Focus sur le concept de nature en ville, les enjeux de perceptions et de définition
Face à l'urgence d'adapter les villes au changement climatique et à la lutte contre l'érosion de la biodiversité, les collectivités sont de plus en plus enclines à se lancer dans d'ambitieux plans de renaturation. Le Cerema engage une réflexion sur le concept de nature en ville, travail qui se veut éclairant pour les acteurs qui s'engagent.
Un contexte de reflexion
Après 2 ans marqués par plusieurs confinements, les citadins sont plus que jamais demandeurs d'un accès aux espaces de nature. Cependant il serait erroné de parler d'un retour de la nature en ville, car celle-ci n'est jamais vraiment disparue mais s'est vu contrainte dans des espaces à la marge ou particulièrement encadrés (jardins nourriciers, nature esthétisée,...). En effet, ville et nature n'ont jamais cessé d'être liées mais les dernières décennies d'étalement urbain ont vu l'artificialisation des sols repousser toujours plus loin les espaces de nature, générant des inégalités d’accès.
C'est dans ce contexte que les collectivités cherchent à développer une nouvelle offre de nature en ville, qui pourrait faire coexister différents besoins citadins (Blanc, 2010) et produirait de multiples bienfaits (Bourdeau-Lepage, 2019). Les services écosystémiques rendus par la nature en ville sont en effet nombreux (EFESE, 2018) : services de régulation (du climat, de la pollution, des inondations,...), services culturels ou récréatifs (éducations, loisirs,...) ou de production (agriculture urbaine).
Les recherches visant à définir et circonscrire le concept de nature en ville se heurtent à plusieurs problématiques, auxquelles les aménageurs peuvent également faire face. En premier lieu, le caractère pluriel de la nature, dépendant de son angle d’analyse et donc des perceptions des acteurs (aménageurs, usagers, chercheurs,…).
C’est pourquoi nous proposons une catégorisation simplifiée des natures en ville (typologie basée sur l’état de la littérature scientifique), c'est à dire une représentation en idéal-typique des perceptions dominantes de la nature par les citadins et des aménagements d’espaces de nature (El Moualy, 2019).
Trois catégories émergent :
Une nature sauvage / spontanée
Elle est le fruit de la perception d’une nature vierge (forêt, cours d’eau sauvage, animaux non domestiques) souvent hors de la ville ou encore une nature échappant au contrôle humain (mauvaises herbes, friches, animaux « nuisibles »,…). Elle nourrit souvent les désirs d'évasion citadine, permettant de se ressourcer et de renouer avec une forme de spiritualité. C'est une nature idéalisée, qui pour les écologues est davantage menacée que prospère.
Une nature entretenue / magnifiée
Elle s’apparente à une nature d’ornement (parterre de fleurs, jardins « à la française », pelouse, fontaine…) dont l’objectif est esthétique et récréatif. La présence de cette nature procure du plaisir aux citadins mais ne répond pas forcément aux besoins des écosystèmes et au développement de la biodiversité.
Une nature aménagée / exploitée
Il s'agit d'une nature dont la société tire des productions ou des services écosystémiques (ferme urbaine, récupération des eaux pluviales, insectes pollinisateurs, îlot de fraîcheur,…). Une nature qui peut parfois renouer avec une forme de "sauvage" mais sur lequel un contrôle écologique est assurée dans le but de promouvoir des solutions d'adaptation fondées sur la nature. Sans modération, c'est également une nature qui est mise sous pression anthropique et poussée dans ses retranchements.
Après la "nature", c'est le terme de « ville » qui est également sujet à débat. Certains chercheurs favorisent alors le terme « d’urbain » (Choay, 1994) pour souligner les enjeux contemporains d’étalement urbain et de périurbanisation, utile pour penser à l’échelle d’un territoire plus vaste (communauté de communes, communauté urbaine ou d’agglomération). D’autres continuent de penser la ville comme un espace concret mais en évolution (métropoles, ville multi-polarisée) pour la différencier d’espaces moins denses et dont les problématiques citadines divergent (Brenner, 2014 et Bisson et al, 2020). Plutôt que de rester figer, l’enjeu est donc de faire émerger une conception dynamique en termes de gradient urbain-rural, pour nuancer l’opposition ville/campagne amenant à s'interroger non plus seulement sur la nature en ville mais sur la ville en nature (Wintz, 2019). C'est à dire sur l'interpénétration de l'urbain et de la nature (trame verte et bleue, continuité et discontinuité, inégalité de présence d'espace de nature selon les quartiers,...) ainsi que sur la dépendance (matérielle, alimentaire, énergétique, etc.) des villes aux espaces naturels extérieurs proches ou lointains. Cette position invite les aménageurs à se pencher sur les grands enjeux contemporains d’adaptation au changement climatique : favoriser le retour de la biodiversité en ville, améliorer l’accès des citadins aux espaces verts, déployer une gestion durable des ressources naturels et une maîtrise des nuisances (air, bruits, lumière,…).
Par ailleurs, cette typologie peut être mise en perspective avec les classifications réalisées dans le cadre des programmes EFESE et EUNIS, proposant une catégorisation des écosystèmes et des habitats de manières à recenser et analyser la place de la nature à différentes échelles. Le programme EFESE présente d'ailleurs l'écosystème urbain (Blanc, 1998) comme champ d'étude des services écosystémiques.
Il faut comprendre cette proposition comme un ensemble de catégories représentative d'un état simplifié des représentations des natures en ville, ainsi les acteurs de l'aménagement (aménageurs ou usagers) peuvent être amenés à ne pas partager le même point de vue sur un type d'espace de nature et de faune, par ailleurs les usagers, citadins, de par des vécus différents, ne sont pas systématiquement alignés sur les mêmes perceptions de la nature en ville.
C'est pourquoi l'un des enjeux majeurs pour les collectivités, concernant la nature en ville, est de penser des espaces en capacités de répondre à différents désirs citadins divers (Bourdeau-Lepage, 2017 et Bourdeau-Lepage, Vidal, 2013) tout en s'assurant les services écosystémiques recherchés.
Nature sauvage et nature aménagée ne sont pas à mettre en opposition au sein d'un projet d'aménagement mais peuvent au contraire coexister à travers des habitats distincts, de même que la diversité naturelle peut exister à l'échelle d'une ville (Arnould et al., 2011 et El Moualy, 2019). C'est le cas par exemple, à Lyon, du parc Blandan où des espaces de prairies sont interdits d'accès et exempts d'entretien alors qu'à côté se trouvent des pelouses accessibles et des espaces récréatifs (sports, jeux).
La création d’un parc induit inévitablement l’élaboration d’un nouveau paysage, qui naît dans la relation des perceptions des usagers et aménageurs au contact de la réalité matérielle de l’espace. C’est pourquoi la nature en ville comme le paysage est définie et conceptualisée d’autant de manières qu’il y a de perceptions et d’usages.
Une offre de service dédiée
Cette offre de service concrétise l'investissement du Cerema dans la compréhension des besoins en nature des collectivités et vise à apporter les outils et les ressources pour les accompagner dans la définition d'une stratégie de nature en ville. Les liens entre environnement et aménagement, au coeur des compétences du Cerema, sont ainsi mises au service des communes et EPCI qui veulent démarrer une démarche innovante de prise en compte de la nature dans leurs politiques.
Pour approfondir les liens nature - ville
Le Cerema a publié une série de 4 fiches thématiques portant sur la nature en ville et les aménagements urbains. Elles permettent un focus sur les Ecoquartiers, les zones humides en milieux urbains, la santé des habitants et des usagers de la ville et les conflits d'usages liés aux milieux humides.
Ressources bibliographiques :
- Arnould, P., Lay, Y.-F. L., Dodane, C., & Méliani, I. (2011). La nature en ville : L’improbable biodiversité. Geographie, economie, societe, 13(1), 45‑68.
- Baylé, N. (2019, mai 3). Les écosystèmes urbains : Une évaluation dans le cadre du programme EFESE. Fondation pour la recherche sur la biodiversité. https://www.fondationbiodiversite.fr/les-ecosystemes-urbains-une-evaluation-dans-le-cadre-du-programme-efese/
- Blanc, N. (1998). 1925-1990 : L’écologie urbaine et le rapport ville-nature. L’Espace géographique, 27(4), 289‑299.
- Bourdeau-Lepage, L., & Vidal, R. (2013). Nature urbaine en débat : À quelle demande sociale répond la nature en ville? Nature et agriculture pour la ville, 17.
- Bourdeau-Lepage, L. (2017). Ville et nature, vers une nouvelle alliance ? In Ruralité, nature et environnement. Entre savoirs et imaginaires. (Erès, p. 359‑374).
- Bourdeau-Lepage, L. (2019). De l’intérêt pour la nature en ville. Revue dEconomie Regionale Urbaine, 5, 893‑911.
- Bisson, B., Charmes, É., Kennedy, L., Pinson, G., & Tallec, J. (2022). 5. La mort de l’urbain et le règne de la (grande) ville ? In F. Adisson, S. Barles, N. Blanc, O. Coutard, L. Frouillou, & F. Rassat (Éds.), Pour la recherche urbaine (p. 107‑123). CNRS Éditions.
- Brenner, N., & Schmid, C. (2014). The ‘Urban Age’ in Question. International Journal of Urban and Regional Research, 38.
- Choay, F. (1994). Le règne de l’urbain et la mort de la ville. La Ville. Art et architecture en Europe. 1870-1993, 26‑35.
- El Moualy, S. (2019). La nature en ville : Comment les pratiques aménagistes s’adaptent en continu : Étude à partir de cinq projets du Grand Ouest [Géographie et aménagement de l’espace, Rennes 2].
- EUNIS - Typologie. (s. d.). INPN. Consulté 25 février 2022, à l’adresse https://inpn.mnhn.fr/habitat/cd_typo/7
- Wintz, M. (2019). La nature en ville : Une réconciliation en trompe l’œil. Revue du MAUSS, 54(2), 95‑107.