25 novembre 2022
un groupe de personnes dehors sur le terrain
Comment vivre et agir dans une région affectée par des glissements de terrain lents ?
Comment améliorer la connaissance des glissements de la vallée du Beaumont (Isère, Hautes-Alpes)...et quelle réflexion collective peut émerger de l’ensemble des acteurs sur la gestion du risque engendré par ces glissements ?
Ce sont les questions auxquelles le projet de recherche opérationnelle du programme POIA (Programme Opérationnel Interrégional du massif des Alpes) piloté par le Cerema, tente de répondre au travers d'une démarche innovante menée sur quatre sites pilotes, qui associe les multiples acteurs des risques.

Le propre des glissements de terrain lents est qu'ils sont souvent insuffisamment appréhendés du fait précisément de cette dynamique, peu perceptible, qui ne les associe pas à des évènements catastrophiques. Pourtant, leurs effets sont bien présents, et affectent le fonctionnement du territoire. Les acteurs locaux - habitants, élus, gestionnaires d’infrastructures - y sont confrontés au quotidien : ce sont des routes ou bâtiments fissurés, des  terrains déformés … et autant de difficultés à les prendre prise en charge, à court et long terme.

Un séminaire de restitution est organisé les 14 et 15 décembre 2022.

 

Une démarche collaborative pour partager les points de vue

Ce projet piloté par le Cerema Centre-Est – Département Risques, Infrastructures et Matériaux, est mené en partenariat avec le Laboratoire ISTerre de l’Université Grenoble Alpes (UGA), le Laboratoire RIVES de l’ENTPE. Il est financé par l’Union européenne via les fonds FEDER, ainsi que par l’État et soutenu par la Région Paca en partenariat avec la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Il réunit  géotechniciens, sociologues, habitants, élus, gestionnaires dans cette démarche participative.

Dans le cadre du projet, une expérimentation opérationnelle, au plus proche de la réalité, est menée sur quatre sites pilotes du Beaumont (Isère, Hautes-Alpes) situés le long de la RN85, sur les communes de

  • Saint-Laurent-en-Beaumont,
  • Quet-en-Beaumont,
  • Les Côtes-de-Corps,
  • Corps,
  • Aspres-les-Corps,
  • Saint-Firmin.

Ces sites présentent une similarité d’origine géologique, car les terrains en mouvement sont majoritairement issus de dépôts accumulés aux époques glaciaires et interglaciaires du Würm (vers -50 000 ans) dans de grands lacs d’obturation aujourd’hui disparus. La compréhension du phénomène géologique, son suivi, son évolution dans le temps est ainsi abordée, tout comme la connaissance des préoccupations et des attentes des acteurs locaux.

Le Cerema en chef de file, associé à l’ UGA (Université Grenoble Alpes) et à l’ ENTPE (Ecole de l'aménagement durable des territoires), propose dans ce projet une démarche innovante, croisant l’approche scientifique avec celle des sciences humaines et sociales. Les résultats de cette recherche-action visent notamment à poser la première brique pour que se poursuivent des dynamiques territoriales de gestion du risque "mouvements lents".

 Ce projet piloté par le Cerema Centre-Est – Département Risques, Infrastructures et Matériaux, est mené en partenariat avec le Laboratoire ISTerre de l’Université Grenoble Alpes, le Laboratoire RIVES de l’ENTPE. Il est financé par l’Union européenne via les fonds FEDER, ainsi que par l’État et soutenu par la Région Paca en partenariat avec la Région Auvergne-Rhône-Alpes. 

Il comporte 3 axes:

  • AXE 1 : Connaissance des phénomènes géologiques - Cerema, UGA / ISTerre
  • AXE 2 : Suivi des mouvements de terrain et instrumentation - Cerema, UGA / ISTerre
  • AXE 3 : Approche humaine et sociale du risque - Cerema, ENTPE / RIVES

A noter qu'un axe "Modéliser et anticiper à grande échelle" n'a pas pu être mené.

 

AXE 1: CONNAISSANCE DES PHENOMENES GEOLOGIQUES

Carottes de sondages géologiques d'argiles
Carottes de sondages géologiques d'argiles

Cerema, UGA / ISTerre

Cet axe "connaissance des phénomènes géologiques" vise à mieux comprendre les mécanismes de glissement de terrain à l'oeuvre sur les quatre sites pilotes du Beaumont :

  • analyser la géologie et la géomorphologie locales
  • rechercher l'agencement des différentes couches de rupture
  • caractériser le comportement et les surfaces de rupture
  • caractériser le comportement mécanique du massif argileux

La connaissance de ces phénomènes est un préalable indispensable pour pouvoir, ultérieurement, représenter le massif sous la forme d’un modèle géologique, tel qu’il est actuellement et tel qu’il pourrait l’être dans le futur en fonction de l’évolution des conditions climatiques (pluviométrie/sécheresse, etc.), d’aménagement etc.

 

resultats géophysique représEntés sous la forme d'un bloc 3D

La figure ci-contre montre un exemple de résultat géophysique en trois dimensions (tomographies de résistivité électrique). Plusieurs profils ont été acquis le long de lignes (lignes blanches sur la figure) et ont été traités conjointement pour fournir une image en 3 dimensions.

La représentation peut se faire sous la forme d’un bloc 3D ou bien à l’ide de coupes à l’intérieur de ce volume (comme sur la figure). Dans le cas où le contraste de propriétés électriques est suffisamment prononcé entre les différentes unités géologiques, il est possible de les distinguer et de proposer un modèle géologique 3D, qui doit être validé à l’aide des différentes reconnaissances mécaniques effectuées sur le site.

 

 

Le terrain actuel s’est formé par dépôts sédimentaires, à l’époque Wurmienne (-100000 à -10000 ans av.JC), au fond du lac glaciaire du Beaumont. Ces dépôts sont entrecoupés de formations morainiques (érosion et transport par les glaciers) ou d’alluvions fluviatiles (érosion et/ou transport par les torrents). On parle d’"argiles litées" car on observe une superposition de couches de différentes couleurs correspondant à des dépôts d’argiles, de limons, ou de sables fins, en fonction des saisons.

Les terrains ont ensuite été inégalement érodés par la rivière du Drac et par ses affluents comme la Sézia, ce qui a favorisé l’initiation des glissements de terrain. De manière générale, l’eau joue un rôle central, par l’érosion qui modèle les paysages et par l’infiltration dans les terrains qui modifie les niveaux piézométriques et par conséquent l’équilibre mécanique des masses de sol.

Comme ceux du Trièves voisin, les glissements des argiles du Beaumont ont une vitesse lente et leur évolution peut être très différente d’un site à l’autre.

 

Pour en savoir plus :

AXE 2 : SUIVI DES MOUVEMENTS DE TERRAIN ET INSTRUMENTATION

Cerema, UGA / ISTerre

Instrumentation sur site pilote 
Instrumentation sur site pilote 

L’instrumentation d’un glissement de terrain vise à mieux connaître son comportement, ou à surveiller ses déplacements dans un objectif de protection des personnes et des biens. À ce jour, les techniques d’instrumentation et de surveillance sont souvent utilisées ou développées pour des glissements de terrain de grande ampleur, présentant des vitesses de déplacement élevées.

Par ailleurs, leur coût peut s’avérer prohibitif en comparaison des enjeux présents sur le terrain. Cela est plus particulièrement vrai dans le cas des glissements lents, qui génèrent des désordres progressifs et dans des contextes souvent ruraux.

Cet axe vise à déterminer les outils ou méthodes d’instrumentation particulièrement adaptées aux glissements de terrain lents.

tableau

 

Quels outils, quelles méthodes d’instrumentation pour les mouvements de terrain lents ? La pertinence des méthodes ou outils appliqués à ces glissements est jugée selon l’usage qui en est fait :

Le projet MLA3 permet de suivre les mouvements sur plusieurs années, et de tester de nouveaux types ou méthodes d’instrumentation, et ceci dans deux objectifs différents :

  • gestion de la route : suivre le comportement du glissement de terrain pour surveiller et engager des travaux potentiels (instrumentation existante mise en place par la Direction Interdépartementale des Routes Méditerranée, Cerema),

  • amélioration de la connaissance scientifique du glissement : observer, mesurer, analyser, comprendre, voire prédire (instrumentation mise en place par le Laboratoire IsTerre, Cerema)

Les quatre sites pilotes situés le long de la RN85 sont équipés d’une instrumentation géotechnique et de suivi hydro-météorologique. Celle-ci est différente selon les sites, faisant appel à différents outils ou techniques :

  • suivi géodésique ponctuel,

  • relevé par scanner laser de moyenne portée,

  • analyse d’images satellite,

  • suivi hydro-météorologique

  • suivi géodésique permanent,

  • suivi du bruit de fond sismique,

  • suivi piézométrique,

  • suivi inclinométrique (ponctuel et également autonome).

Cette instrumentation n’est pas identique sur les quatre sites : le site de Charlaix fait l’objet du suivi le plus complet. En effet, la connaissance déjà acquise par le passé et depuis plusieurs années par le Cerema et le Laboratoire ISTerre permet d’avoir une analyse plus détaillée des résultats de mesure.

La figure suivante présente un exemple d’instrumentation à l’aide de stations GPS sur le site de Charlaix. Deux stations ont été mises en place, de part et d’autre de la zone qui se déforme le plus. Une mesure quotidienne est effectuée (sessions d’une heure).

Schéma de l'implantation de l'instrumentation (sur Google maps) et limite de la zone en mouvement (en pointillés bleu)
Schéma de l'implantation de l'instrumentation (sur Google maps) et
limite de la zone en mouvement (en pointillés bleu)

 

Les résultats (figure suivante) montrent que, bien que séparées d’une courte distance, les stations mesurent des comportements très différents avec une vitesse trois fois plus importante pour la station GPS 3 (< 2 cm/an pour la station GPS 2 et 6.5 cm/an pour GPS3).

Déplacements enregistrés par les différents GPS sur le site pilote instrumenté
Déplacements enregistrés par les différents GPS sur le site pilote instrumenté

 

Un suivi de la géochimie de l'eau prélevée sur les sites étudiés apporte en complément des informations sur les mécanismes de mouvements.

 

axe 3 / APPROCHE HUMAINE ET SOCIALE DU RISQUE

Cerema, ENTPE / RIVES

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Habitants, élus, experts sur le terrain pour un atelier collectif

Cet axe questionne les places respectives de l’expert et du citoyen dans la gestion des risques provoqués par les glissements de terrain sur la RN85. Il développe les notions de perception du risque et d’incertitude, sur la zone étudiée.

L’apport des sciences humaines et sociales associé à la démarche géotechnique revêt un caractère innovant : habitants, élus, gestionnaires de la route, chercheurs et experts en géologie-géotechnique, chercheurs en sciences humaines et sociales échangent, confrontent leur point de vue, apportent leur vision...et croisent alors leur regard sur le risque de glissements de terrain.

  • Quelle est la vision du territoire ? Est-elle partagée par les différents acteurs ?
  • Quelle est la vision de l’expertise ? Est-elle compréhensible par tous ?

Le recours aux sciences humaines et sociales peut permettre d’améliorer le lien entre l’expertise du risque et la décision publique, en particulier dans un contexte d’incertitude lié au phénomène naturel du glissement de terrain : en comprenant mieux la perception des uns et des autres, cette démarche facilite le dialogue entre tous les acteurs.

Cet axe est mené sous la forme d’une démarche participative. La place des acteurs locaux et des habitants dans la compréhension et la gestion du phénomène « glissements de terrain lents » au côté de la dimension géologique du projet, sont en effet au cœur des travaux de recherche. Il est donc essentiel d’associer le plus possible les acteurs locaux à la démarche.

  • Une vague d’entretiens auprès des habitants et élus des communes étudiées, est réalisée avant le début de l’intervention des experts géologues-géotechniciens. Elle permet de mesurer les effets de la démarche auprès des différents acteurs
  • Des ateliers participatifs regroupant élus, habitants, gestionnaires d’infrastructure, chercheurs, experts, sont mis en place afin de capitaliser les connaissances et la mémoire locale, et de croiser les regards
  • Des visites de terrain avec les habitants et les experts géologues-géotechniciens sont organisées

Atelier collectif - habitants, élus, associations, gestionnaires de la route, géotechniciens, sociologues
Atelier collectif - habitants, élus, associations, gestionnaires de la route, géotechniciens,
sociologues

Ce projet innovant a permis de mieux connaitre ces argiles si particulières, et leurs mécanismes de glissements lents affectant le territoire telles que les routes, les bâtiments, les terrains.

Les acteurs concernés - élus, habitants, associations, gestionnaires routiers, géotechniciens, chercheurs, sociologues - ont pu échanger autour de cette question des risques et partager leur vison du territoire. 

Un comité de pilotage ( COPIL ) pour la démarche sociologique

reunion avec divers participants élus, techniciens, sociologues

Pour orienter, suivre la démarche et son avancement, un comité de pilotage (COPIL) est mis en place dès le lancement du projet. Il est composé d’élus (maires ou conseillers) de chacune des communes impliquées dans le projet, du gestionnaire de la route nationale (Direction Interdépartementale des Routes Méditerranée) et des risques sur le territoire (Direction Départementale des Territoires), des chercheurs sociologues (Cerema, ENTPE) et géologues-géotechniciens (Cerema, Université UGA, ONF/RTM) et enfin du PARN (Pôle Alpin des Risques Naturels).

Ce COPIL s’est réuni à plusieurs reprises et tout au long du projet afin de veiller collectivement à remplir l’objectif de cet axe à savoir la mise en relation des acteurs, à la création d’espace d’échanges et d’expression autour d’un sujet commun, les « glissements de terrain lents », dans une démarche de gestion intégrée des risques naturels.

Vidéo de restitution du projet