1 septembre 2022
oiseaux probablement deux moineaux sur une branche
Arnaud Bouissou - TERRA
La pollution sonore urbaine a un impact non négligeable sur le monde vivant (êtres humains, mais aussi faune et flore), et contribue de manière importante à la crise de la biodiversité qui a déjà lieu : selon l’IPBES (rapport de 2019), un million d’espèces sont menacées d’extinction durant la décennie à venir. Le Cerema propose des solutions transversales et multithématiques pour apaiser les villes en prenant en compte les aspects sociaux et culturels.

Comment réduire les nuisances sonores en ville à la fois pour l'homme et pour la biodiversité? Le Cerema présente les enjeux et leviers d'action en termes d'aménagement.

 

Les sons urbains : des vecteurs de perturbation pour les organismes

Circulation sur une entrée du périphérique à paris
Arnaud Bouissou - TERRA

Les sons anthropiques, c’est-à-dire créés par des activités humaines, sont, lorsque perçus à l’oreille humaine comme désagréables, souvent qualifiés de "pollutions sonores". Du fait de valeurs culturelles et de prédispositions psychologiques, ce sont plutôt les sons naturels de faible intensité qui sont associés à une ambiance sonore apaisante : écoulement de l’eau, bruissement des feuilles, chant des oiseaux….

Dans le paysage sonore [1] des villes, prédominent des sons liés aux transports et aux travaux. Ces derniers sont relativement forts, constants dans la journée, et perçus comme désagréables. Ils impactent notre santé, autant qu’ils impactent la santé de la faune urbaine, avec qui nous partageons beaucoup de similitudes concernant l’impact du bruit sur notre santé.

Ainsi les animaux qui évoluent dans ces milieux bruyants partagent avec nous certaines perturbations physiologiques : stress, pathologies et maladies, sommeil dégradé… A cela s’ajoutent des perturbations du comportement importantes, notamment liées à la difficulté de communiquer à certaines fréquences, ou d’entendre des prédateurs, qui entraînent des conséquences néfastes sur la reproduction des animaux (sélection de partenaires de moindre vitalité).

 

 

En présence de bruit, les animaux adoptent trois stratégies pour se faire entendre : chanter plus fort, répéter leur chant et le décaler en tonalité. Ainsi une expérience sur les grillons provençaux [2] a montré que les mâles grillons vivant au bord de l’autoroute modulaient le rythme de leurs stridulations en fonction du bruit. Plus les grillons vivaient loin d’une autoroute, plus ils diminuaient le rythme de leur chant.

La flore pourrait aussi être impactée par un niveau sonore élevé en ville : certaines plantes percevraient les sons, en témoigne une étude de l’université de Tel-Aviv [3] sur l’onagre bisannuel, qui produit un nectar plus sucré lorsqu’il est exposé au bruit des bruissements d’ailes de ses pollinisateurs. C’est ainsi un exemple montrant que la pollinisation pourrait être impacté par les sons anthropiques. 

La continuité écologique sonore : la trame blanche 

En complément des trames vertes et bleues qui visent à maintenir et à reconstituer un réseau de milieux aquatiques et terrestres favorable aux espèces animales et végétales, la trame blanche a pour objectif de conserver et restaurer des continuités sonores favorables aux êtres vivants. Des recherches ont lieu actuellement, notamment au Cerema, pour définir un cadre méthodologique afin de faciliter sa mise en application.

Suivant la démarche "One health, une seule santé pour tous"[4] il est essentiel de protéger la santé animale, humaine et des écosystèmes, car il y a une interdépendance forte entre toutes les communautés du vivant. Le Cerema propose donc des stratégies transversales qui permettent d’aborder les nuisances sonores à l’échelle de la diversité des paysages sonores, afin de concevoir des aménagements apaisants pour les êtres vivants.

 

Une animation publique du Cerema sur les paysages sonores et la biodiversité à Lille

Le Cerema a effectué une animation publique samedi 2 avril 2022 pour la ville de Lille sur les paysages sonores urbains et la biodiversité. De nombreuses thématiques développées au Cerema y ont été abordées : la nature en ville, l'impact du bruit sur la faune, la lutte contre le bruit des infrastructures de transport ou encore l'utilisation de la bioacoustique et de l'écoacoustique comme méthode d'évaluation de la diversité biologique des territoires.

La gestion de notre environnement sonore nécessitant une approche multi-thématique (environnementale, sociale, culturelle...), une large place a été consacrée à des écoutes actives de plusieurs minutes permettant de révéler la richesse et la diversité des paysages sonores. L'animation s'est terminée par des exemples d'actions concrètes qu'il est possible de mettre en œuvre au niveau des territoires pour obtenir des paysages sonores favorables à la fois à la biodiversité et au bien-être des habitants. Cet événement s'inscrivait dans le cadre de LILLE 3000 "UTOPIA", qui s'intéresse aux liens qui unissent l'homme aux vivants.

 

Une approche multithématique et transversale nécessaire

Passage bordé de verdure à Paris centre
Arnaud Bouissou - TERRA

De nombreuses solutions sont envisageables pour réduire l’impact du bruit urbain sur la biodiversité. Il est important de citer toutes les mesures déjà existantes, encadrées par la réglementation, visant à réduire les émissions sonores à la source, ou à les masquer, car elles auront un effet bénéfique pour la biodiversité :

  • La réduction du bruit des transports à la source est un volet des stratégies. Elle inclut le fait de favoriser les mobilités douces, (non motorisées), d’agir sur les types de véhicules, la vitesse, la conduite, le type de revêtement… 
  • La mise en place de protections à la source (écrans acoustiques ou merlons de terre). Le Cerema accompagne les collectivités qui souhaitent réaliser des cartes de bruit stratégiques sur leur territoire et/ou mettre en place des écrans acoustiques afin de réduire le bruit des infrastructures de transport terrestre.

Avec la règlementation européenne, au-delà des actions de réduction et de maitrise de la pollution sonore, a été introduite la volonté d’identification de zones calmes afin de préserver celles qui le sont voire d’en créer de nouvelles. 

L’aménagement de la ville, en particulier la création de zones calmes, participe grandement à son niveau de pollution sonore. Le Cerema a produit un guide sur le sujet qui propose des solutions aux aménageurs pour prendre en compte le bien-être des habitants, également favorables à la biodiversité.

Toutefois, la prise en compte des bruits qui impactent la biodiversité nécessite d’avoir une approche différente de celle retenue pour l’homme et complémentaire, tant sur les méthodes d’évaluation des nuisances sonores que sur les solutions à mettre en œuvre. En effet, la faune serait davantage sensible au bruit en fonction de leur cycle biologique (reproduction, hibernation, repos…) ou du moment de la journée, les communications sonores des oiseaux étant par exemple prépondérantes à l’aube. La faune sauvage ne sera pas toujours sensible aux mêmes sons que les humains.

Au préalable de toute action, il est important de faire un diagnostic de la situation initiale, basé sur une analyse cartographique, des enregistrements audios, une visite du site… L’aménagement des lieux et les préconisations doivent viser des paysages sonores de qualité, pour les habitats et la biodiversité. Voici quelques exemples de mesures spécifiques qui peuvent être prises après un diagnostic :

  • Végétaliser, notamment les façades car cela contribue à limiter la réverbération des sons et sert de support à la faune sauvage. 
  • Adapter les travaux d’entretien, en particulier des espaces verts en les concentrant sur des périodes les plus courtes possibles, en dehors des périodes les plus sensibles pour les animaux (aube, du 15 avril au 15 juin...). Utiliser des outils les moins bruyants possibles, si possible non motorisés et à défaut plutôt électriques que thermiques.
  • Identifier les sons les plus impactants pour la faune sauvage, par exemple les sons brefs et intenses : portails, plaques d’égouts, panneaux etc.. qui pourraient claquer fréquemment. 
  • Sensibiliser le public à la diversité sonore qui les entoure en les incitant à s’engager vers des paysages sonores de qualité, pour eux et pour la biodiversité!
  • Intégrer l’impact du bruit sur la biodiversité dans la réflexion concernant tout projet d’aménagement urbain.

 

Prendre en compte l'impact du bruit sur la biodiversité dans les démarches existantes

Parc arboré en ville (près de la gare à lyon)Le Cerema comporte quelques équipes spécialisées qui travaillent sur des études ou des projets pour aider les collectivités territoriales à limiter les nuisances sonores impactant la biodiversité. Cet appui peut notamment reposer sur des mesures acoustiques in situ qui aident à objectiver le niveau sonore, identifier les types de nuisances sonores et définit ainsi les solutions envisageables. 

Ces expertises peuvent être réalisées pour un besoin spécifique et ponctuel ou s’intégrer par exemple dans une offre de service :

  • Le Cerema propose une offre de service complète pour la nature en ville et a récemment publié un Essentiel Nature en ville qui résume les enjeux et actions du Cerema sur le sujet.
  • En complément des ressources déjà citées, et dans l’objectif de réduire le bruit par la végétalisation des villes, il est utile d’ajouter l’outil Sésame qui permet de s’engager dans la végétalisation des villes en choisissant des arbres adaptés au climat d’aujourd’hui.

Rendez-vous aux Assises nationales de la qualité de l'environnement sonore :

Le 27 septembre 2022, le Cerema sera présent aux Assises Nationales de la Qualité de l’Environnement sonore à l’Université la Sorbonne pour présenter avec d’autres acteurs les les enjeux des effets du bruit sur l'Homme ou sur la biodiversité.

Plusieurs interventions du Cerema sont prévues dans le cadres des Assises :


[1] Un paysage sonore est composé de l’ensemble des sons d’un environnement à un moment donné

[2] Mario Gallego-Abenza, Nicolas Mathevon, David Wheatcroft, Experience modulates an insect’s response to anthropogenic noise, Behavioral Ecology, Volume 31, Issue 1, January/February 2020, Pages 90–96, https://doi.org/10.1093/beheco/arz159 

[3] Marine Veits, Itzhak Khait, Uri Obolski, Eyal Zinger, Arjan Boonman, Aya Goldshtein, Kfir Saban, Udi Ben-Dor, Paz Estlein, Areej Kabat, Dor Peretz, Ittai Ratzersdorfer, Slava Krylov, Daniel Chamovitz, Yuval Sapir, Yossi Yovel, Lilach Hadany - bioRxiv 507319; doi: https://doi.org/10.1101/507319 

[4] Cette démarche consiste en une approche holistique de la santé, qui lie étroitement santé humaine, animale et végétale. Elle permet notamment d’analyser les risques pandémiques.