18 décembre 2025
Rénovation énergétique d'un bâtiment
Damien Valente - TERRA
En 2023, le Cerema a lancé un appel aux retours d’expériences sur les démarches de commissionnement, qui permettent d’assurer le suivi de l’ensemble des opérations d’efficacité énergétique sur des installations neuves ou en rénovation. L’analyse des réponses a permis au Cerema de dresser un état des lieux des pratiques et de réaliser une boîte à outils pour les gestionnaires de bâtiments.

Le commissionnement est une démarche issue de l’industrie, qui  permet de de garantir la performance de l’euro investi, dans une logique de gestion patrimoniale à long terme. Il s’agit de :

  • Mener à terme une installation neuve afin qu’elle atteigne le niveau des performances contractuelles et créer les conditions pour les maintenir ;
  • Mettre à disposition des clients/des utilisateurs la documentation et les instructions d’utilisation et de maintenance, incluant l’initiation et la formation des intervenants.

En rénovation, on parle de  retro-commissionnement mais la démarche est globalement la même. Cette démarche qualité est conduite sous la responsabilité du maître d’ouvrage, avec la collaboration de l’ensemble des professionnels de la construction (maîtres d’œuvre, entreprises, bureaux de contrôle ...).

 

Une démarche adaptable au besoin et au projet

infographie batiment énergieL’analyse des réponses montre que plusieurs types de commissionnement sont mis en œuvre. En effet, de nombreux domaines techniques peuvent faire l’objet d’une démarche de (retro) commissionnement, de l’isolation de l’enveloppe à la qualité des systèmes de chauffage, ventilation climatisation (CVC) en passant par l’étanchéité à l’air ou encore le pilotage du bâtiment (régulation, GTB, etc.). 

Les démarches de commissionnement peuvent être modulées en fonction des besoins : Pour chaque domaine technique visé par la démarche de Commissionnement , le MOA devra s’interroger sur le niveau de Commissionnement  à lui associer, selon ses objectifs de performance, ses enjeux et son budget. Il peut s’agir d’un Commissionnement  complet avec de nombreuses mesures et vérifications in situ ou, à l’autre bout de la chaine de valeur, d’un Commissionnement  dit “léger” destiné à ne vérifier que le bon fonctionnement des installations à la réception.

Selon les enjeux de l’opération, son enveloppe prévisionnelle de travaux, selon les moyens humains disponibles au sein de la MOA et du budget de ce dernier, le Commissionnement  pourra être porté soit en interne par un agent de la MOA désigné commissionneur sur tout ou partie du périmètre commissionné, soit par un prestataire externe. 

 

Une démarche en interne ou avec un prestaire

Les démarches peuvent être menées en interne ou par un prestataire. Cependant, le Commissionnement  complet requiert des compétences poussées, voire une expertise dans le domaine technique concerné et il est plutôt rare que ce type de Commissionnement  soit porté en interneLe recours au Commissionnement  interne est  essentiellement réservé aux domaines peu techniques et/ou au Commissionnement  léger. Ce portage a l’avantage, notamment pour les opérations de faible montant, de permettre l’économie de cette prestation. En effet, une mission de Commissionnement  réalisée par un prestataire extérieur est évaluée entre 0,5 et 1,5 % de l’opération mais ce ratio monte vite à mesure que diminue l’enveloppe travaux du fait de frais et prestations fixes (analyse documentaire notamment) indépendant de l’enveloppe de l’opération.

Si le commissionnement est piloté en externe, trois options sont possibles :

  • TERRA / Daniel Coutelier

    Le recours à un prestataire extérieur dédié (AMO), permet que le commissionneur fasse partie de l’équipe de MOA et soit ainsi réputé plus impartial que s’il est intégré à un groupement de conception. Ce montage permet également un recrutement très en amont dans le processus de l’opération, permettant au commissionneur d’assister le MOA dès la phase programme dans la définition des objectifs et la rédaction des cahiers des charges. En revanche, le recrutement de ce prestataire doit pouvoir être réalisé via un cahier des charges et un découpage financier suffisamment précis de façon à augmenter l’efficience de la mise en concurrence. 

  • Dans le cadre d’un marché global de performance, le groupement titulaire est engagé contractuellement sur un objectif de performance et réalisera en interne une mission de commissionnement afin de remplir ses objectifs. Il est donc possible de laisser cette mission au groupement sans prendre de prestataire supplémentaire, "côté MOA". En revanche, le commissionneur intégré au groupement pourra se sentir moins libre face au concepteur voire à l‘entreprise de travaux puisqu’il sera lié contractuellement à eux avant de n’être lié au MOA. En effet, on observe que même en marché global de performance, le suivi interne de la qualité des prestations peut ne pas être au rendez-vous. Dans ce contexte, le conseil départemental de Haute Savoie a défini et imposé dans son premier contrat de performance énergétique la mise en œuvre d’une démarche de commissionnement.
  • En cas d’opération classique montée en "ex loi MOP", l’intégration de cette prestation au sein de la mission de MOE, sous forme de mission complémentaire, pourra fonctionner mais sous condition. En effet, une bonne pratique est l’exigence d’une personne physique dédiée au sein de l’équipe de MOE, et en la définition précise dans le cahier des charges de la mission de Commissionnement  en elle-même et une ligne dédiée dans la DGPF, de façon à définir clairement les rôles de chacun. Dans ce cas de figure encore, le commissionneur sera positionné côté MOE et non pas MOA, ce qui pourra dans certains cas entrainer des dysfonctionnements.

 

Des idées reçues et des bénéfices réels

Objectif : assurer la performance prévue contractuellement

Le constat général en Bâtiment est que les performances commandées contractuellement sont rarement au rendez-vous. Les responsabilités des uns et/ou des autres peuvent être difficiles à déterminer :l’entreprise de travaux ? Le MOE qui ne fait pas le suivi de la performance qui n’est qu’une tâche à mener parmi d’autres dans son projet ? Le MOA qui n’a pas su s’entourer des compétences nécessaires ? 

Le besoin d’un suivi fin et assidu de la performance contractualisée est de plus en plus fort dans les opérations de bâtiment afin de garantir l’efficience de l’euro investi et dans l’objectif ultime d’assurer la transition énergétique du parc immobilier, notamment public. Mais le Commissionnement  peine à trouver sa place et semble encore aujourd’hui mal perçu voire inconnu des MOAs. Trop cher au regard de l’enveloppe budgétaire allouée à l’opération, mal défini ou cadré puisque non réglementé, fait doublon avec la mission de MOE voire avec le devoir des entreprises de travaux de réaliser l’ouvrage dans les règles de l’art, etc. 

En réalité, une étude de l’ASHRAE de 2008 montre que le Commissionnement représente en moyenne environ 1% du coût total de l’opération, et bien que les économies financières sont difficiles à chiffrer précisément, il semble aisé d’en évaluer de façon empirique les retombées positives et donc les gains financiers. En effet, une mission de Commissionnement permettra:

  • la vérification en temps réel des études de conception concernant le domaine précis de la performance dans les domaines techniques concernés par la mission, 
  • l’optimisation des matériaux et équipements, 
  • la reprise en temps réel des malfaçons, 
  • la diminution voire disparition des réserves à lever, 
  • un réglage optimal des équipements dès la réception et une prise en main facilitée par les équipes d’exploitation-maintenance et probablement, de fait, de moindres contentieux. 

Le commissionneur sera l’interlocuteur unique concernant la performance de l’ouvrage.

 

Rapport coût/bénéfice :

Selon BUDOCK J. Commissioning, Recommissioning et Retro-commissioning (novembre 2008), le coût du commissionnement représente entre 0,5% et 1,5% du coût de construction, ce qui pèse peu au regard des bénéfices apportés.

Selon l’Agence Qualité Construction, en 2016, les non-qualités représentaient encore un coût annuel de l’ordre de 10 % du chiffre d’affaires du secteur de la construction, qu’elles soient ou non prises en charge par l’assurance construction, et ce, sans compter les nuisances de tous ordres qu’elles occasionnent.

Pour aller plus loin : 

Le Cerema a réalisé avec AQC une boîte à outils disponible sur le site Proréno, pour accompagner les maîtres d’ouvrage dans l’ensemble de la démarche, de la conception à la phase d’exploitation. Elle propose :

  • 7 outils méthodologiques pour la définition, la passation et le suivi d’une mission de commissionnement, avec un tableau de bord excel pour le suivi et un autre pour la segmentation et les niveaux de prestation d’un commissionnement
  • 6 outils techniques pour la réalisation d’une mission de commissionnement : méthode et bonnes pratiques pour le suivi, trame d’analyse fonctionnelle, trame de plan de formation de l’exploitant, liste des études d’exécution et DOE…

 

>> Boîte à outils commissionnement

 

Focus sur 2 retours d'expérience :

Retour d’un cabinet d’ingénierie, Manaslu Ing

Le cabinet d’ingénierie utilise principalement des outils développés en interne : tableurs, algorithmes d’automatisation, logiciels permettant de traiter un projet de A à Z. 

Concernant le volet instrumentation, le développement R&D de MANASLU Ing. porte aussi bien sur la détection automatique de capteurs défectueux que sur la robotisation d’un instrument de mesure de l’éclairement pour les vérifications à la réception. Quant aux tests d’étanchéité à l’air, le cabinet dispose de son propre matériel étalonné par un laboratoire accrédité COFRAC.

Des logiciels externes tels qu’EnergyPlus sont utilisés pour les simulations énergétiques.

En termes de méthodologie, MANASLU Ing. n’utilise pas systématiquement de modèle car tout dépend de l’enjeu : en effet, pas besoin de modèle pour vérifier l’étanchéité à l’air, mais dans le cas d’une salle blanche, un modèle peut s’avérer utile ! Il faut prendre du recul sur les outils disponibles et évaluer leur intérêt/pertinence dans le cadre de la mission. Il n’y a pas de "recette miracle".

Il en va de même de l’utilisation d’outils pratiques tels que la boîte à outils du commissionnement. Avant toute appropriation, il faut avoir compris l’objectif du commissionnement, sans quoi il est difficile de monter en compétence sur le sujet.

Des difficultés peuvent être rencontrées, notamment en termes :

 

De concessions et jeux d’acteurs au détriment de la qualité : 

Une difficulté majeure est de conserver une maîtrise d’ouvrage qui pérennise ses objectifs de performance. Il faut faire en sorte que le MOA ne capitule pas, ne fasse pas de concessions face aux arguments des entreprises. Tout l’enjeu est d’arbitrer sur le risque financier, les délais et la qualité. Malheureusement, les MOA se font souvent leurrer : peu de gens savent vérifier les performances, pourtant tout le monde propose cette mission. Les intérêts des uns des autres et les jeux d’acteurs constituent souvent des freins à la mise en place du commissionnement. Les acteurs du Bâtiment ne sont pas conditionnés pour faire de la qualité.

D’habitude, frein à la bonne mise en œuvre du commissionnement

En Auvergne-Rhône-Alpeson observe une insatisfaction vis-à-vis du travail réalisé par les bureaux d’études (en particulier au niveau de la rédaction des pièces telles que les CCTP). Un manque d’outils pour garantir le résultat et de méthode efficace avec des visites de terrain après l’installation des équipements sont observées chez de nombreux  MOE. La rémunération au pourcentage pose question car elle n’est pas le reflet des moyens mis en œuvre. 

Caractéristiques de l’opération :

  • Maîtrise d’ouvrage : Schneider Electric France – Bouygues Immobilier
  • Type d’opération : construction neuve d’un bâtiment tertiaire de bureaux
  • Type de montage : Recrutement en groupement avec Bouygues Immobilier en phase PRO
  • Surface : 26 000 m²
  • Livraison : 2020
  • Occupant : Schneider Electric
  • Exigences visées : niveau BEPOS, 20 kWh/m²/an sur certains postes définis, 17 kWh/m²/an sur les autres
  • Périmètre du commissionnement : de la phase PRO (conception) à la phase exploitation
Conseils aux maîtres d’ouvrage
  • Il est préférable de confier la mission de commissionnement à un AMO plutôt qu’à un groupement : Après avoir testé les deux postures, MANASLU Ing. s’est résolue à faire de l’AMO pure. En effet, le groupement ne fonctionne pas car le service qualité est perçu au sein de l’équipe comme une gêne voire un obstacle et aucune remise en question n’est alors possible. Dans de telles conditions, il est très compliqué de mener à bien la démarche de commissionnement. Cette mauvaise expérience a conduit MANASLU Ing. à se désengager de la mission en groupement. Pour s’engager sur le résultat, il faut investir dans les moyens de mesures. Or, il est fréquent que les compteurs et les capteurs passent finalement à la trappe pour des raisons économiques dans les Marchés Globaux de Performance (MGP). 
  • La démarche de commissionnement ne se limite pas à une approche documentaire. : Pour s’assurer des performances, des interventions à chaque étape d’une opération sont nécessaires. Cela suppose d’effectuer a minima des simulations dynamiques, un suivi de chantier et un commissionnement de la data.
  • Etre exigeant et se donner les moyens :Beaucoup de consultations sont réalisées par des personnes qui n’ont pas les moyens de vérifier les performances. Il faut être vigilant sur le contrat et les critères de sélection des entreprises. Il faut mettre les moyens pour faire de la qualité, tant du côté maîtrise d’ouvrage que du côté entreprise de travaux.

Enfin, il est essentiel de diffuser les bonnes pratiques aux personnes chargées de conseiller les petits maîtres d’ouvrage (ex : conseillers en énergie, CAUE, etc.). En effet, si l’on souhaite massifier le recours au commissionnement et la montée en qualité des projets, il faut former ces acteurs.

Quand il s’agit de bâtiments de surface inférieure à 3000 m², une réflexion peut être menée sur la pertinence d’un point de vue budgétaire de recourir à un commissionnement interne ou faire reposer la mission sur des conseillers extérieurs.

Retour d'un Maître d'Ouvrage : Département de la  Gironde

Crédit : Département de la Gironde

La Qualité de l'Air Intérieur (QAI) constitue un enjeu crucial pour les bâtiments modernes, et la démarche de commissionnement est un levier efficace pour atteindre ces objectifs et a été mise en oeuvre sur un projet de construction d'un collège à Bordeaux Lac, sur 9000m², pouvant accueillir 700 élèves. Dès la phase conception, le Commissionnement s'est axé sur des objectifs ambitieux, notamment une certification E+C- de niveau E3C2, dépassant ainsi les normes réglementaires en vigueur.

Le projet a été réceptionné en août 2022, et la mission de commissionnement se poursuivait pour une durée de 2 ans en exploitation. Malgré une qualité d'air intérieure satisfaisante dans les salles de classe lors de la réception des bâtiments, des ajustements sont encore nécessaires concernant la régulation de la ventilation, signalant ainsi la nécessité d'actions correctives en cours.

Le maître d'ouvrage a opté pour un montage de type Marché Global de Performance, se confrontant à la contrainte impérative de respecter la date limite de livraison, condition sine qua non pour la rentrée scolaire. Ce choix de commissionnement découle d'une expérience antérieure où des locaux de bureaux avaient présenté des problèmes de ventilation et de qualité de l'air. Ainsi, le département a engagé cette démarche sur plusieurs projets, incluant deux collèges neufs, la réhabilitation d'un bâtiment de bureaux et la construction d'un pôle territorial social.

Le commissionnement a été réalisé conjointement par le Cerema et l'entreprise spécialisée GREEASE, utilisant des capteurs de qualité d'air et du matériel de mesure de débits de ventilation adaptés aux besoins du projet. Cette initiative a porté ses fruits, révélant une qualité d'air satisfaisante à la réception des travaux et en usage normal, pourvu que la ventilation fonctionne correctement. Les retombées positives ne se limitent pas à ce seul aspect technique : l'ensemble des acteurs du projet a bénéficié d'un renforcement de compétences en QAI, une expertise applicable à de futures opérations.

Néanmoins, cette démarche n'a pas été exempte de défis. Les phases de programmation et conception sont très importantes pour déterminer les exigences de moyens et de résultats, tandis que le suivi de chantier requiert une présence constante. Enfin, la réception des travaux et l'année de parfait achèvement sont cruciales pour identifier les réserves et corriger les éventuelles erreurs.

Ces expériences soulignent ainsi l'importance d'une approche proactive, dès les prémices du projet, pour garantir des résultats satisfaisants en matière de commissionnement pour la qualité de l'air intérieur.