L’écologie routière s’intéresse aux moyens d’évaluer ces impacts, mais aussi aux moyens de les éviter, les réduire, ou si nécessaire les compenser.
Les schémas régionaux de cohérence écologique constituent une avancée notable en faveur de l’action, notamment par la prise en compte des corridors écologiques. Les passages à faune constituent un élément de réponse. Ils doivent permettre la circulation d’animaux aussi variés que cerfs, amphibiens ou chauves-souris. Leur financement peut toutefois constituer un obstacle à leur mise en œuvre à la hauteur des enjeux. Enfin, les dépendances vertes peuvent constituer des milieux de substitution et des corridors écologiques, pour les espèces courantes ou remarquables, mais aussi pour des envahisseurs biologiques.
L’intégration de la thématique de la préservation de la faune et de la flore doit désormais être considérée comme participant pleinement au projet en lui-même, de manière aussi anticipée que possible.
Les collisions, impact le plus visible des infrastructures sur la faune sauvage
La mortalité directe est l’effet le plus visible de la circulation sur la faune.
On considère que la collision avec une espèce à un endroit donné de manière répétée révèle à cet endroit une connexion biologique en conflit avec l’effet barrière de la route. Pour les espèces aux capacités de déplacement les plus réduites, l’effet de la route est tel qu’il peut remettre en cause l’existence de populations locales, notamment d’amphibiens. Sur le long terme, l’isolement des populations ne permet plus le brassage génétique indispensable pour assurer la variabilité génétique suffisante, la dynamique des populations et l’évolution des espèces.
Pour répondre aux enjeux de libre déplacement des espèces, certains gestionnaires routiers ont mis en place un protocole de relevé des collisions. La direction interdépartementale des routes ouest comptabilise ainsi chaque année plus de 5000 animaux morts par collision avec les véhicules, ce qui représente en moyenne 3,5 collisions/km/an pour environ 34 tonnes de biomasse ! Bien qu’impressionnants, ces chiffres sont en deçà de la réalité. Le test d’un protocole scientifique réalisé par le Cerema lors de passages dédiés au dénombrement des cadavres d’animaux permettrait au bas mot de multiplier le nombre d’animaux morts par 5, notamment pour les petites espèces plus difficilement détectables.
Parmi d’autres données, l’analyse des collisions permet aux gestionnaires routiers de programmer, en fonction des enjeux locaux, des aménagements pour l’amélioration de la transparence écologique de leurs infrastructures : fonçage de buses sèches, requalification d’ouvrages de desserte locale, hydrauliques, agricoles ou forestiers, aménagement des abords par le déplacement ou la mise en place de clôtures, gestion de la végétation des dépendances routières.
L’amélioration de la transparence écologique des routes permet aussi d’augmenter la sécurité des usagers. En effet, selon une estimation du fonds de garantie des assurances obligatoires, chargé d’indemniser les victimes de préjudices, il se produit chaque heure, 5 collisions entre un véhicule et la faune sauvage. Parmi ce nombre considérable d’accidents, la sécurité routière a comptabilisé 11 accidents mortels d’usagers pour l’année 2015.
schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) : améliorer la connaissance et restaurer les continuités écologiques
Les régions Auvergne-Rhône-Alpes (ARA) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) se sont donné comme priorité de créer une dynamique autour de la connaissance et du traitement des impacts des infrastructures de transport sur la trame verte et bleue (TVB).
Ainsi, un dispositif d’animation multi-partenarial est mis en place dans les territoires, rassemblant l’État, la Région, le Cerema, les gestionnaires d’infrastructures et des associations naturalistes. Des instances de partage et de mutualisation de connaissances sont créées.
Quelques actions phares déployées ou en projet :
- formations à destination des gestionnaires d’infrastructures (ARA),
- création d’une base de données régionale rassemblant les données sur les collisions et développement, en région ARA, d’une application smartphone de déclaration des collisions (Vigifaune),
- diagnostics de transparence écologique et propositions d’aménagement sur les secteurs prioritaires (deux régions) ; projet de création d’une base de données sur le diagnostic de porosité des ouvrages d’art (PACA),- information régulière sur les possibilités de financement des études et travaux,
- mise en place de dispositifs impliquant les acteurs locaux pour la réalisation d’opérations concrètes : « contrat Vert et Bleu » ; ateliers territoriaux. Cette approche sur les infrastructures doit faire partie d’une démarche plus globale d’aménagement du territoire incluant notamment l’urbanisme et l’agriculture, pour permettre la préservation et la restauration des continuités écologiques.
Les passages à faune, entre coût et bénéfice pour la société
Il est d’usage de dire que les passages à faune coûtent cher.
Certes, ces ouvrages présentent des coûts qui hors contexte peuvent apparaître élevés : quelques dizaines de milliers d’euros pour l’aménagement d’un passage existant, jusqu’à 500 k€ pour un dispositif de franchissement pour amphibiens, 1 500 k€ pour un éco-pont de 12 à 20 mètres. Toutefois, ce coût doit être relativisé, rapporté au coût total de l’infrastructure dont il contribue à réduire l’impact (8 à 11 M€ par km pour une autoroute). Il y a lieu également de prendre en compte le fait que de nombreux ouvrages de rétablissement des déplacements de la faune se font en complémentarité d’autres fonctions (agricoles, hydrauliques et forestières) ; en réalité le surcoût de prise en compte des besoins de la faune reste alors relativement faible.
Alors que les ouvrages spécifiques et les grands passages répondent à des enjeux particulièrement forts en termes d’espèces et de corridors écologiques, l’amélioration des passages existants représente un « gisement » important d’améliorations de la continuité écologique sur le territoire, pour des coûts unitaires parfois réduits.
Par ailleurs, l’acceptation sociétale de ces dispositifs de franchissement n’est peut-être pas appréhendée de manière suffisamment volontariste en France. On constate encore parfois des réactions de rejet par le public devant des dépenses jugées élevées. Pourtant, une concertation préalable avec tous les acteurs concernés, et une meilleure connaissance par le public des services écosystémiques, les services rendus par la nature à l’humain), seraient de nature à améliorer cette acceptation.
Des tunnels pour les amphibiens
La traversée des routes est un obstacle le plus souvent mortel pour les grenouilles, crapauds, tritons et salamandres, évalué à 25 à 50 millions d’adultes reproducteurs écrasés chaque année en France (source Cerema) ! En effet, ces batraciens quittent chaque printemps leur quartier d’hiver, le plus souvent forestier, et se déplacent par milliers en direction de plans d’eau pour se reproduire. Cette mortalité directe s’ajoute aux nombreuses autres atteintes qui pèsent déjà sur ce groupe de vertébrés terrestres le plus menacé au monde.
Plusieurs centaines de dispositifs de franchissement ont été recensés le long des voies de circulations dont la plupart sont des dispositifs temporaires (barrières et seaux) mis en œuvre par des bénévoles à la sortie de l’hiver jusqu’au mois d’avril. S’il est possible à de rares occasions de fermer temporairement la route et dévier le trafic, méthode la plus efficace, une autre solution née de la rencontre entre le génie civil et le génie écologique est celle de construire des tunnels permanents à amphibiens.
Appartenant à l’histoire de l’écologie routière, cette démarche a vu le jour pour la première fois en France, en 1984 au Lac de Kruth-Wildenstein (Haut-Rhin). Véritable ouvrage d’art constitué de barrières de guidage ou collecteurs, et de tunnels ou traversées, il a connu quelques évolutions au cours des trois décennies qui ont suivi.
Toutefois, s’ils jouent leur rôle pour la migration aller des espèces à reproduction explosive, l’évolution préoccupante des zones humides et de l’état des populations d’amphibiens impose d’en construire en plus grand nombre et d’améliorer ceux qui existent. Plusieurs démarches sont en cours afin de proposer des solutions techniquement, écologiquement et économiquement plus efficaces.
Infrastructures de transport et chiroptères
Les chauves-souris sont les seuls mammifères à pratiquer le vol actif (non plané). Nocturnes, elles se déplacent à grande vitesse par écholocation (émissions d’ultrasons). En métropole, étant insectivores, elles ont également la spécificité d’avoir un cycle biologique guidé par la ressource alimentaire. L’absence d’insectes en hiver les conduit ainsi à hiberner dans les milieux souterrains qu’elles quittent au printemps suivant pour rejoindre des sites généralement plus chauds (combles, ponts…). Toutes les espèces en France sont protégées.
La route apparaît comme l’une des menaces importantes pour leur conservation. Si dans un premier temps, par son emprise, la construction d’une infrastructure entraîne la suppression directe des habitats (terrains de chasse, gîte) et la fragmentation de l’espace, les collisions avec un véhicule restent l’effet le plus visible. L’intersection entre une infrastructure et les structures paysagères (haies, lisières …) utilisées par de nombreuses espèces pour se guider peut notamment constituer de véritables points noirs de collision.
Si leur conservation nécessite avant tout la préservation des habitats, de nombreuses mesures sont aujourd’hui proposées pour pallier les impacts locaux et notamment réduire les collisions. Ces mesures visent en particulier à :
- à favoriser le franchissement de la route par les chauves-souris au droit des passages sécurisés (passage faune, passage agricole) en guidant les espèces par des plantations le long de la route qu’elles suivent instinctivement jusqu’aux ouvrages,
- à augmenter leur hauteur de vol au droit des points de conflits par la pose d’écrans ou de grillages de manière à les faire passer au-dessus des véhicules.
Les dépendances vertes, lieu d’expression de la biodiversité, réalités et limites
La surface des dépendances vertes est difficile à évaluer. En 1994, le Sétra l’estimait à 3200 km², pour un réseau routier français d’un million de kilomètres. Aujourd’hui, l’évolution du réseau (+15 % en 25 ans ; source MTETM 2016) et l’amélioration des connaissances permettent de mieux estimer ces surfaces pour arriver à les situer entre 450 et 600 000 ha (source Cerema). Celles-ci peuvent varier de moins d’un mètre de large, de chaque côté pour des routes communales, à plus de 20 mètres de chaque côté pour des autoroutes.
Les dépendances routières, milieux de transition entre la chaussée et le paysage environnant, assurent différentes fonctions techniques pour le gestionnaire routier et l’usager . Elles offrent des milieux végétalisés très différents : pelouses rases sur substrats peu profonds en bord de route, végétations prairiales sur les accotements, lisières, formations arbustives jusqu’au stade forestier sur talus et délaissés ou encore milieux humides du réseau d’assainissement routier. Elles constituent à ce titre des lieux importants d’expression de la biodiversité.
Tout en priorisant la sécurité routière et l’entretien de ses équipements, le gestionnaire doit procéder avec les bons outils et pratiques à une gestion équilibrée dans l’espace et le temps, de son patrimoine végétal.
Les dépendances vertes routières constituent des habitats notamment des refuges pour les pollinisateurs, et des corridors intéressants pour la faune. Cependant le gestionnaire doit être conscient qu’elles jouent le même rôle pour les espèces végétales et animales invasives. À ces différents titres, ces espaces et leurs gestionnaires ont donc un rôle majeur dans la préservation de la biodiversité.
Sécurisation des projets d’infrastructures
La procédure de demande de dérogation à la protection des espèces protégées prévue par le code de l’environnement a longtemps été considérée comme un facteur d’insécurité juridique pour les projets. Elle a néanmoins permis une prise de conscience de l’enjeu que représente la biodiversité dans leur réalisation.
Face aux difficultés récurrentes des aménageurs, l’État a chargé le Cerema d’étudier des dossiers routiers et ferroviaires représentatifs et d’interroger les maîtres d’ouvrages et les services instructeurs impliqués, afin d’établir des recommandations destinées à améliorer la qualité et la sécurité juridique des dossiers et leur instruction.
Premièrement, l’analyse doit se fonder sur un diagnostic solidement étayé quant à la présence, ou à l’absence, des divers groupes de faune et de flore protégés, de leurs habitats et de leurs corridors sur l’aire d’influence du projet. Une bibliographie claire et une méthodologie explicitant les aires d’étude et les protocoles et conditions d’inventaires sont les premiers indicateurs de qualité de l’état initial visés.
Deuxièmement, la sécurisation de la procédure s’appuie sur la bonne application de la séquence Éviter, réduire, compenser. Les maîtres d’ouvrages doivent donc porter leurs efforts sur l’évitement, et à défaut sur la réduction des impacts. En cas d’impacts résiduels, les mesures compensatoires proposées devront être réalisables, efficaces écologiquement et d’une durée égale à celle de l’impact à pallier.
La forme du dossier est aussi importante. Il doit être autoportant et contenir toutes les données nécessaires issues de dossiers et procédures annexes. Sa rédaction doit viser l’efficacité, en ciblant les informations utiles pour la compréhension de l’analyse. La pertinence des cartographies est aussi attendue. Enfin, la conclusion doit être explicite sur les trois critères de recevabilité de la demande.
Si l’instructeur joue un rôle de conseil dans le cadrage préalable de la procédure, son issue incombe au maître d’ouvrage. A lui d’argumenter son projet, de développer des solutions d’évitement, de s’engager sur les mesures et de s’adjoindre un bureau d’étude expérimenté sur les sujets « faune flore » et sur la séquence éviter, réduire, compenser, pour évaluer l’état de conservation des espèces concernées.
Conclusion
La société prend peu à peu conscience de l’impact des infrastructures sur la biodiversité. Au-delà d’une consommation d’espace importante, elles entraînent la disparition de millions d’individus, et réduisent les indispensables échanges de populations. La mise en œuvre graduée de l’évitement, de la réduction, et de la compensation, s’impose donc : il en va du maintien des services écosystémiques que la Nature nous offre.
Ayons également à l’esprit que chaque kilomètre non parcouru contribue in fine à réduire les impacts.
Principaux contacts :
⇒ Le programme ITTECOP (infrastructures de transport terrestre, écosystèmes et paysages) [1]
⇒ Le centre d’étude et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) [2]
⇒ L’agence française pour la biodiversité [3]
⇒ Le muséum national d’histoire naturelle [4]
⇒ Les bureaux d’étude, associations, services environnement ou infrastructures de l’État et des collectivités.
Auteurs :
Virginie Billon, Cerema Centre-Est,
Jean-François Bretaud, Cerema Ouest,
Luc Chrétien, Cerema Est, coordinateur de l’article
Nicolas Georges, Cerema Méditerranée,
Alain Morand, Cerema Est,
François Nowicki, Cerema Est,
Olivier Pichard, Cerema Nord-Picardie,
Christophe Pineau, Cerema Ouest,
Agnès Rosso-Darmet, Cerema Méditerranée,
Gérald Tekielak, Cerema Est,
[1] http://www.ittecop.fr/
[2] http://www.cerema.fr/ et particulièrement les études menées sur la prise en compte des milieux naturels dans les projets d’aménagement :
http://www.cerema.fr/faune-et-flore-r127.html
[3] http://www.afbiodiversite.fr/
[4] https://www.mnhn.fr/