2 janvier 2019
Image utopique de l'EcoQuartier Bottière Chénaie
@ Julie Cordier, Julie Godard, Sébastien Gorichon, Simon Viau - Ecole de design de Nantes Atlantique
Représentations des EcoQuartiers et de la ville de Demain : analyse comparée 2011-2018

Lors de la cérémonie de remise des labels Ecoquartiers 2018 du 13 décembre qui correspondait aussi à la clôture de la consultation citoyenne Villes et Territoires de demain, le Cerema a co-animé les ateliers. Celui sur "la fiction au service de la co-construction" a permis de questionner l'image et le récit utopique comme outils de co-construction de la ville de demain.
Les récits utopiques issus de la consultation citoyenne ont ainsi été mis écho avec ceux rédigés par les collectivités candidates à l'appel à projet EcoQuartier en 2011.

Les ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires ont lancé au printemps 2018 un débat en ligne afin de qualifier, du point de vue des citoyens, les caractéristiques que devront avoir les villes et territoires de demain, et de recueillir leurs propositions d’action. En parallèle du débat, les citoyens ont été invités à écrire des scénarios utopiques décrivant la journée d’un habitant dans nos villes et territoires de demain. Au total,une soixantaine de scénarios ont été rédigés lors d'ateliers d'écriture collaboratifs ou directement en ligne. Une dizaine de récits ont  été retenus par un comité de sélection pour être adaptés en bande dessinée par des professionnels et édités dans Les Livrets citoyens citoyens des villes et territoires de demain qui ont été diffusés lors de la remise des labels EcoQuartiers le 13 décembre 2018.

La remise des bandes dessinées issus de ces scénarios lors de la journée de remise des labels 2018 fut l'occasion de dresser un parallèle entre les représentations citoyennes d'aujourd'hui et celles des collectivités candidates à l'appel à projets EcoQuartiers 2011, que le Cerema avait analysées en 2013.

En tout juste 7 ans, notre vision des villes du futur et du monde de demain a-t-elle évolué ?

Des représentations des collectivités candidates à l'appel à projets EcoQuartier 2011...

« Racontez-nous comment vous imaginez une journée classique d’un habitant du quartier en 2020 ».

Telle était l’une des contributions demandées aux collectivités locales candidates à l’appel à projets EcoQuartier lancé en 2011 par le ministère de l’écologie, du développement durable, du transport et du logement dans le cadre du plan ville durable.
Le matériau issu de cet exercice atypique a fait l’objet d'une étude par le Cerema en 2013. 317 textes ont donc été analysés au regard notamment du référentiel EcoQuartier construit par le ministère, référentiel qui a été questionné à cette occasion. Malgré les biais induits par l’intitulé et par le contexte de l’exercice support au corpus, les résultats de cette étude nous donnent à voir des éléments sur les représentations que les collectivités se faisaient des EcoQuartiers en 2011.
L’EcoQuartier, tel qu’il ressort des récits, offre un cadre de vie sain et de qualité, avec une forte présence de la nature. Il est doté de nombreux commerces et équipements de proximité mais aussi d’espaces publics, suffisamment diversifiés et sécurisés pour vivre la ville des courtes distances. L’identité territoriale dans les EcoQuartiers étant peu marquée, ces derniers apparaissent très génériques.
Les déplacements à pied, à vélo, en transports en commun ou partagés sont privilégiés au détriment de la voiture mise à distance, voire abandonnée. La faible place accordée à celle-ci limite les sources de pollution et les nuisances sonores et favorise l’activité physique bénéfique pour la santé. L’entretien des espaces verts et des jardins évite le recours à l’usage de pesticides.
Les logements sont performants et ont été construits avec des matériaux écologiques. Pour autant, leur qualité d’usage est très peu commentée en dehors de la performance énergétique et de la présence d’espaces extérieurs privatifs.
Les espaces publics, les unités de voisinage, mais surtout les jardins sont les supports privilégiés des interactions sociales et échanges entre les générations. Le rapport à l’autre est facilité, les échanges de services, une évidence. Les habitants s’impliquent dans la vie associative mais sont peu engagés politiquement, pas plus que dans la gestion de la cité au-delà du périmètre de l’EcoQuartier.
L’EcoQuartier, de par sa conception et son mode de fonctionnement, favorise une bonne hygiène de vie et parait tout à fait adapté à la vie familiale de type nucléaire, parfois élargie aux anciens.
Les évolutions de pratiques individuelles et collectives concernent le tri des déchets, la priorité donnée aux déplacements doux ou collectifs et peut-être une plus grande ouverture à l’autre, à condition qu’il présente une certaine proximité culturelle. La figure de « l’étranger», du « pauvre », du « malade », du « sans emploi » a ainsi peu sa place dans l’EcoQuartier. Par ailleurs, la nature est idéalisée et avant tout au service de l’homme.
Les pratiques de consommation responsables ne sont pas encore clairement à l’ordre du jour même si les produits locaux et l’auto-production sont les bienvenus. De telle sorte qu’il semble trop tôt pour parler d’écocitoyenneté. De plus, on peut s’étonner que les technologies, notamment liées à l’information et à la communication, soient encore peu présentes dans les textes par rapport à la réalité d’aujourd’hui.
Au final, la vie dans un EcoQuartier est très positive et agréable, c’est un « havre de paix ». On vit en harmonie avec son environnement et les autres : c’est le « mythe du village » (où tout le monde se connaît, s’entraide et s’apprécie), la recherche du « paradis perdu », l’expression d’une forme de nostalgie qui traduit un certain conformisme dans les représentations et pratiques. Au travers des textes, les collectivités semblent surtout donner à voir ce que l’on connaît bien ou ce que l’on a perdu et que l’on souhaite retrouver.
Tout cela traduit une forme de « sobriété heureuse » qui n’est pas basée sur l’épuisement des ressources et l’essoufflement du modèle de développement.

... Aux récits citoyens utopiques de la consultation 2018

Dans le cadre du débat, les citoyens ont été invités à rédiger des scénarios utopiques décrivant le quotidien des habitants des villes et territoires de demain : "Dans un avenir pas si lointain, je sors de chez moi et …"

Ce sont une soixantaine de textes qui ont finalement été rédigés. Si une dizaine ont été traduits sous forme de bandes dessinées, la remise des labels a été l'occasion de proposer une analyse comparée. Les horizons temporels sont plus variés et plus éloignés, l'échelle non limitée à celle du quartier et les "auteurs" plus variés que des collectivités, mais cet échantillon permet malgré tout de comparer les visions du monde de demain de 2011 à 2018.

 

Ce qui a peu changé

Ce qui a peu changé par rapport aux textes des collectivités de 2011, c'est la place du vivre-ensemble, de la mobilité et de la nature. Cela ne veut pas dire l'absence de différences par rapport à 2011.

Par exemple, sur la mobilité, la voiture autonome, le drone, l'"hyperloop" et d'autres systèmes innovants ont remplacé la voiture individuelle en complément des vélos et la marche à pied.

Illustration sur la mobilité issue d'une des bandes dessinées du livret citoyen
BD du livret citoyen "  Sonia " : Martine Leclerq, Mathilde Isler, Xavier de Lacaze, Eric Wantiez / Bastien Bazar

Concernant la nature, les textes explorent différents scénarios, selon que l'on fait le pari de l'adaptation, de l'atténuation réussie ou de la "fin du monde". Davantage qu'en 2011, la nature telle qu'elle est projetée dans un avenir pas si lointain est une nature nourricière et la place de l'agriculture urbaine (dans toutes ses formes : de la plus "traditionnelle" à la plus "technologique") est devenue très forte.

Illustration sur la place de la nature extrait des livrets citoyen
Dans un avenir pas si lointain, une ville très "verte" dans cette histoire de Laurent Garrigues-Kerhascoët, Eric Wantiez, illustrée par Léo Louis-Honoré

La notion de vivre-ensemble reste très présent dans les scénarios de 2018, surtout la dimension inter-générationnelle. Mais, comme en 2011, on reste assez "entre-soi" et le modèle dominant reste la famille nucléaire classique (avec quelques signaux faibles d'évolution dans la sociologie de la famille).

 

Les principales différences

Les deux principaux changements entre les textes 2011 et ceux de 2018 concernent la place de la technologie et un réel changement de paradigme et des évolutions dans le rapport au temps et au travail.

Dans les scénarios de 2018, la technologie (jusqu'à l'intelligence artificielle, l'exosquelette et divers capteurs) est omniprésente alors que ce n'était qu'un signal faible en 2011. La technologie accompagne, permet et soutient le progrès, le bien-être de la population et la protection de la nature. Certains scénarios insistent eux davantage sur les risques et dérives possibles.

Par rapport à 2011, on note aussi un réel changement de paradigme. Dans un avenir pas si lointain, le monde a beaucoup changé et le changement climatique est très présent dans les discours : qu'on le subisse ou qu'on ait réussi à l'inverser. Fidèle à la consigne de l'utopie, mais révélateur des préoccupations d'aujourd'hui, on constate que beaucoup de choses peuvent changer (en bien ou en mal, question de point de vue).

Les récits sont souvent peu situés dans un territoire reconnaissable mais par contre, on peut remarquer des changements notables dans le rapport au travail, au temps, aux autres. Beaucoup de territoires sont "autonomes", tout en étant reliés entre eux et au monde. On constate aussi beaucoup de pistes de "solutions", liés par exemple aux matériaux, à la mobilité, à l'énergie, aux déchets...

 

Pour conclure

Comme en 2011, la vision du monde est principalement positive avec une forme de sobriété heureuse mêlée de nostalgie et de technologies. Cette approche positive correspondait à la consigne donnée, notamment dans les ateliers collaboratifs. On trouve tout de même quelques scénarios "pessimistes", certains correspondant à une vision "au fil de l'eau" (ce qui pourrait se passer si "on ne fait rien") et d'autres carrément repoussoirs : asservissement de l'homme par la technologie, fin de la vie sur Terre (on vit sous l'eau ou sur Mars), exacerbation des tensions sociales, 3e guerre mondiale...

Dans tous les cas, ces scénarios ouvrent le champ des possibles et insistent finalement sur la nécessité impérieuse d'agir maintenant et de faire le choix d'une trajectoire. Dans un avenir pas si lointain, revivrons nous dans des villages heureux et autonomes, sous l'eau car la Terre est devenue invivable ou sur Mars, grâce ou pour le compte des robots, tous égaux ou les uns exploitant les autres, en paix, en guerre ou en symbiose avec la nature. De nombreux textes abordent ce moment de bascule, cette nécessité d'une rupture pour construire une autre société plus résiliente, plus inclusive et plus en "résonance" avec la nature et les autres.