13 février 2018
Table ronde du séminaire TAUH
Les 25 et 26 janvier 2018, la communauté métier « Territoires, Aménagement, Urbanisme et Habitat » du Cerema organisait un séminaire dédié au foncier : une table ronde destinée à comprendre les évolutions et enjeux autour du foncier, mais aussi un Bar Camp et des ateliers, ont permis de faire le point sur les compétences transversales et le positionnement du Cerema.

Ces rencontres biennales des métiers liés à l’aménagement, à l’urbanisme et à l’habitat réunissent les agents du Cerema qui travaillent sur ces questions. L’un des objectifs de ce séminaire était de recueillir les expériences d’intervenants extérieurs spécialisés dans les questions foncières, qui ont échangé au cours d’une table ronde portant sur les problématiques nouvelles et les besoins des différents acteurs du foncier.

La table ronde avait pour grand témoin Dominique Figeat, présent en tant qu’ancien président de l’Observatoire Régional sur le Foncier d’Ile-de-France et auteur du « Programme d’actions en faveur de la mobilisation du foncier et de la relance de l’aménagement opérationnel ». La table ronde a été introduite par Sonia Guelton, professeur à l’Ecole d’Urbanisme de Paris (EUP).

Carole Contamine, directrice générale de l’Etablissement Public Foncier de Bretagne, Xavier Robergeau, directeur de Lotissam, primé aux trophées de l’aménagement, et membre de l’UNAM (Union Nationale des Aménageurs), Catherine Fillion, responsable du département aménagement opérationnel et actions foncières à la Communauté d’Agglomération Cap Atlantique, et Henri-Noël Ruiz, directeur de l’Agence d’Urbanisme de Rennes (Agence d'Urbanisme et de Développement Intercommunal de l'Agglomération Rennaise- AUDIAR), ont apporté leur contribution aux débats, en apportant leur point de vue de professionnels, sur les grands enjeux dans le domaine du foncier.

 

Quels sont les enjeux autour du foncier et de l’aménagement ?

Sonia GueltonSonia Guelton professeur à l’Ecole d’Urbanisme de Paris (EUP), a détaillé les grands enjeux sur le foncier. Elle a d’abord rappelé que le foncier est un support, en prise avec les différentes politiques publiques. Le foncier se retrouve à toutes les étapes de l’aménagement, depuis la conception d’une stratégie jusqu’à l’exploitation et à son usage par la population et les entreprises. Il met en jeu de nombreux agents, aussi bien publics que privés, et mobilise différents volets des politiques publiques.

Ces sujets restent aujourd’hui des préoccupations fortes dans des contextes différents qui ont ainsi mis ces problématiques sous tension :

  • Le manque de foncier est important au regard des besoins de la population : il faut créer du logement sur des sites déjà occupés qu’il faut réaménager, et la reconversion du foncier reste un sujet complexe notamment en raison de l’état des sites à réaménager.
  • La rétention souvent spéculative du foncier qui a pris de l’importance avec la hausse des prix (ceux de l’immobilier ancien ont été multipliés par 2,5 depuis les années 90) et l’arrivée de nouveaux comportements de propriétaires-investisseurs. La montée d’enjeux financiers se heurte aux enjeux opérationnels de la construction.
  • La récupération de la plus-value liée à l’urbanisation. Aujourd’hui la plus-value issue des opérations d’aménagement est récupérée par les propriétaires qui vendent les terrains, alors que l’aménagement est réalisé par des structures publiques. La question est de savoir comment récupérer cette plus-value.
  • La préservation des terres agricoles et naturelles reste un enjeu fort

A partir de ces constats, plusieurs problématiques ont servi de fil conducteur à la suite de la table ronde :

  • Comment concilier les différents outils et les objectifs publics, quelles sont les priorités, quelle coordination mettre en oeuvre ?
  • Comment maîtriser les coûts fonciers dans le temps pour ne pas freiner ou bloquer le processus d’aménagement ?
  • Envisager le foncier comme moyen de coordonner les politiques publiques, pas seulement comme un outil d’aménagement. Cela implique de s’interroger sur l’évolution des politiques publiques. Il faut inverser le regard : au lieu de voir le foncier comme l’outil d’une stratégie d’aménagement, ne faut-il pas se poser la question de la construction ou de la modification des politiques publiques en fonction de la situation du foncier ?

 

Quelle perception du foncier par les différents acteurs ?

La première séquence de la table ronde a porté sur la manière dont les différents intervenants perçoivent le foncier.

Henri-Noël RuizHenri-Noël Ruiz, directeur de l’Agence d’Urbanisme de Rennes, où il existe une forte pression foncière en raison de la croissance démographique, a rappelé les grands objectifs de la métropole en matière de foncier :

  • Préserver les terres agricoles en périphérie de la ville, qui ont une forte valeur agronomique. L’agriculture représente par ailleurs un important employeur local.
  • La Métropole de Rennes a développé dès les années 80 le concept de ville archipel avec une alternance entre ville et campagne, une ceinture verte (précurseur de la trame Verte et Bleue) qui sépare l’espace urbain de l’espace rural, de manière à limiter l’expansion de la ville.
  • Limiter la consommation foncière et l’extension urbaine en augmentant le nombre de logements : 4.500 logements doivent être construits chaque année à Rennes, avec un objectif de mixité sociale. Cela, alors que l’arrivée de la Ligne Grande Vitesse reliant Paris en 1h27 accroît la pression foncière en centre-ville, même si la politique menée a permis de limiter l’augmentation des prix. Le foncier représente entre un quart et un tiers du prix global des logements.

Par ailleurs, Henri-Noël Ruiz a insisté sur la nécessité de suivre les marchés pour élaborer les référents fonciers, et de suivre la consommation foncière.

A Rennes, la politique de maîtrise des prix a porté ses fruits : le foncier en ville est deux fois moins cher qu’en couronne, et la surface moyenne nécessaire pour un logement est de 150 m², deux fois moins qu’à Rouen.

Pour Carole Contamine, directrice générale de l’Etablissement Public Foncier de Bretagne, Le renouvellement urbain est complexe, en raison de la situation des terrains : friches, commerces vacants, logements vacants, dépollution, désamiantage…

Deux outils pour appuyer les collectivités ont été présentés :

  • les études préopérationnelles pour pré-chiffrer le coût de l’opération et acquérir le foncier au bon prix,
  • la réalisation d’un référentiel foncier, qui permet un regard renouvelé des autorités, des habitants et des autres acteurs, sur la ville. Par exemple dans la ville de Josselin, le référentiel a permis de voir qu’il y avait un potentiel foncier pour trente ans au rythme de croissance actuel de la commune en optimisant l’utilisation des dents creuses, plutôt qu’en étendant les surfaces habitées.

Carole Contamine recommande aussi la mise en œuvre d’une stratégie d’action foncière, avec un plan d’action hiérarchisé, pour orienter l’action publique.

Catherine Fillion, responsable du département aménagement opérationnel et actions foncières à la Communauté d’Agglomérations Cap Atlantique [1],  a évoqué la faiblesse des capacités d’ingénierie sur le territoire de Cap Atlantique : il existe un besoin de hiérarchiser les enjeux et d’agir avec les nombreux partenaires actifs autour de la question foncière.

Un référentiel foncier a été élaboré en 2010 avec les communes de Cap Atlantique, qui a permis d’identifier les gisements fonciers et de protéger les espaces naturels et agricoles. Ce référentiel a servi de support lors des premières négociations avec les acteurs du foncier.

Xavier Robergeau, directeur de Lotissam et membre de l’Union des aménageurs (UNAM, ex SNAL), a évoqué les évolutions récentes du métier d’aménageur, avec notamment le développement de la gamme de logements, les objectifs de mixité à la fois sociale et générationnelle, le travail sur la densité des logements qui évolue avec la réglementation, la nécessité de la concertation avec les collectivités afin d’identifier les besoins, et le travail avec des observatoires afin de connaître et suivre le marché.

Pour Xavier Robergeau, la concertation avec les collectivités est indispensable : les collectivités connaissent leur territoire et leurs besoins, et les aménageurs apportent leur savoir-faire dans le montage des projets. Cette concertation doit intervenir très tôt dans un projet.

 

Quelles évolutions majeures dans les pratiques en matière de foncier ?

La seconde partie de la table ronde a permis d’interroger les différents intervenants sur des évolutions majeures qu’ils ont constatées autour du foncier dans leur pratique quotidienne, et la manière dont ces évolutions ont été prises en compte.

La nécessité de recourir à des partenariats avec des opérateurs privés pour répondre à l’objectif de mixité sociale a été soulignée par Henri-Noël Ruiz, de l’Agence d’Urbanisme de Rennes Métropole.

Carole ContaminePour Carole Contamine, de l’EPF de Bretagne, spécialisé dans les opérations de renouvellement urbain, il est important que les collectivités ne soient pas les seules à supporter les coûts des aménagements, dans le cadre des partenariats public-privé.

Du côté du public, il faut un portage politique fort et une importante ingénierie. Les partenaires publics doivent se coordonner, et les communes ont besoin d’une sécurisation des aides (Fisac, ANRU, ANAH…).

En Bretagne, l’EPF a mis en place une coordination entre quatre partenaires pour assurer un financement sécurisé dans le temps même pour des opérations complexes. Un accompagnement est fourni aux communes. 210 candidatures ont été reçues et 60 projets de renouvellement urbain ont été sélectionnés.

L’objectif pour le public est de cibler les espaces et les actions à mener, pour que les promoteurs puissent agir. La transformation de foncier en secteur urbain peu tendu ne génère pas de valeur mais a un coût.

Xavier Robergeau de Lotissam, a évoqué le cas de l’agglomération nantaise, où lors des opérations de renouvellement urbain, le coût moyen pour des maisons avec des terrains est de 2.200 à 2.400 euros le mètre carré. On trouve des T1, des T2, quelques T3 mais pas de logements plus grands, capables d’accueillir des familles. Les ménages avec des enfants doivent donc se loger hors de la ville. La fin des systèmes de défiscalisation dans les espaces ruraux et périurbains peu tendus posent la question de savoir comment ces territoires vont pouvoir se développer. L’intervenant a insisté sur le besoin de continuité de ces dispositifs, qui doivent perdurer. Une analyse partagée par Henri-Noêl Riuz, de l’agence d’urbanisme de Rennes.

Quant au partage du risque entre les différents opérateurs, Xavier Robergeau a insisté sur le fait que chacune des parties doit respecter ses obligations, et que les aménageurs ont bien une obligation de résultat. Aujourd’hui, une mutation s’est opérée qui conduit à changer de méthode. La question du risque dans l’étude et la conception d’une stratégie est centrale. Il faut donc travailler en concertation, car la confiance est importante.

Xavier Robergeau a expliqué que les aménageurs ont différentes possibilités pour mener une opération :

  • Bloquer le foncier à un prix supérieur au concurrent et aller voir la mairie pour lancer l’opération
  • ou rencontrer les élus pour connaître leurs objectifs, voir si cela correspond au marché local, et si l’aménageur est en capacité de réaliser cette opération. Ensuite, les propriétaires sont intégrés à l’opération et on étudie comment valoriser le foncier.

La seconde option est bien évidemment plus constructive que la première. On reste ainsi dans un rapport gagnant-gagnant.

 

Quels besoins d’accompagnement des acteurs locaux ?

Dominique FigeatEnfin, la table ronde s’est conclue par l’expression des besoins des intervenants en matière d’accompagnement dans la conception et la mise en œuvre de leurs opérations d’aménagement. Le besoin d’expertise a été souligné par Carole Contamine, qui a rappelé « la nécessité de décrypter la chaîne de production pour le renouvellement urbain » pour mener des opérations dans des zones non tendues, ainsi que le besoin « de retours d’expériences sur différents types de démarches avec des partenaires privés ».

Pour Catherine Fillion, l’une des difficultés pour sa communauté d'agglomération est la mise à jour en continu des données utilisées pour mener les politiques d’aménagement.

Henri-Noël Ruiz a insisté sur le besoin d’harmoniser les méthodes, de consolider les bases de données DVF, d’avoir un acteur qui joue le rôle de coordonnateur des méthodes. L’intervenant a également rappelé l’enjeu de s’intéresser à l’innovation pour le développement urbain. Tous les territoires ne disposent pas d’une ingénierie suffisante.

Dominique Figeat, grand témoin de la table ronde, présent en tant qu’ancien président de l’Observatoire Régional sur le Foncier d’Ile-de-France et auteur du « Programme d’actions en faveur de la mobilisation du foncier et de la relance de l’aménagement opérationnel », a conclu les débats en revenant sur les besoins exprimés.

Il a appelé le Cerema à se positionner sur trois volets stratégiques : une stratégie d’affirmation, une stratégie de communication sur ce qu’il fait, et une stratégie thématique.

Dominique Figeat a ensuite évoqué plusieurs orientations :

  • L’atout que constitue pour le Cerema sa maîtrise de l’observation et de la gestion des données,
  • L’enjeu des applications de la transition numérique dans les domaines de l’aménagement, de l’urbain et du foncier.
  • L’intégration de la transition écologique, qui a un impact sur les politiques foncières.
  • Le rôle que doit jouer le Cerema dans l‘assistance à cette nouvelle gouvernance multi acteurs qui se met en place dans le domaine du foncier et de l’aménagement.

 

Teaser du séminaire sur le foncier

Présentation des enjeux et des pistes d'actions du séminaire de la communauté métier « Territoires, Aménagement, Urbanisme et Habitat » par les spécialistes du Cerema qui l'ont organisé.  Un bilan très positif sur ce séminaire, grâce aux échanges constructifs entre la communauté métier et les intervenants extérieurs venus partager leur vision du foncier. 

Interviews de Dominique Figeat et Sonia Guelton

Interview de Dominique Figeat: bilan de la table ronde

Dominique Figeat, présent en tant qu’ancien président de l’Observatoire Régional sur le Foncier d’Ile-de-France et auteur du " Programme d’actions en faveur de la mobilisation du foncier et de la relance de l’aménagement opérationnel" , formule la conclusion de la table ronde et les pistes d'action pour le Cerema.

 

Interview de Sonia Guelton: quels enjeux sur le foncier?

Sonia Guelton, professeur à l’Ecole d’Urbanisme de Paris (EUP), présente les grands enjeux qui pèsent aujourd'hui sur le foncier, et leur impact sur les politiques publiques.

 

Interview de Carole Contamine : les opérations de renouvellement urbain

Carole Contamine, directrice générale de l’Etablissement Public Foncier de Bretagne, revient sur les opérations de renouvellement urbain, à la suite de table ronde du séminaire Territoires, Aménagement, Urbanisme, Habitat du Cerema.

 

Interview de Henri-Noël Ruiz : le nouveau contexte du foncier dans la métropole de Rennes

Henri-Noël Ruiz, directeur de l’Agence d’Urbanisme de Rennes, évoque les enjeux en matière de foncier dans la Métropole de Rennes et la manière dont les politiques publiques en tiennent compte pour permettre de nouvelles constructions tout en maintenant la qualité de vie.

 

Interview de Xavier Robergeau : quel rôle des aménageurs dans les opérations d'aménagement ?

Xavier Robergeau, directeur de Lotissam, primé aux trophées de l’aménagement, et membre de l’UNAM (Union Nationale des Aménageurs), à propos du rôle des aménageurs dans la transformation des espaces urbains, et la nécessaire coopération entre les acteurs.

 


[1] Communauté d'agglomération de la Presqu'île de Guérande – Atlantique, qui regroupe 15 communes du littoral et 73.000 habitants environ.