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Depuis 2015, excepté l’été 2021, la France métropolitaine connaît des sécheresses de plus en plus intenses, fréquentes sur des périodes plus longues, imputables au changement climatique. En 2022, la France a connu pour la 6e fois en 10 ans une sécheresse de grande ampleur. La sécheresse 2022, dont le coût est aujourd’hui estimé à plus de 3,5 Md d’euros, bat tous les records depuis 1989, année d’intégration de la sécheresse dans le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (Cat-Nat), et dépasse de loin la sécheresse de 2003, référence en la matière ! Au 30 janvier 2024, après 11 arrêtés parus au Journal officiel, il y a déjà plus de 6 700 communes reconnues Cat-Nat sécheresse 2022, un record absolu.
Même pendant l’hiver, où l’on s’attend à des précipitations régulières et des températures de saison, la « sécheresse hivernale » peut prolonger celle de l’été et affecter davantage les sols argileux. C’était le cas durant l’hiver 2022-2023. Paradoxalement, quand des épisodes ponctuels de fortes précipitations provoquent des inondations, comme dans le nord ces derniers mois, cela pourrait être très préjudiciable pour les maisons si l’été 2024 venait à être très chaud et sec.
Le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux, appelé « RGA », est connu et documenté depuis plus de 30 ans en France et à l’international où d’autres pays sont également concernés (Royaume-Uni, États-Unis, Australie, Afrique du Nord, etc.). Le RGA se manifeste quand le sol se rétracte pendant la sécheresse et gonfle quand il pleut. Ce mouvement du sol peut déstabiliser les maisons qui se fissurent et dans le cas extrême menacent de s’effondrer.
Plus de 10 millions de maisons exposées au retrait-gonflement des argiles
Cependant, dans le contexte actuel du changement climatique, le phénomène de RGA prend incontestablement une nouvelle dimension très préoccupante avec une expansion géographique des zones exposées, une aggravation de ses conséquences sur le bâti avec un coût de la sinistralité croissant et une cinétique accélérée, un impact sociologique et psychologique fort sur les personnes. L’évolution du phénomène de RGA peut notamment se manifester à travers une dessiccation des sols de plus en plus profonde, au-delà de 3 mètres de profondeur, et des déformations importantes pouvant induire plus de dommages aux bâtiments construits dans ces zones.
Le dernier recensement en vigueur, publié par le ministère de l’Écologie en juin 2021, identifie plus de 10,4 millions de maisons potentiellement très exposées au RGA. Sachant que ces chiffres ne tiennent pas encore compte des sécheresses de 2020 à 2022, il y aurait davantage de maisons exposées et celles déjà identifiées ont dû subir des dommages qui dans certains cas se sont même aggravés. Il est donc urgent d’agir pour l’adaptation de ces bâtiments via des dispositions techniques permettant de réduire leur vulnérabilité au phénomène de RGA.
En termes de techniques classiques, souvent qualifiées par les acteurs qui les recommandent et ceux qui les appliquent comme « réparatrices », il y a par exemple :
l’agrafage des fissures, qui consiste à « coudre » les fissures apparues par des agrafes métalliques ;
l’injection de résine expansive dans le sol de fondation à travers un réseau de forages de petit diamètre sous les fondations ;
la reprise en sous-œuvre (RSO) pour transférer les charges de la structure sur des micropieux, de diamètres compris entre 80 mm et 150 mm, réalisés par forage et coulés en place.
Une nouvelle solution pour stabiliser les sols argileux
Ces techniques ne sont pas suffisamment efficaces. C’est pourquoi notre équipe de recherche sur le RGA est la première à développer le principe de « réhydratation des sols argileux pendant la sécheresse » pour concevoir une nouvelle solution de prévention et de remédiation « MAison Confortée par Humidification » dite MACH, compatible avec certaines configurations de maisons exposées et/ou fissurées par le RGA.
Dès 2006, notre équipe s’est intéressée à la compréhension scientifique des mécanismes en cause dans le phénomène de RGA et dans ses implications en termes d’endommagement des structures affectées. Fort de ce retour d’expérience, le Cerema développe depuis 2015 le procédé innovant MACH, basé sur la réhumidification du sol argileux pendant les périodes de sécheresse afin de rééquilibrer son état hydrique et réguler son humidité et ainsi limiter l’impact de la fissuration de dessiccation et la détérioration des propriétés hydromécaniques du sol sur les bâtiments.
Le RGA est un phénomène naturel qui se produit dans les sols contenant des fractions argileuses sensibles aux variations de teneur en eau en fonction des conditions météorologiques de sécheresse ou de précipitations. Cela concerne plus de 52 % des sols métropolitains. Ce phénomène irréversible dépend de la nature minéralogique du sol argileux (typologie des argiles) et de l’environnement proche dans lequel il se produit.
L’analyse des conséquences du RGA sur les maisons requière la prise en compte de l’ensemble des éléments impliqués : la structure de l’ouvrage, le sol de fondation, la météorologie locale et surtout l’environnement proche dans lequel la maison est implantée à savoir : la végétation, la gestion des eaux, l’évapotranspiration.
Les conséquences de la sécheresse et du phénomène de RGA ne se limitent pas aux seuls dommages matériels du bâti et aux coûts assurantiels, à la tendance croissante. L’impact sociologique et psychologique subi par les sinistrés au quotidien est tout aussi important à prendre en compte : l’aspect cumulatif et la cinétique lente du RGA, la récurrence et l’intensité des événements météorologiques dans le contexte du changement climatique et la lenteur des procédures d’indemnisation, sont autant de facteurs de préoccupation pour les sinistrés.
La réhydratation localisée et contrôlée des sols : un procédé en développement
De 2016 à 2020, nous avons installé le dispositif expérimental MACH sur une maison sinistrée par la sécheresse en présence de ses occupants, située dans la commune de Mer (41). Une instrumentation in situ a été mise en place dont l’implantation des sondes de succion dans le sol est l’élément principal, permettant d’opérer l’humidification ciblée et contrôlée du sol de fondation durant les périodes de sécheresse.
Des fissuromètres posés sur quelques fissures existantes ont permis d’analyser l’apport de la réhumidification du sol dans la stabilisation de leur ouverture pendant la sécheresse. Les résultats observés durant les 4 années de sécheresse intense de 2017 à 2020 sont satisfaisants tant en termes de stabilisation d’ouverture des fissures existantes que d’absence d’apparition de nouvelles fissures sur les façades confortées.
Cette solution est à la fois écologique, peu coûteuse et durable. À titre indicatif, le procédé expérimental MACH a été mis en place pour un coût total de 15 000 euros HT, soit un coût nettement inférieur à celui d’un confortement en sous-œuvre traditionnel en moyenne supérieur à 100 000 euros HT.
Les travaux de recherche et développement se poursuivent aujourd’hui à travers des déploiements qui sont menés en parallèle à horizon 2026 :
Le projet MACH Series qui vise à réaliser de nouvelles expérimentations sur des maisons avec des configurations différentes. L’objectif est de confirmer le caractère reproductible du procédé MACH et son adaptabilité aux différents sites selon la typologie de la nature des sols, la météo locale et le type de structure du bâti.
La solution intelligente MACH+ : cette solution, déjà automatisée au moyen de deux systèmes embarqués, vise à intégrer l’intelligence artificielle pour corréler la réhumidification du sol en fonction des seules données météorologiques locales. Ceci permettrait in fine de s’affranchir de la mesure continue de la succion du sol par des capteurs enterrés.
L’objectif de ces travaux est de développer de nouvelles solutions d’adaptation écologiques, pérennes et accessibles économiquement à tous. La solution MACH+ intelligente, durable et facile à poser, conviendrait à la fois en prévention sécheresse pour les nouvelles constructions et les maisons existantes exposées au RGA sans dommages mais aussi en stabilisation pour les maisons existantes exposées et fissurées. Concernant la ressource en eau de la solution MACH+, des travaux sont en cours pour développer un filtre écologique, constitué de matériaux recyclés, afin de réutiliser les eaux usées domestiques (eaux grises) localement pour réhumidifier le sol de fondation pendant la sécheresse.
Lamine IGHIL AMEUR, Chercheur en mécanique des sols, Cerema
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.