Zéro artificialisation nette (ZAN) d’ici 2050 et réindustrialisation : ces deux objectifs affichés par le gouvernement sont-ils compatibles ? L’industrie ne représente que 5 % de l’artificialisation des sols ce qui reste relativement faible en comparaison avec des secteurs tels que le commerce ou l’extraction minière. La limitation de l’artificialisation des sols peut aussi avoir pour objectif de préserver nos capacités à accueillir des projets industriels dans les décennies à venir.
L’accès au foncier est aujourd’hui un enjeu stratégique pour les activités économiques et notamment industrielles. L’industrie se trouve notamment en compétition avec l’agriculture, le logement ou les équipements publics. Pour cela, une articulation entre projets industriels et stratégies publiques locales devient indispensable et suppose de surmonter plusieurs obstacles que nous avons étudiés dans un travail de recherche récent.
Quatre pistes de progrès ont été identifiées en particulier : mieux connaître le foncier économique disponible, anticiper le coût de recyclage foncier des sites économiques, retrouver une maîtrise publique du foncier industriel et combler les carences des collectivités en termes d’animation de leur foncier économique (négociation, mobilisation, facilitation).
Améliorer la connaissance du foncier économique disponible
La première des difficultés relevées tient à la connaissance des espaces disponibles. Sans une connaissance fine du foncier et de ses caractéristiques, il sera difficile d’intervenir efficacement pour une collectivité territoriale ou un opérateur public.
Plusieurs étapes viennent d’être franchies en l’espace de quelques mois. Des inventaires locaux des zones d’activités économiques instaurés par la loi Climat & Résilience d’août 2021 permettent désormais à chaque collectivité d’avoir une vision plus précise du foncier économique sur son territoire avec les périmètres, les propriétaires et les occupants de chaque zone. Plusieurs régions ont renforcé ces inventaires locaux par des observatoires régionaux afin de consolider et d’homogénéiser les inventaires locaux. Le niveau national était le moins avancé sur ces questions mais propose désormais un premier dispositif, France Foncier+, axé sur la recherche de disponibilités foncières par les entreprises et investisseurs privés.
Avec ces trois niveaux de connaissance et d’observation, les décideurs disposent d’un socle d’outils très complémentaires, même si les différentes échelles peuvent entrer en concurrence. Plusieurs territoires n’en font pourtant pas encore usage. 64 % des intercommunalités ne disposent pas d’un observatoire du foncier économique. La mise en visibilité de sites économiques et de terrains disponibles éveille aussi des craintes sur les territoires : concurrence entre des entreprises extérieures au territoire et des entreprises locales pour l’accès au foncier, révélation de difficultés à commercialiser le foncier ou au contraire de l’absence de foncier disponible sur d’autres…
Favoriser le recyclage foncier des sites économiques
Outre l’amélioration de la connaissance, notre travail insiste sur l’importance à ce que les collectivités limite l’inadéquation entre stratégies publiques locales et projets industriels par des actions de recyclage foncier des sites économiques. Les friches constituent un vivier important de terrains pouvant être remis sur le marché moyennant des opérations parfois très couteuses de dépollution et de réaménagement.
Plus de 10 000 friches sont recensées par l’inventaire national Cartofriches développé par le Cerema. Malgré le potentiel qu’elles représentent, la localisation des sites ne correspond pourtant pas nécessairement aux critères recherchés par les investisseurs. Les exploiter requiert ainsi des expertises et une ingénierie locale afin de vérifier leurs caractéristiques, leur coût de remise en état et leur capacité d’accueil.
Le projet Novacieries à Saint-Chamond (Loire) ou le site de Stellantis dans le Pays de Montbéliard (Doubs) ont su opérer une « mue » efficace afin d’accueillir de nouvelles activités prenant le relais de la sidérurgie et de l’automobile. Les halles industrielles du premier site ont été reconverties en locaux d’activités, programmes d’habitat, pôle de loisirs et de formation. S’y implantent également des entreprises comme Linamar qui conçoit des pièces de moteur automobile, SICAF, expert en câblage d’armoire électrique ou BIC, Leader français des consommables d’hygiène et des essuyages textiles. Dans d’autres cas l’existence de friches permet de tester de nouvelles activités sur le territoire : le site de l’ancienne usine de batterie Saft de Noisy-le-Sec, dans l’Est parisien, a été racheté par L’Établissement public foncier d’Île-de-France pour porter le foncier et en faire une « Usine des transitions », abritant des activités économiques centrées sur la transition environnementale. Le site sera occupé de manière temporaire par ces activités avant d’engager une reconversion plus poussée. L’urbanisme transitoire devient ici un outil pertinent en raison de la souplesse qu’il permet.
Pour les collectivités, se réapproprier le foncier
Si des collectivités locales se réapproprient d’anciens sites comme dans l’Est parisien, une dissociation entre le foncier et le bâti peut ensuite être imaginée pour répondre au besoin de coordonner les projets industriels privés avec les volontés publiques locales. Le mécanisme est simple et ancien pour les collectivités : garder la propriété de certains terrains et octroyer des droits réels immobiliers aux entreprises pour construire un bâtiment moyennant le versement d’une redevance foncière sur une durée de 18 à 99 ans. Cela permet aux autorités publiques de sélectionner les activités qui présentent un intérêt économique et collectif pour leur territoire, cohérentes entre elles et permettant par exemple de préserver l’emploi. Face au renchérissement du coût de l’immobilier, les entreprises cherchent, de leurs côtés à concentrer leurs dépenses d’investissement sur l’outil de production et cette dissociation peut leur être avantageuse.
Le développement de sociétés de portage foncier à long terme constitue une autre réponse pour se réapproprier le foncier. Il s’agit de sociétés foncières à capitaux publics ou mixtes qui réhabilitent un patrimoine foncier et industriel puis le mettent en location auprès d’entreprises utilisatrices de manière temporaire ou dans le cadre d’un bail commercial classique.
Encore émergent, ce type de structure a déjà atteint des résultats significatifs sur des territoires tendus et où l’acquisition foncière nécessite des moyens financiers importants. À Lyon-Vénissieux, la SAS USIN, constitué d’un actionnariat privé et public a ainsi recyclé une vaste emprise foncière dans l’agglomération lyonnaise (11 hectares) sur le site occupé anciennement par une usine Bosch.
Un rôle d’animation
Les services économiques des collectivités ont traditionnellement investi le champ de la promotion économique et de la commercialisation des terrains. Cela a néanmoins débouché sur un modèle caricatural fondé sur la compétitivité, l’attractivité, la métropolisation et l’excellence. Or, la réponse aux besoins des entreprises repose beaucoup sur la bonne combinaison des réponses en termes d’urbanisme et de développement économique et sur un bon usage du foncier qui permet d’accélérer les procédures d’autorisation par la suite comme les permis de construire.
Les besoins des entreprises peuvent rapidement changer en la matière. Un commercial nous rapporte :
« On a beaucoup de clients qui peinent à formuler leur demande et qui nous sollicitent pour la reformuler. Il y a de plus en plus de demandes de réversibilité notamment. »
Il faut ainsi pour les autorités publiques savoir se muer en animateur. L’intensification des dispositifs d’animation économique autour du foncier nécessite une aptitude à la négociation du foncier et de l’immobilier d’entreprise. Celle-ci prend des formes variées et de manière plus ou moins encadrée entre la collectivité, des intermédiaires et des entreprises utilisatrices de terrains et de locaux. C’est dans le processus de négociation que le rôle de la collectivité et de son service économique doit être aussi intensifié. Comme le rappelle ce promoteur, la négociation permet à chacun de gagner du temps dans ses recherches :
« On a eu des demandes sur des zones précises afin d’implanter 5 000 m2 et on avait sollicité Valence Agglo pour savoir s’ils avaient du foncier. Ils ont su nous dire non : c’était bien d’avoir un interlocuteur avec une vraie maîtrise du métier. Ils ont leur propre architecte-conseil, on passe directement par eux, ils sont à même de donner les réponses. »
C’est autour de ces quatre axes que les objectifs de réindustrialisation pourront se concrétiser sur nos territoires tout en limitant l’artificialisation des sols. D’autres facteurs entrent évidemment en ligne de compte (impact environnemental, recrutement, logement, financement) mais s’agissant du foncier, il semble indispensable de changer de modèle. Ce changement nécessite de passer d’une approche fondée uniquement sur la commercialisation d’un foncier « simple support » à des activités vers un modèle où le foncier devient une ressource stratégique gérée comme une ressource patrimoniale au sens financier et écologique du terme. Les activités économiques sont alors « encastrées » dans une approche globale de transition territoriale.
Nicolas Gillio, chef de mission « Economie et territoire », Cerema
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.