Cet article fait partie du dossier : Réglementation Environnementale 2020 : réduire l’impact carbone des bâtiments neufs (Dossier RE2020)
Voir les 19 actualités liées à ce dossierUn tour d'horizon proposé par Construction 21 avec Laurent Arnaud, chef du département Bâtiments Durables au Cerema, Docteur Habilité à Diriger des Recherche, ayant travaillé 20 ans sur les matériaux biosourcés.
Quels sont les principaux enjeux des matériaux biosourcés aujourd’hui ?
Il est nécessaire de préciser une chose : s’il est d’actualité aujourd’hui, le débat sur les biosourcés est bien plus ancien. C’est l’une des spécificités de la France qui reste aujourd’hui à la pointe sur ce sujet, bien que d’autres pays comme l’Allemagne aient réussi à les intégrer très tôt dans la construction pour des usages spécifiques.
Le chanvre est par exemple étudié depuis les années 90 et ses règles de mise en œuvre ont été émises dès le début des années 2000. Depuis lors, on assiste à une vraie diversification de l’offre de matériaux biosourcés. Lors des débuts des travaux sur ces matériaux, il y a 30 ans, le Cerema, qui existait alors sous la forme des CETE de l’Equipement, a joué déjà un rôle important en accompagnant les premières initiatives et en produisant des travaux d’expertise.
Récemment, la loi ELAN a consacré les matériaux biosourcés en préconisant clairement le recours aux matériaux renouvelables et en inscrivant la performance environnementale comme l’une des problématiques principales pour les bâtiments. Pour le neuf, la RE2020 sera une étape importante en ce sens. Au-delà, des attentes fortes portent sur la prise en compte des transferts hygrothermiques qui sont l’une des qualités intrinsèques de la plupart des matériaux biosourcés utilisés comme isolants. Sur le plan de l’analyse de cycle de vie (ACV), un des éléments clefs est la durée de vie considérée. Elle est aujourd’hui fixée à 50 ans quel que soit le matériau, mais, surtout, il faudrait valoriser le puits à carbone que représente l’utilisation de ces matériaux. Une valorisation du stockage carbone est donc attendue dans la réglementation.
Enfin, il me semble nécessaire d’insister sur les fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) qui permettent le calcul du bilan carbone d’un produit. Les "petites" filières bénéficient du soutien de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) afin d’établir ces FDES car celles-ci restent coûteuses. Elles sont pourtant indispensables afin d’avoir des coefficients spécifiques pour le calcul de l’ACV des bâtiments. Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée des chemins avec des initiatives règlementaires intéressantes, mais un manque de visibilité quant à leur contenu qui font que les filières biosourcées restent dans l’expectative.
Transferts hygrométriques ou calcul de l’analyse de cycle de vie sont des éléments importants. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’hygrométrie est un élément important de la performance énergétique, notamment en ce qui concerne la rénovation. Au Cerema, nous avons des programmes de recherches qui visent à modéliser les transferts d’humidité entre l’air intérieur et extérieur.
Nous souhaitons proposer des modes de calcul qui permettront, à terme, d’intégrer le transfert hygrométrique dans la réglementation thermique en complément de l’étanchéité de l’enveloppe. L’air est l’un des meilleurs isolants quand il est encapsulé et maîtrisé. Les échanges intérieur/extérieur permettent par exemple de réduire la formation d’humidité à isolation équivalente, ce qui a un effet bénéfique notamment sur la qualité de l’air intérieur. Sur ce point, les matériaux biosourcés sont naturellement performants pour peu qu’ils soient bien mis en œuvre.
Concernant le cycle de vie, la durée de vie du matériau est importante, mais nous disons surtout une chose : si l’on commence à réaliser des puits de carbone un peu partout sur la planète et que l’on estime que cela représente une solution contre le réchauffement climatique, pourquoi ne prend-on pas en compte cette donnée pour les matériaux de construction ?
La réglementation doit ainsi aller vers la quantité de carbone stockée tout au long de la durée de vie. Une étude sur un mur de 1m2 par 35 cm en béton de chanvre a montré que celui-ci stocke 35 kg de CO2 immédiatement et tout au long de sa durée de vie, alors que tout ce qui est minéral en rejette instantanément.
Il se dit souvent que les matériaux biosourcés ont de meilleures performances que les autres matériaux, est-ce vrai ?
Pour moi cela est un faux débat. Chaque matériau possède des caractéristiques bien particulières et les biosourcés constituent une famille très vaste. Une chose est sûre néanmoins, ils peuvent aussi bien servir pour la construction, que l’isolation ou la finition. Ce sont également des matériaux qui ont des performances environnementales remarquables :
- Ils sont renouvelables annuellement,
- Ce sont des puits carbones,
- Ils sont disponibles localement (circuit court) et réduisent donc l’empreinte carbone liée au transport,
- La plupart de ceux que nous étudions sont des co produits de l’agriculture et ne sont pas valorisés autrement que dans le domaine de la construction et peuvent donc être considérés avec un coût de production très faible.
La caractéristique essentielle de ces matières premières d’origine végétale est leur porosité ouverte.
Cette caractéristique explique leurs performances : en emprisonnant de l’air, ils sont d’excellents isolants thermiques, la porosité ouverte les rend également très performants en absorption acoustique. Au Cerema nous travaillons sur l’optimisation des laines végétales (par exemple pour des dalles de plafonds).
Un frein cité des biosourcés est leur industrialisation et l’inadéquation du modèle agricole pour y répondre. Est-ce vrai ?
C’est en effet un argument que nous entendons souvent et je pense qu’il vient de l’essor soudain des biocarburants il y a quelques années. Dans ce cas, il est vrai qu’il existe une concurrence d’usage pour les surfaces agricoles. Pour les biosourcés cela n’est absolument pas le cas et il faut les choisir en ce sens.
Que ce soit pour le riz ou le colza, on parle de coproduit, c’est-à-dire que l’on utilise la tige qui n’est aujourd’hui pas ou peu valorisée. Pour la tige de colza par exemple, celle-ci est utilisée en partie pour amender les sols et le reste est brûlé… ce qui conduit à relarguer le CO2 stocké. Au contraire, cette tige peut être valorisée comme granulat car c’est un très bon isolant.
Quant au chanvre, autre exemple, il est utilisé depuis toujours comme tête d’assolement. C’est-à-dire qu’il permet d’améliorer la terre (propreté et ameublement) au printemps avant sa mise en culture. Bien entendu il faut respecter la rotation des cultures, mais le potentiel de 10 000 à 20 000 hectares est déjà conséquent. En outre, le bénéfice est double, non seulement cela génère un complément de revenu aux agriculteurs, mais cela leur évite aussi de désherber avant la mise en culture des céréales.
Enfin, troisième aspect, des cultures comme le miscanthus permettent de faire reposer la terre, voire d’absorber certains polluants et de favoriser les rendements futurs, tout en dégageant des entrées de revenus.
Au travers de ces trois exemples, se dessine un dernier atout des matériaux biosourcés. Ils ont aussi un aspect social qui rejoint un débat actuel de société : celui du modèle agricole et du respect des terres.
Le Cerema et, avant lui les directions territoriales de l’Equipement, travaille sur les matériaux biosourcés depuis trente ans, en quoi cela consiste-t-il ?
Actuellement nous sommes missionnés par la DHUP pour accompagner les filières pour la rédaction de fiches FDES et nous travaillons avec l’administration centrale sur les problématiques règlementaires grâce à l’expérience acquise sur ces matériaux innovants.
Aujourd’hui, nous nous ouvrons aussi au secteur privé. Nos travaux de recherche sur les laines d’isolation et les dalles de plafond mais également sur les transferts hygro thermiques peuvent ainsi avoir des débouchés industriels. Notre expertise peut également servir à l’émergence de nouvelles filières et au développement à grande échelle de ces matériaux en France mais également à l’étranger. Cela est possible, il faut simplement prendre en compte les spécificités de chacun de ces matériaux.
Je voudrais enfin insister sur un point. Notre travail repose sur des démarches scientifiques loin de tout parti pris ou de choix partisan. De nombreux laboratoires de recherche travaillent activement dans ce domaine.
Récemment, nous nous sommes impliqués sur les liens entre biosourcés et qualité de l’air intérieur en collaboration notamment avec l’université d’Artois. Que les acteurs soient privés ou publics, nous sommes là pour les accompagner et leur donner des résultats sur la mise en œuvre de ce type de matériaux.
Propos recueillis par Clément Gaillard - Construction21
Dans le dossier Réglementation Environnementale 2020 : réduire l’impact carbone des bâtiments neufs (Dossier RE2020)