30 juillet 2025
éclairage public nocturne
S. Busson - Cerema
Une cartographie des démarches d'extinction de l'éclairage nocturne dans 19 000 communes métropolitaines est disponible : elle permet de suivre l'évolution des stratégies de 2014 à 2024.

Le pôle satellite du Cerema Occitanie a investi un nouveau type de données satellitaires qui permettent un suivi dans le temps de l'éclairage nocturne à l'échelle communale (données de l'instrument VIIRS de la NASA). Une cartographie des changements de pratiques des communes entre 2014 et 2024 a été produite en collaboration avec le bureau d'étude DarkSkyLab.


Quelles stratégies d'éclairage nocturne dans les communes ?

Les données référencent les extinctions totales, partielles ou les rénovations d'ampleur, ainsi que les abandons de politique d'extinction. La cartographie disponible sur Cartagene :

 

>> La cartographie

 

Cette donnée est complètement nouvelle et a plusieurs intérêts :



 
  • suivi des politiques de sobriété énergétique
  • suivi des politiques de préservation du ciel nocturne et de préservation de la biodiversité
  • croisement avec l'enjeu d'acceptabilité des extinctions nocturnes - dans le projet SERENOS il s'agit de faire le lien avec la sécurité routière
  • peut être utilisée à différentes échelles : ministère, collectivités de différentes taille, parc nationaux, PNR... voire pour les astronomes amateurs
  • elle peut être utile pour constituer un indicateur national pour l'énergie ou la biodiversité et contribuer à l'établissement de trames noires de cœur de nuit à grande échelle
  • elle permet aussi de comprendre les dynamiques territoriales et d'analyser la disparité des pratiques d'éclairage en cœur de nuit à l'échelle du pays.

Eteindre ou pas l'éclairage public ? Les questions à se poser

L’extinction de l’éclairage public génère-t-elle de réelles économies d’énergie ?

Effectivement, le fait d’éteindre l’éclairage public sur une certaine durée durant la nuit efface une consommation d’énergie qui sera plus ou moins importante selon que :

  • Le parc est vieillissant et énergivore, le volume effacé sera d’autant plus important. Cependant, ce parc reste énergivore sur les périodes d’allumage, ce qui renforce l’intérêt d’une rénovation du parc
  • Si le parc est rénové récemment et moins énergivore, la part de consommation effacée en cœur de nuit du fait de l’extinction sera moins importante que dans le 1° cas mais la part maintenue sur les heures d’allumage sera fortement réduite, d’où un bilan global positif.

Si les extinctions en cœur de nuit étaient pratiquées historiquement dans certaines régions (Bretagne, Bourgogne) et surtout en milieu rural, la crise énergétique de 2022 a fortement accéléré les décisions d’extinctions sur l’ensemble du territoire, y compris en milieu urbain dense.

L’étude réalisée par le Cerema a consisté à réaliser une cartographie à l'échelle nationale des changements de pratique d'éclairage en cœur de nuit entre 2014 et 2024, à partir d’images satellitaires nocturnes (sur 19262 communes observées), estime à près de 30% les extinctions totales qui ont été mises en place suite à la crise énergétique de fin  2022.

L’enquête annuelle menée par l’Association Française de l’éclairage a laquelle collabore le Cerema a mis en avant une baisse de la consommation nationale de la part nationale de l’éclairage public qui représente en 2024 0,54 % de la consommation électrique nationale (source RTE) et elle participe ainsi activement à la baisse générale de cette dernière (- 3,20 % en 2023) ainsi qu’à une réduction non négligeable des émissions carbone de l’éclairage public. Cette baisse mesurée est le fruit croisé des rénovations d’ampleur des parcs d’éclairage (la part de LED représente aujourd’hui 40 % du parc national) et des extinctions nocturnes qui se sont démultipliées.

On peut citer également la baisse de puissance appelée suite aux extinctions partielles pratiquées par les communes sur l'ensemble du territoire, constatée par ENEDIS, principal gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité en France. ENEDIS a pu mesurer une baisse des puissances appelées en cœur de nuit de 34,2 % entre mai 2022 et mai 2023 (chiffre repris dans le cadre du Flash Mobilités n°5).

L’extinction de l’EP pose-t-elle quelques difficultés techniques et nécessite-t-elle des investissements spécifiques ?

En l’absence de dispositif de pilotage à distance, il est nécessaire de reprogrammer les horloges implantées dans les armoires de commande. Cela nécessite alors des interventions terrain de maintenance, cela peut engendrer également la nécessité de réorganiser le réseau électrique (avec un coût important) si l’armoire qu’on veut "éteindre" alimente un secteur destiné à rester allumé. Cela impacte également les dispositifs "intelligents" qui gèrent les phases d’abaissement de puissance en cœur de nuit, qui ne sont pas adaptés à une coupure en cœur de nuit.

L’extinction de l’EP est-elle bénéfique pour la biodiversité ?

L’introduction de lumière artificielle la nuit affecte le comportement et la physiologie de nombreuses espèces animales, et modifie également les relations entre les espèces (proie / prédateur, plante / pollinisateur, ou encore concurrence entre espèces animales "voisines" selon leur tolérance d’exposition à la lumière). C’est donc aussi le fonctionnement naturel des écosystèmes la nuit qui est modifié.

Les déplacements de certaines espèces animales sont également fortement affectés par cette lumière artificielle, certaines espèces (de nombreux insectes notamment) étant fortement attirés par les installations d’éclairage, alors que d’autres (certaines espèces de chauves-souris par exemple) ayant plutôt tendance à éviter les zones éclairées, et donc à réaliser des détours importants pour leurs déplacements habituels.

La littérature scientifique est encore très pauvre sur le sujet de l’effet des extinctions de l’éclairage sur la biodiversité, de fait du développement encore récent de cette pratique à grande échelle, et du temps nécessaire à la réalisation d’études scientifiques robustes. Il faut noter également que l’extinction concerne en général les installations d’éclairage public, et qu’il peut donc subsister après extinction des éclairages autres provenant d’industries, de commerces, de particuliers, etc.

En l’absence de lumières artificielles nocturnes, les espèces ont souvent des horaires de pics d’activité, par exemple pour certaines en début et fin de nuit, qui peuvent correspondre aussi au moment de présence de leur proie, dans le cas de prédateurs. Dans ce cas, il est compliqué de respecter ces rythmes naturels via la pratique d’extinction, puisque c’est en début et en fin de nuit que l’homme a aussi le plus besoin d’éclairage pour ses activités quotidiennes. Certaines collectivités répondent à ce paradoxe en pratiquant, parfois depuis longtemps, l’extinction totale estivale (ex : de nombreuses communes du PNR du Gâtinais) : l’éclairage public n’est pas allumé du tout pendant les mois d’été, considérant que l’heure tardive de coucher du soleil permet de s’en passer. Cette pratique permet alors de combiner économie d’énergie et réduction de l’impact sur la biodiversité, pendant une période de forte activité pour de nombreuses espèces.

Les rares études ayant évalué l’effet de l’extinction sur la biodiversité montrent que certaines espèces bénéficient de cette pratique, en particulier les espèces intolérantes à la lumière, et ce d’autant plus que l’extinction intervient rapidement après le coucher du soleil. Pour d’autres espèces, l’effet est non avéré (pour des espèces dont le pic d’activité intervient très tôt après le coucher du soleil) voire localement négatif, par exemple pour certaines espèces qui tirent bénéfice du piégeage d’insectes autour des lampadaires. Il manque cependant d’études plus globales, s’intéressant à d’autres espèces et groupes d’espèces, et à l’échelle de paysages et de populations animales, pour avoir une idée plus précise du bénéfice apporté par l’extinction de l’éclairage public sur la biodiversité.

Il est enfin très probable qu’une proportion importante des insectes piégés chaque nuit autour des lampadaires allumés soient "libérés" de ce piège lors d’une extinction, ce qui aurait pour effet de réduire leur mortalité, et de leur permettre de rejouer en partie leur rôle naturel (en tant que proie, prédateur, pollinisateur, etc.) dans l’écosystème environnant et dans l’obscurité retrouvée.

L’extinction de l’EP est-elle bénéfique pour les astronomes ?

Si l’extinction en cœur de nuit n’efface pas instantanément tous les effets indésirables de l’éclairage artificiel sur les espèces nocturnes, elle réduit par contre très fortement la quantité de lumière émise vers le ciel qui génère un voile (halo) lumineux qui perturbe l’observation du ciel par les astronomes. Moins le ciel sera éclairé, plus les étoiles pourront être visibles par renforcement du contraste. 

Par contre, l’extinction d’une commune ne suffit pas forcément à réduire fortement la clarté du ciel si une autre agglomération voisine continue à générer des flux lumineux qui viennent "polluer" le ciel de la commune qui pratique l’extinction. C’est un des objectifs des Réserves internationales de Ciel étoilés (RICE) qui travaillent à réduire la pollution lumineuse à l’échelle d’un territoire important (Parc national, PNR…)