourisme.

 

L'action de l'Etat

L'État français s’était partiellement retiré de la gestion de Saint-Martin suite à son autonomie obtenue en 2007. Suite à l'ouragan Irma, l'État a décidé de renforcer massivement sa présence sur Saint-Martin avec notamment la création d'une structure temporaire d'appui à la reconstruction à court terme (délégation interministérielle à la reconstruction) et d'une unité locale permanente en charge du développement et des risques.

Cependant, la réorganisation des services de l'État français sur Saint-Martin, engagée en même temps que le relèvement post-Irma, et les choix politiques de gestion de l’urgence par la collectivité locale de Saint-Martin ont contribué à un manque de clarté du rôle de chacun des acteurs impliqués dans la gestion de la reconstruction du territoire.

En particulier, l'incapacité à organiser une gestion collégiale de la reconstruction, basée sur une nécessaire concertation avec les élus locaux, les acteurs socio-économiques et les populations de Saint-Martin, a empêché l'identification du leadership indispensable pour porter un projet global de reconstruction.

 

Photos d'un collège après 17 et 24 mois, toujours pas complètement netooyé

 

La perception des habitants

Une partie des habitants de Saint-Martin a bénéficié d'un soutien psychologique pendant la phase d'urgence. Néanmoins, ce travail met en évidence l'absence de prise en charge psychologique à moyen et long terme des habitants sinistrés.

Cette absence de soins contribue probablement au sentiment d'abandon de la population et au développement de troubles psychologiques. Il semble essentiel que les pouvoirs publics réfléchissent à la manière de mieux prendre en compte la nécessité d'un soutien psychosocial à long terme face aux conséquences des catastrophes naturelles.

 

Reconstruction : importance de l'anticipation

La manière dont le relèvement de Saint-Martin a été géré souligne l’importance de planifier et préparer la gestion de la phase de reconstruction en amont des catastrophes, à l’image des pratiques existantes pour la préparation à la gestion de la crise.

Cette étude a permis de mettre en lumière les liens de causalité entre la gouvernance de cette phase de reconstruction, le relèvement psycho-sociologique des sinistrés et l'histoire de l’urbanisation d'une île exposée aux aléas naturels.

L'approche interdisciplinaire initiée dans ce travail sur le thème de la reconstruction post-catastrophe incite à poursuivre à l'avenir ces dynamiques de rapprochement et d'échange entre disciplines, notamment sur des sujets mêlant enjeux environnementaux et sociétaux.

vue de la baie de Marigot
Vue de la baie de Marigot - Cerema

 

Lire l'article (anglais)