Gestion à court et long terme des friches et préservation de la biodiversité : retour sur la conférence technique du 27 novembre 2025
Le rendez-vous a été rythmé par des temps en session plénière riches en partage de connaissances et retours d’expériences et par des temps d’échanges à l’issue des présentations.
La journée, organisée dans les locaux de l’Etablissement Public Foncier du Grand-Est à Pont-à-Mousson (54), s’inscrit dans le cadre de la Conférence Technique Territoriale du Grand-Est et plus particulièrement dans son volet biodiversité. Fruit d’une collaboration menée à 3 partenaires (Cerema, EPFGE, AERM), cette conférence a réuni environ 80 personnes d’horizons variés : collectivités territoriales, bureaux d’études, société d’économie mixte, établissements publics et services déconcentrés.
L’ambition était de croiser les approches — techniques, foncières, environnementales et financières — pour mieux articuler gestion et stratégie à long terme. Le Grand-Est étant une des régions de France les plus concernées par un passé industriel et militaire, il dispose d’un pool de friches conséquent, aujourd’hui particulièrement ciblé pour permettre le développement de projets tout en répondant aux besoins de sobriété foncière.
Les 3 établissements ont ainsi voulu coopérer pour construire un moment d’échange et poser les fondations d’une communauté de travail pour tenter de solutionner la question : comment concilier la reconquête économique et sociale de ces terrains avec la préservation du vivant ?
La journée s’est structurée autour de 5 sessions :
Présentations des grandes orientations des acteurs régionaux
En ouverture, les partenaires régionaux ont rappelé les grandes orientations visant à renforcer la sobriété foncière, favoriser la réutilisation du foncier déjà artificialisé et intégrer les enjeux de biodiversité dans les politiques d’aménagement. En effet, le sujet des friches doit être intégré dans les politiques d’aménagement du territoire. Les présentations ont notamment fait un focus sur les trames vertes et bleues portées par le SRADDET de la région, sur le plan pollinisateur et sa déclinaison en Grand-Est.
Un lien a également pu être fait avec le dispositif rénové des Sites Naturels de Compensation de Restauration et de Renaturation (SNCRR) qui consiste à faciliter l’émergence de projets de restauration écologique de grande ampleur à des fins de compensation écologique et de contribution aux politiques de restauration écologique.
Car, derrière chaque friche, il y a une histoire locale, un projet de territoire, et un équilibre à trouver entre réutilisation, renaturation et préservation.
Prise en compte de la biodiversité dans la gestion des friches à différentes échelles
Les échanges ont mis en lumière la nécessité d’intégrer la biodiversité dès l’amont des projets, à l’échelle du site comme à celle de la planification de ces projets. Certaines friches peuvent constituer de véritables réservoirs de biodiversité, nécessitant une expertise écologique adaptée pour guider les choix d’aménagement ou de renaturation. Il s’agit aussi de faire de la biodiversité une composante à part entière des projets, et même un levier.
L’étude menée par le Cerema pour le compte de l’EPFGE a mis notamment en lumière une série de préconisations, dont certaines sont en cours de déclinaison :
- Mettre en place un conseil stratégique de la prise en compte de la biodiversité ;
- Etablir une check-list de la biodiversité sur les sites ;
- Organiser une formation des chargés de mission ;
- Zoner les espaces dès que possible (zones à enjeux de biodiversité) ;
- Préserver au maximum l’existant ;
- Evaluer le potentiel de gain écologique pour mener des programmes de restauration écologique.
L’EPF Hauts-de-France a ensuite pu présenter son organisation interne pour traiter des questions de biodiversité. En effet, la compétence biodiversité était initialement portée par un expert au sein de la structure. Suite à son départ, l’EPF Hauts-de-France a dû se réinventer en intégrant les questions de biodiversité au niveau de toutes ses équipes par une formation des agents, par la réalisation d’un guide interne décrivant les étapes d’intervention (avant, pendant, après) et par la mise en place d’un marché cadre pour la mobilisation de prestataires spécialisés.
Outils d'aide et d'accompagnement
Les collectivités et les aménageurs ont besoin de repères concrets. Ainsi, quelques d’outils ont pu être présentés afin de :
Mieux partager l'état de connaissance des friches
Observatoire régional des friches
Au regard de son expérience et de son rôle, l’EPFGE a souhaité mettre en place un outil d’aide à la décision en vue de la reconversion des friches. L’objectif est d’identifier et caractériser les friches disponibles pour disposer d’une information de recensement à jour et partenariale, pour mieux les appréhender et préparer les conditions de leur mobilisation.
Entre 2014 et 2018, l’EPFGE (Ex-EPF de Lorraine) a réalisé un inventaire des friches sur les quatre départements de l’ex-Lorraine. A la suite de ce travail, il était nécessaire de mettre en commun les inventaires, les enrichir et réaliser un bilan quantitatif et qualitatif à l’échelle de la Lorraine. Pour répondre à ces objectifs, les agences d’urbanisme lorraines (AGAPE, AGURAM et SCALEN) ont été mobilisées. Une seule base de données et un atlas ont ainsi été réalisés. Ces résultats constituent une base importante pour la constitution et l’enrichissement d’observatoires des friches à l’échelle locale, régionale et nationale.
Cartofriches
L'outil Cartofriches permet aux acteurs nationaux du territoire de disposer d’informations harmonisées et enrichies sur les friches grâce à la consolidation et enrichissement d’inventaires locaux, afin de territorialiser des politiques publiques. Développée par le Cerema, Cartofriches permet également aux collectivités d’enrichir leur recensement de friches grâce à des caractéristiques complémentaires permettant de mieux décrire la friche et son environnement, afin de faciliter l’identification des usages possibles pour le réemploi de ces friches.
Cet inventaire national s’adresse à tout porteur de projet, public ou privé. Cartofriches a vocation à consolider ce recensement avec la participation des acteurs locaux au plus près du terrain. C’est en intégrant les données des observatoires locaux et des études de recensement portées par des acteurs de l’aménagement que l’inventaire national pourra être le plus pertinent et mis à jour.
Retours d'expérience
Les partenaires ont partagé leurs démarches de reconversion ou de valorisation écologique des friches. Les témoignages ont illustré l’importance du diagnostic pluridisciplinaire, de la concertation et d’une approche intégrée conciliant contraintes techniques, enjeux écologiques et besoins du territoire.
Ces témoignages montrent que la reconquête des friches et la préservation de la biodiversité ne sont pas des démarches opposées, mais bien complémentaires et porteuses de sens.
Déconstruction de la fonderie LFE de Stenay : cas du Grand Murin
Sébastien AGAMENNONE – Directeur Territorial, EPF Grand Est
La requalification de l’ancienne fonderie LFE de Stenay illustre la manière dont l’EPF Grand Est a su concilier un projet ambitieux de transformation d’un site industriel dégradé avec la préservation d’une colonie exceptionnelle de chiroptères protégés. Très tôt, le maître d’ouvrage a structuré son intervention autour d’une démarche environnementale exigeante : définition d’un périmètre de sensibilité autour du tunnel usinier, planification des travaux hors périodes sensibles, méthodes de déconstruction à faible impact et contrôle strict des vibrations et circulations d’engins. Ce pilotage, encadré par un arrêté préfectoral, a été renforcé par un suivi écologique hebdomadaire durant toute la durée du chantier.
L’organisation retenue par l’EPFGE s’est révélée déterminante lorsqu’un ouvrage souterrain inconnu a été découvert et que deux chambres en lien avec la galerie des chauves-souris ont été accidentellement ouvertes. La réaction immédiate du maître d’ouvrage – signalement, mobilisation des partenaires, mesures conservatoires, plan d’action validé en urgence – a permis de restaurer rapidement les conditions écologiques du gîte grâce à des ouvrages maçonnés assurant obscurité, stabilité thermique et absence de flux d’air.
Ce retour d’expérience montre qu’une opération de reconversion industrielle peut s’inscrire dans une dynamique de reconquête écologique, à condition d’intégrer dès l’amont les enjeux naturalistes, de maintenir un lien permanent entre équipes de terrain et écologues, et de disposer d’une capacité d’adaptation immédiate face aux imprévus. À Stenay, la coordination entre l’EPFGE, la DREAL, la CPEPESC, la maîtrise d’œuvre et les entreprises a permis de préserver l’une des plus importantes colonies de Grand Murin de Lorraine tout en déconstruisant les bâtiments.
Recyclage de bâtiments industriels pour un site destiné à la renaturation des sols
Noémie POUECH – Adjointe au responsable du service technique, EPF Hauts-de-France
L’EPF Hauts-de-France conduit, aux côtés de Valenciennes Métropole et des communes d’Artres et Sepmeries, un ambitieux projet de renaturation de l’ancienne friche industrielle VAL BOVAL, exploitée pendant plus d’un siècle et aujourd’hui dépourvue de vocation économique ou résidentielle. Dès l’acquisition du foncier en 2023, le maître d’ouvrage a structuré sa démarche autour d’une planification précise, organisée en deux grandes phases : la mise en sécurité par déconstruction des superstructures, puis la dépollution, la gestion écologique du site et les travaux de renaturation. L’opération s’appuie sur une convention de sept ans qui permet d’inscrire la transformation du site dans un cadre stratégique clair, intégrant économie circulaire, sécurité, biodiversité et usages futurs.
La préparation technique a été conduite de manière exhaustive : diagnostic faune-flore sur un an, caractérisation des pollutions, diagnostics amiante et plomb, levés topographiques et étude de faisabilité intégrant un scénario complet de renaturation. Ce travail d’amont a permis d’identifier des enjeux écologiques importants, avec une avifaune riche, plusieurs espèces protégées, neuf espèces de chiroptères dont un gîte de Pipistrelle commune, ainsi qu’un cortège d’insectes patrimoniaux et la présence du lézard des murailles. Ces éléments ont guidé la conception des mesures reconstructives et des futures interventions.
Phytomanagement sur le Grand Nancy, restauration du parc de la Seille à Metz, aménagements de ZAC
Timothé MULLER – Référent Milieux Naturels et Biodiversité, AERM / Nicolas VENANDET – Référent Assainissement des collectivités, eau et nature en ville, AERM
L’Agence de l’Eau Rhin-Meuse met en lumière, à travers plusieurs opérations menées depuis plus de vingt ans sur le territoire, la façon dont les maîtres d’ouvrage locaux ont su structurer des projets de renaturation ambitieux autour du cycle naturel de l’eau, de la biodiversité et de la reconquête des milieux dégradés. L’un des retours d’expérience les plus emblématiques est celui du parc de la Seille à Metz, où la ville a piloté entre 2000 et 2002 une transformation profonde d’un cours d’eau chenalisé et d’un lit majeur fortement dégradé. Le maître d’ouvrage a articulé son action autour d’un triptyque clair : restauration hydraulique (décaissement, création de zones inondables, bras secondaire), gestion intégrée des eaux pluviales en lien avec les nouveaux quartiers, et revalorisation paysagère et écologique. Les travaux ont été définis et suivis par plusieurs bureaux d’études spécialisés et réalisés par une entreprise experte en milieux aquatiques, avec un soutien financier significatif de l’Agence de l’Eau.
Cette approche intégrée s’est progressivement renforcée, donnant lieu à de nouvelles études et à des phases de travaux complémentaires entre 2006 et 2018, confirmant l’importance de l’adaptation continue et de la gestion par tranches pour restaurer durablement un système hydrologique urbain.
Les projets plus récents soutenus par l’AERM (phytomanagement sur le Grand Nancy, caserne de Lizé à Metz, friche d’Uxegney, ZAC de Meilbourg à Yutz) prolongent cette logique en intégrant la désimperméabilisation, la gestion intégrée des eaux pluviales, la restauration de zones humides, la reconstitution de lits majeurs et la restauration de continuités écologiques inscrites dans la Trame Verte et Bleue.
Dans ces opérations, les maîtres d’ouvrage mobilisent systématiquement une organisation fondée sur la pluridisciplinarité (urbanisme, hydraulique, paysage, écologie), la coordination étroite avec les services techniques, l’intégration précoce des enjeux eau-biodiversité dans la conception, et la recherche de cofinancements permettant de soutenir des aménagements parfois coûteux mais générateurs de gains fonctionnels majeurs. Cette structuration méthodique permet de transformer d’anciennes friches, des zones en mutation ou des quartiers denses en véritables infrastructures naturelles urbaines : noues, filtres plantés, prairies diversifiées, plantations arborées ou zones humides jouant un rôle hydraulique, écologique et récréatif.
À travers ces retours d’expérience, l’AERM illustre la montée en puissance des projets de renaturation urbaine, qui deviennent désormais un levier central pour adapter les territoires au changement climatique, restaurer la biodiversité locale et améliorer significativement le cadre de vie des habitants.
L’EPF a également engagé une démarche innovante visant à mesurer la fonctionnalité des sols avant, pendant et après la renaturation. Cette méthodologie – fondée sur une recherche bibliographique, des essais opérationnels sur plusieurs sites et des analyses physico-chimiques et biologiques – a vocation à devenir un référentiel interne pour l’ensemble des opérations de renaturation menées par l’établissement. L’objectif est d’évaluer l’incidence réelle des travaux sur les sols et d’objectiver le gain écologique dans la durée, de la livraison du site jusqu’à cinq ans après les travaux.
À travers cette opération, l’EPF Hauts-de-France démontre comment la requalification d’une friche industrielle peut devenir un véritable levier de renaturation territoriale, en combinant planification rigoureuse, intégration des enjeux écologiques dès l’amont et innovation méthodologique au service de la biodiversité.
Leviers financiers
Les dispositifs de financement disponibles ont été présentés : aides régionales, dispositifs de l’État, interventions de l’Agence de l’Eau et de l’Ademe. Les intervenants ont souligné l’intérêt d’un montage financier bien articulé entre les financeurs, permettant d’accompagner les porteurs de projets du diagnostic jusqu’aux travaux.
En Grand-Est, la reconversion et la restauration écologique des friches bénéficient d’un panel d’aides financières structuré notamment autour de quatre acteurs clés : la Région, la DREAL, l’Ademe et l’Agence de l’Eau. Ces dispositifs visent à lever les freins techniques, juridiques et financiers tout en intégrant des enjeux de biodiversité et de zéro artificialisation nette (ZAN).
- Région : la Région s’inscrit dans une logique de cofinancement et d’animation territoriale, notamment via des partenariats avec l’Ademe. Elle peut aussi mobiliser via des fonds européens (FEDER) ou régionaux pour compléter les aides, en particulier pour les projets intégrant des enjeux de trame verte et bleue (TVB). Elle dispose d’un fond de soutien à la résorption des friches qui vise l’accompagnement technique. Ce dernier est cependant temporairement mis en pause dans l’attente des nouvelles orientations régionales en la matière ;
- DREAL : En tant que relais de l’État, elle coordonne les appels à projets régionaux du Fond Friches (piloté par les préfets) et assure le suivi des opérations. Elle intervient aussi dans l’instruction des dossiers pour les friches polluées, en veillant à la conformité avec les objectifs ZAN et les documents de planification (SRADDET, PLU) ;
- Ademe : l’agence mobilise des fonds nationaux et régionaux pour soutenir les études préalables et les travaux de dépollution. Elle peut apporter un appui technique et méthodologique renforcé, en particulier sur les enjeux de mutabilité des sites, de gestion des pollutions et d’aide à la décision, tout en contribuant au financement de projets exemplaires ;
- Agence de l’Eau Rhin-Meuse : son intervention porte sur la restauration écologique des friches, notamment pour les sites impactant les milieux aquatiques. Elle finance des actions de renaturation (désimperméabilisation, création de zones humides) ou de gestion transitoire pour favoriser la biodiversité, en complément des dispositifs de dépollution. Ces aides s’articulent avec les objectifs de continuité écologique, de préservation des ressources en eau et de gestion intégrée des eaux pluviales.

Cette journée a permis de renforcer la culture commune autour des enjeux friches–biodiversité et de consolider une dynamique collective essentielle pour accompagner les territoires face aux défis de la sobriété foncière. Elle confirme que la friche, loin d’être seulement un héritage du passé, peut devenir une opportunité stratégique pour des territoires plus durables et vivants.
