INTERVIEW CROISÉE – Nantes : un territoire innovant pour la mobilité durable, par Bénédicte Levionnais de Nantes Métropole et Stéphane Bis de la Semitan
Le Cerema a interrogé Nantes Métropole et la Semitan sur leur vision stratégique et opérationnelle des mobilités de demain. Dans cet entretien croisé, ils reviennent sur les objectifs portés par le Plan de Déplacements Urbains (PDU), les aménagements en cours, les leviers d’innovation mobilisés, et la manière dont ils travaillent ensemble pour proposer une offre de mobilité plus durable, inclusive et résiliente. L’occasion de faire le point sur une politique volontariste qui entend concilier performance des transports, qualité de vie et adaptation aux défis climatiques.
Bénédicte Levionnais, directrice du département des mobilités à Nantes Métropole
Stéphane Bis, directeur développement et gestion du patrimoine à la Semitan
QUESTION : Quels sont aujourd’hui les principaux enjeux de mobilité sur le territoire de Nantes Métropole, et comment se traduisent-ils en termes de répartition modale et d’objectifs définis dans le Plan de Déplacements Urbains (PDU) ?
► Bénédicte LEVIONNAIS (Nantes Métropole) :
Les déplacements sont au cœur des attentes et du quotidien des habitants et au même moment, la Métropole doit aussi relever des défis importants, au premier rang desquels, le changement climatique et les grandes transitions démographiques (notamment le vieillissement de la population), énergétiques, numériques et sociétales : « Réinventer nos déplacements pour préserver notre cadre de vie et l’environnement, tous concernés, tous acteurs du changement », est le message porté par le PDU qui constitue le document de référence de la politique publique des mobilités même si de nouveaux enjeux et défis doivent être relevés.
5 grands enjeux énoncés dans le PDU sont ainsi affirmés :

Dans ce cadre, la politique publique a pour ambition de réduire la part des modes motorisés individuels au profit des modes actifs, des covoitureurs et des usagers des transports en commun. Les objectifs de parts modales figurent dans le PDU avec une ambition forte : 3/4 des déplacements en modes alternatifs, 1/4 en modes motorisés individuels. L’enquête EMC2 permettra de connaître l’évolution de ces parts modales mais les résultats du baromètre 2022 (enquête sur les pratiques de mobilités, menée de mi-sept à mi-nov 2022, par Nantes Métropole auprès des habitants de l’aire urbaine de Nantes) montrent des résultats encourageants sur la progression de la marche et du vélo.
L’accessibilité pour tous et le bien vivre ensemble constituent ainsi des valeurs fondamentales de cette politique publique.
Par ailleurs, la crise COVID a aussi mis en avant des enjeux nouveaux. Elle a accentué les enjeux de santé publique. Elle a dynamisé l’usage du vélo (accompagné en cela par des mesures spécifiques lors du déconfinement), mais a lourdement affecté l’usage de la voiture partagée, des parkings et des transports collectifs, qui fin 2024 ont toutefois dépassé leur niveau d’avant crise pour les transports collectifs.
La crise sanitaire, la convention citoyenne de 2021 et le grand débat citoyen sur la Fabrique de nos villes ont également mis en lumière l’importance de la proximité, de la ville du 1/4 d’heure, pour limiter les déplacements et profiter des bienfaits de la marche et du vélo. Mais ils ont aussi confirmé les besoins en matière de renforcement du maillage du réseau de transports en commun, la nécessité de mieux prendre en considération les périphéries, de ne pas opposer les modes et de responsabiliser chacun sur l’espace public. La voiture reste nécessaire dans les secteurs où il n’y a pas d’alternative ; la question de son partage restant une solution à développer.
Les difficultés rencontrées ces dernières années, pour faire une place à la logistique dans la ville, ont montré à quel point la logistique urbaine durable est un défi à relever.
Enfin, les enjeux financiers demeurent un facteur déterminant. Ils conditionnent la mise en œuvre des projets et appellent à des choix stratégiques.
► Stéphane BIS (Semitan) :
La Société d'économie mixte des transports en commun de l'agglomération nantaise (Semitan) est pleinement engagée pour répondre au mieux à ces enjeux de mobilité, cela se traduit dans chacune des missions qui nous sont confiées par Nantes Métropole : l’exploitation du réseau de transport en commun, la maîtrise d’ouvrage déléguée et la coordination des mobilités. Cette dernière est essentielle pour que les modes de déplacement respectueux de l'environnement soient en pleine complémentarité et non en concurrence entre eux.
QUESTION : Déjà largement développé, le réseau TC se développe encore ; quels sont les aménagements, les mesures et les innovations déjà mis en œuvre et envisagés pour maintenir la performance et l'attractivité de ce réseau ? Plus particulièrement en zone urbaine contrainte, comment conciliez-vous le développement des aménagements TC et des aménagements cyclables ?
► Bénédicte LEVIONNAIS (Nantes Métropole) :
Le réseau de transports collectifs de Nantes Métropole s’est largement développé depuis la réintroduction du tramway en 1985, et diversifié pour répondre aux besoins de transports des habitant.e.s et à leur bonne intégration dans l’environnement urbain, avec la création du premier service Navibus (navettes fluviales) en 2005, la première ligne de Busway (bus à haut niveau de service quasiment en site propre sur tout son itinéraire) en 2006, des lignes Chronobus à partir de 2012 et des e-Busway en 2019.
Pour atteindre les objectifs de part modale TC du PDU, la métropole et la Semitan doivent aujourd’hui répondre à plusieurs enjeux :
- Continuer à développer le réseau pour faire face aux besoins croissants de déplacements qui vont de pair avec l’augmentation de la population de l’aire urbaine. Ce développement passe notamment aujourd’hui par la création de lignes structurantes maillées et non plus seulement radiales vers le centre-ville de Nantes. Ces lignes s’étendent au-delà du périphérique, et le rabattement vers celles-ci est notamment facilité grâce aux parkings relais (P+R) situés au abords du périphérique. On peut citer le projet phare aujourd’hui en travaux, des nouvelles lignes 6, 7 (tramway) et 8 (Busway), ou encore l’acquisition de matériels roulants plus capacitaires (tramways de 46 m notamment et bus articulés en remplacement de bus standards), et par ricochet, l’extension et la création de nouveaux centres techniques et d’exploitation adaptés à l’évolution progressive de l’alimentation énergétique des bus en passant du gaz (GNV) à l’électrique.
- Maintenir la performance du réseau, en réalisant la maintenance des équipements et infrastructures, et de grandes rénovations, nécessaires après plusieurs décennies d’utilisation. En particulier tous les étés, et parfois en dehors des congés estivaux, certaines portions du réseau tramway subissent de grands travaux de remise à neuf. Cet aspect prend de plus en plus d’importance dans les budgets et dans la prospective des travaux à réaliser, avec le développement permanent du réseau, et son vieillissement concomitant.
Tout nouveau projet de ligne structurante de transports collectifs s’accompagne d’un travail sur l’intégration des modes actifs en particulier depuis l’adoption par Nantes Métropole d’un Schéma Directeur des Itinéraires Cyclables (SDIC) et de son Référentiel des Aménagements cyclables associé.
Ce schéma cible les axes à développer pour les vélos, avec différents niveaux de services requis pour l’aménagement (de la piste bidirectionnelle de 5m de large à la bande cyclable). Le défi est donc d’intégrer l’ensemble des aménagements nécessaires à la sécurisation des différents modes de déplacements. La priorité est clairement donnée aux plus fragiles (piétons, cyclistes) puis aux modes de transports collectifs (TC, covoiturage). Il est ainsi souvent nécessaire de réduire la place de la voiture individuelle (chaussée ou stationnement) au bénéfice des autres modes et de la nature en ville.
► Stéphane BIS (Semitan) :
Les nouveaux enjeux de mobilité mais aussi de développement durable nous obligent en tant que maître d’ouvrage délégué à faire preuve d’inventivité et d’innovations. En 2019, nous avons accompagné la Métropole pour la mise en œuvre des véhicules e-Busway : premier bus 100% électrique double-articulé de 24m avec rechargement uniquement par opportunité en ligne. Conscients des enjeux de modernisation du réseau nous avons développé un nouveau type de pose de voie dénommé « voie nantaise » qui permettra de renouveler plus facilement et à moindre coût les rails à l’avenir. Notre grand défi actuel, c’est aussi la sobriété. Elle se traduit naturellement dans des solutions moins gourmandes en matériau et matière. Mais cette sobriété est aussi dans la consommation d’espace. Ainsi, pour les centres techniques et d’exploitation (CETEX) nous privilégions le recours à des terrains déjà artificialisés. Nous avons aussi largement développé le concept de couloirs bus bidirectionnels à voie unique qui permet de garantir les performances des lignes de bus tout en réduisant de moitié la consommation d’espace, c’est autant de possibilités en plus pour favoriser les modes actifs. Ce concept a d’ailleurs fait l’objet d’une publication du Cerema.
QUESTION : Comment les stratégies de développement des TC et des modes actifs (vélos, piétons) sont-elles coordonnées pour favoriser la complémentarité de ces modes et l'intermodalité ?
► Bénédicte LEVIONNAIS (Nantes Métropole) :
Le PDU est l’outil qui permet d’avoir une approche multimodale et de définir l’ambition du territoire pour répondre aux enjeux écologiques. Ainsi l’élaboration du prochain PDM est l’opportunité de repenser les stratégies circulatoires, la hiérarchisation des voies et la réglementation du stationnement, afin de favoriser le développement des différents modes en cohérence avec les usages. La métropole est dotée et continue de se doter d’infrastructures favorisant l’intermodalité, tels que des pôles d’échanges, des parkings relais, des voies cyclables lisibles et sécurisées, etc. Leur réalisation s’appuie sur les différents schémas stratégiques de la métropole (piéton, vélo, transport collectif…).

Par ailleurs, elle renforce la complémentarité des modes considérant qu’elle doit offrir un ensemble de solutions durables de mobilité qui permettront de répondre aux principaux besoins de mobilité des usagers.
Pour ce faire elle est passée d’une stratégie de développement en silo des différents services de mobilités à la construction et la valorisation d’une offre globale de mobilité (bouquet de services). Cette évolution stratégique passe par :
- le regroupement de l’ensemble des services de mobilités sous une marque unique de mobilité : Naolib
- le choix de confier la coordination de l’ensemble des services de mobilités, à un seul opérateur, la Semitan, qui a pour objectif de développer des outils communs à l’ensemble des opérateurs, d’articuler les actions de communication et de développer la communication multimodale
- le développement progressif d’outil commun visant à améliorer et faciliter l’expérience usager : compte unique mobilité, gestion relation client unique, gestion centralisée de l’information voyageur, site internet unique, allo mobilité ….
- des supports billettiques interopérables : carte Naolib, appli Naolib
- une tarification solidaire mobilité avec les mêmes seuils de réduction pour l’ensemble des services de mobilité.
En complément, la Métropole œuvre pour renforcer les coopérations avec les territoires voisins pour penser la mobilité à l’échelle de l’aire d’attraction de la métropole : participation à l’élaboration du Contrat Opérationnel de Mobilités et maintenant du SERM Nantes St-Nazaire. La Métropole coordonne le lancement en 2026 de l’expérimentation de deux lignes de covoiturage avec les EPCI voisins.
► Stéphane BIS (Semitan) :
En développant le concept de coordination des mobilités et en nous en confiant la responsabilité opérationnelle, la complémentarité et l’intermodalité sont devenues des axes prioritaires de notre action. C’est dans cet esprit qu’a été lancée la nouvelle marque de mobilité Naolib en 2023. À travers cette nouvelle marque s’affichent un projet collectif et une ambition forte portée par Nantes Métropole, le coordinateur de mobilités, les opérateurs et l’ensemble des acteurs de la mobilité du territoire. Toutes et tous ont l’ambition d’accompagner la bifurcation écologique de la métropole grâce à une offre de services de mobilité complète. D’un point de vue opérationnel, les changements de comportement durables sont encouragés par la simplification du Parcours Multimodal de l'Usager. Le Compte Unique Mobilité, disponible à travers une refonte de l'application mobile et du site Internet, a ainsi vocation à devenir le point d'entrée unique de l'usager pour s'informer, consommer un service ou souscrire un abonnement sur l'ensemble des services de mobilité de la Métropole.
QUESTION : Dans un contexte de forte fréquentation, notamment aux heures de pointe, quelles sont vos réflexions sur la désaturation du réseau TC à moindre coûts (temps de la ville ...) ?
► Bénédicte LEVIONNAIS (Nantes Métropole) :
La saturation des TC peut être observée en heure de pointe voire hyper pointe sur certaines lignes. Un travail est aujourd’hui engagé avec l’université sur les horaires de fonctionnement afin de répondre à des situations de saturation très concentrées dans le temps sur la ligne 2 du tramway. Le développement du vélo et de la marche permet aussi d’agir sur la saturation : les gains de parts modales du vélo et de la marche influent sur la fréquentation des TC. Il faut encourager ceux qui n’ont qu’une ou deux (voire davantage) stations à parcourir dans des secteurs saturés à marcher, au regard des bénéfices sur la santé.
QUESTION : Quelles actions sont engagées pour réduire l’empreinte carbone du réseau de transports en commun ? Et en complémentarité, quelles autres actions sont mises en œuvre pour s'adapter au réchauffement climatique qui s'installe progressivement (aménagement des stations, végétalisation sur et autour des lignes TC …) ?
► Bénédicte LEVIONNAIS (Nantes Métropole) :
Un travail est mené sur le parc de matériel roulant afin de limiter ses émissions, avec une transition progressive vers des véhicules électriques. Par ailleurs, les derniers bus acquis sont désormais climatisés afin de faire face au changement climatique et aux vagues de chaleur. Afin de limiter l’impact négatif de cette climatisation, le choix s’est porté sur un système de pompe à chaleur utilisant du CO2 comme gaz inerte réfrigérant. En effet les transports collectifs intègrent progressivement le parcours fraîcheur de la métropole, qui vise également à végétaliser et planter des itinéraires piétons, vélos, permettant des déplacements agréables y compris lors des pics de chaleur.
Des panneaux photovoltaïques, dont la production vient réduire les consommations énergétiques du réseau, sont progressivement déployés sur nos centres techniques et d’exploitation et les parkings-relais .
Sur les infrastructures, un travail est mené avec l’accompagnement du Cerema pour limiter les besoins d’emprise des TC tout en garantissant leur performance : mise en place de couloirs bus temporels et expérimentation à venir de couloirs bus utilisant la voie à contre-sens.
► Stéphane BIS (Semitan) :
Là-aussi, il s’agit d’une forte évolution de notre responsabilité de maître d’ouvrage délégué. Nos projets doivent pleinement intégrer les objectifs de mettre davantage de nature en ville. En premier lieu une attention maximale est portée à préserver tous les arbres. L’abattage devient un recours ultime, nous poussons donc les itérations de la conception de nos projets dans ce sens. Au-delà, c’est offrir davantage de nature dans nos projets notamment par un choix coordonné avec la Métropole des essences les plus adaptées. La conception des plateformes doit aussi être repensée pour offrir davantage de perméabilité et de résilience aux aléas climatiques (travaux en cours avec le Cerema sur la végétalisation des plateformes tramway). Enfin, l’aménagement des stations doit encore être poussé pour qu’elles deviennent, pourquoi pas, des îlots de fraîcheur.
