Qualité de l’air et renaturation, retour sur le webinaire du 24 novembre 2025

9 décembre 2025
Végétalisation de l'espace public - Lyon
C.R - Cerema
Dans le cadre du quatrième Plan régional santé environnement (PRSE4) d’Auvergne Rhône-Alpes, un webinaire consacré aux liens entre qualité de l’air, renaturation urbaine et santé s’est tenu le 24 novembre dernier sous l’égide de la DREAL et l’Agence Régionale de Santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes. Le Cerema et Atmo Auvergne-Rhône-Alpes, copilotes de l’objectif opérationnel "Réduire les expositions" du PRSE 4 ont organisé ce webinaire, qui a rassemblé de nombreux acteurs institutionnels et des experts autour d’un objectif commun : comprendre comment la végétalisation des espaces urbains peut contribuer à améliorer la santé, réduire les effets des canicules et agir sur la pollution atmosphérique, tout en maîtrisant certains effets contre-productifs.

L’état des lieux de la qualité de l’air en Auvergne–Rhône-Alpes

Atmo AuRA (Didier Chapuis) a présenté l’état des lieux détaillé de la qualité de l’air en Auvergne–Rhône-Alpes, fondé sur l’évolution des principaux polluants réglementés. 

Les données montrent que les concentrations en particules fines (PM10 et PM2,5) s’inscrivent dans une tendance à la baisse sur le long terme, tandis que le dioxyde d’azote (NO2), principalement lié au trafic routier, a fortement diminué jusqu’en 2019 avant de connaître une période de stagnation. L’ozone occupe une place particulière, avec une tendance à la hausse, et des niveaux fortement influencés par les conditions météorologiques. Pour rappel, l’ozone est issu d’une chimie atmosphérique complexe impliquant les interactions entre les oxydes d’azote (NOx), les composés organiques volatils (COV) et le rayonnement solaire. Les apports biogéniques, notamment l’isoprène et les monoterpènes issus de certains végétaux, présentent une réactivité photochimique élevée, ce qui contribue aussi à la formation d’ozone dans l’atmosphère.

Cette dynamique revêt une importance particulière en Auvergne–Rhône-Alpes, où la majorité des COV non méthaniques sont d’origine naturelle. En effet, près de 70 % des émissions proviennent de la végétation, essentiellement des forêts de feuillus et de conifères. Les sources anthropiques, comme le résidentiel ou l’industrie, n’arrivent qu’ensuite. Cette spécificité régionale impose d’intégrer pleinement les émissions biogéniques dans les outils de modélisation et dans la conception des stratégies de renaturation, car elles jouent un rôle direct dans les mécanismes de formation de l’ozone.

Didier Chapuis a également rappelé les enjeux réglementaires et sanitaires liés à la nouvelle directive européenne (UE) 2024/2881 sur la qualité de l’air ambiant et aux recommandations de l’OMS, ainsi que les impacts potentiels des futures valeurs limites applicables dès 2030. Sur le plan sanitaire, malgré une nette amélioration de la qualité de l’air ces vingt dernières années, 7,5 millions d’habitants — soit environ 92 % de la population régionale- sont exposés à des concentrations supérieures aux recommandations de l’OMS pour les PM2.5 (5 µg/m3). D’un point de vue réglementaire, sur la base des concentrations actuelles, 2% de la population régionale, soit 133 500 habitants, seront concernés par une exposition aux PM2.5 au-delà les futures valeurs limites de la directive (10 µg/m3).

Enfin, il a abordé la question des pollens allergisants, notamment ceux de l’ambroisie. En 2024, environ 70 % de la population régionale a été exposée plus de vingt jours à un risque allergique significatif. Les tendances observées sur la dernière décennie montrent des saisons polliniques plus longues et plus intenses, en particulier sur l’axe central de la région. Les liens entre climat, usages des sols et végétation font de cette problématique un élément clé à intégrer dans les politiques de végétalisation, au même titre que les autres enjeux de qualité de l’air.

 

Renaturation : des bénéfices majeurs pour la santé, le climat urbain et la qualité de l’air

Parc à Bordeaux / Ville de Bordeaux

Le Cerema (Lucie Anzivino) a ouvert son intervention en insistant sur le rôle central de la nature urbaine pour la santé publique. De nombreuses études montrent que la proximité à un espace de nature réduit le stress, favorise le bien-être psychologique, diminue les risques de maladies cardiovasculaires et contribue à prévenir l’obésité et le diabète. Dans les quartiers disposant d’au moins 15 % d’espaces de nature, la prévalence des maladies cardiovasculaires est significativement plus faible. Les habitants qui vivent à moins de 300 mètres d’un espace vert présentent également des niveaux de stress plus bas.

La renaturation joue un rôle déterminant dans la gestion des îlots de chaleur urbains. Un arbre adulte peut évaporer jusqu’à 450 litres d’eau par jour, entraînant une diminution locale de la température d’environ 1 et 3 degrés. Selon certaines études, une couverture arborée atteignant 30 % dans les espaces urbains pourrait réduire jusqu’à 40 % les décès liés aux épisodes de canicule.

La végétation agit aussi directement sur la qualité de l’air. Les feuilles capturent une partie des particules en suspension grâce à leur rugosité et à leur structure microscopique. Les arbres modifient l’aérodynamisme des rues, influençant ainsi la dispersion des polluants. Lors des fortes chaleurs, l’ombrage fourni par la végétation limite les réactions photochimiques responsables de la formation d’ozone.

Ces bénéfices ne s’expriment cependant pleinement que si les aménagements sont conçus avec précaution. Certaines essences émettent des COV fortement réactifs qui peuvent contribuer à la formation d’ozone. De même, les allergies respiratoires touchent déjà entre 20 et 30 % de la population et pourraient concerner une personne sur deux d’ici 2050. Il est donc indispensable d’éviter les plantations massives d’espèces allergisantes comme les bouleaux, les cyprès ou les platanes dans les zones densément peuplées. La structure urbaine doit également être prise en compte : dans les rues canyon, une végétation mal positionnée peut réduire la ventilation et entraîner une stagnation des polluants.

Ainsi la lutte contre la pollution de l'air urbain se doit d’être une approche intégrée. Les intervenants ont résumé ces principes en rappelant un adage désormais largement partagé : choisir "le bon arbre, au bon endroit, pour la bonne fonction". La diversité des essences, la prise en compte des enjeux de santé, la compréhension des formes urbaines et la continuité écologique doivent orienter l’ensemble des projets de renaturation.

 

Des outils pour comprendre, diagnostiquer et orienter les choix d’essences

Un ensemble d’outils permettant d’identifier la végétation existante, d’évaluer les besoins de renaturation et d’aider les collectivités à choisir des essences adaptées aux enjeux locaux a été présenté.

Le Cerema (Gwendal Libessart) a rappelé que la cartographie constitue un élément central de l’analyse territoriale. L’indice NDVI (indice de végétation calculé par différence normalisé) est calculé à partir d’images satellite ou aériennes pour repérer la végétation et évaluer sa vitalité : plus sa valeur est élevée, plus la végétation est dense et en bonne santé. Les produits de l’IGN, notamment les modèles numériques de terrain (MNT) et de surface (MNS) à très haute résolution — allant du mètre au demi-mètre — rendent possible une détection fine des houppiers et des superstructures végétales. Ces données contribuent à un diagnostic précis de la distribution verticale et horizontale de la végétation en milieu urbain.

L’intelligence artificielle et les outils qui en découlent comme la base de données CoSIA de l’IGN complètent cette approche en permettant de mesurer la surface arborée, de produire des indicateurs d’accès à la nature et de quantifier la canopée à l’échelle des territoires. Ils facilitent par exemple le calcul de la proportion de population bénéficiant d’un espace arboré de 5 000 m² ou la localisation des habitants situés à moins de 300 mètres d’un espace vert d’au moins un hectare, en cohérence avec les recommandations internationales de l’OMS.

Plusieurs outils d’aide au choix des essences ont également été présentés.

  • L’outil Sésame du Cerema (Services Écosystémiques rendus par les Arbres, Modulés selon l’Essence) permet d’aider les acteurs (collectivités, services techniques, bureaux d’études, paysagistes, etc.) à sélectionner des espèces d’arbres, d’arbustes ou de plantes grimpantes adaptés aux projets d’aménagement. Il oriente le choix des essences en fonction des services écosystémiques recherchés, des contraintes locales (sol, climat, usages etc.) et des spécificités du territoire. L’outil Sésame, développé en région Grand Est fait aujourd’hui l’objet d’une déclinaison spécifique pour la Métropole de Lyon. Cette version locale intégrera 262 essences adaptées aux conditions pédoclimatiques du territoire, avec des fiches espèces enrichies. Un nouvel indicateur fondé sur le coefficient de réactivité (MIR) est également en cours de préparation, afin d’intégrer plus finement le potentiel de formation d’ozone dans l’évaluation des essences.
  • Clim’Essence, élaboré par l’Office National des Forêts (ONF) et le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), intègre désormais des critères relatifs à l’ozone grâce au guide méthodologique produit par Atmo AuRA. Clim’Essence bénéficiera prochainement d’un enrichissement de sa base avec une cinquantaine d’essences régionales supplémentaires, intégrant elles aussi des critères liés à l’ozone, conformément aux travaux d’Atmo AuRA sur la chimie atmosphérique. Pour faciliter les choix opérationnels, les listes d’essences sont en cours d’adaptation selon différents types paysagers : grandes voies, rues résidentielles, parcs, noues, ou autres configurations urbaines. Cette organisation doit permettre aux collectivités d’identifier plus aisément les essences compatibles avec les contraintes locales (espace disponible, exposition, usages, objectifs de fraîcheur ou de biodiversité).
  • La méthodologie Flor Tree modélise la capacité de plus de 200 espèces à éliminer plusieurs polluants atmosphériques : particules, ozone, dioxyde d’azote ou dioxyde de carbone. Les travaux du projet européen AirFresh ont enfin montré que l’imagerie satellite à très haute résolution permet d’identifier les essences dominantes et de quantifier les services écosystémiques rendus par les arbres en matière de qualité de l’air.

L’ensemble de ces outils constitue aujourd’hui un socle méthodologique solide, permettant d’accompagner les collectivités afin qu’elles disposent de diagnostics robustes et d’orientations pour le choix des essences tout en tenant compte des enjeux de santé, de climat urbain et de qualité de l’air [1].

 

Grenoble-Alpes Métropole : une démarche exemplaire avec le Plan Canopée

Carte de la couverture végétale de Grenoble Alpes Métropole à partir d'images LIDAR

Grenoble-Alpes Métropole (Martin Bé ) a présenté les avancées du Plan Canopée adopté en 2022. Ce plan s’articule autour de quatre axes : 

  • la protection du patrimoine arboré,
  • la mise en œuvre d’une gestion durable,
  • le développement de la canopée
  • la mobilisation des acteurs du territoire.

La métropole a d’abord engagé une phase d’inventaires grâce à la télédétection LiDAR et aux relevés de terrain. En 2023, 500 arbres ont été classés au PLUi. En 2024, 6 000 arbres supplémentaires ont été inventoriés sur dix communes, dont 3 000 ont été protégés. 

La gestion durable repose sur la production de fiches opérationnelles, la structuration de la base de données patrimoniales, le suivi de la reprise des plantations et la participation à un programme de recherche sur la mortalité des arbres. Les taux de reprise observés ces dernières années sont particulièrement élevés, atteignant 88 % en 2022–2023 et 94 % en 2023–2024. La métropole a également engagé une étude approfondie sur l’adaptation des essences au changement climatique, dont les résultats ont permis de caractériser 305 espèces végétales et de produire 169 fiches descriptives pour chaque espèce.

Le développement de la canopée s’appuie sur une hiérarchisation fine des secteurs à végétaliser. Les cartes d’îlots de chaleur, l’indice de canopée, la présence de mobilités actives, les critères d’équité territoriale ou encore la faisabilité technique sont systématiquement croisés pour prioriser les projets. La métropole consacre environ cinq millions d’euros par an à ce plan, ce qui permet d’intégrer la végétalisation et la désimperméabilisation dans la majorité des projets d’espaces publics. Plusieurs aménagements récents illustrent cette démarche, comme la rue général Mangin, la place de la Mégisserie ou la place de l’Église de Champagnier. Grenoble-Alpes Métropole est également site pilote du projet européen EVESNAT, qui vise à coconstruire des scénarios de solutions fondées sur la nature et à évaluer les services rendus, notamment en matière de fraîcheur, de biodiversité et de qualité de l’air.

Un ensemble d’indicateurs permet enfin de suivre l’efficacité du plan dans le temps. L’indice de canopée atteint aujourd’hui 18,6 % sur le zonage urbain du PLUi. Depuis 2022, plus de 4 700 arbres ont été plantés sur l’espace public, et les surfaces végétalisées ou désimperméabilisées progressent chaque année.

 

Conclusion

Le webinaire, qui aura réuni presque 200 personnes, a montré que la renaturation constitue un levier puissant pour améliorer simultanément la santé, la résilience climatique et la qualité de l’air. Les bénéfices de la végétation en ville sont considérables, mais reposent sur une conception attentive : choix d’essences adaptées au climat futur et aux enjeux de qualité de l’air, prise en compte des risques allergiques, analyse fine des formes urbaines, continuité écologique et suivi dans la durée. Les outils présentés au cours de la matinée — Sésame, Clim’Essence, Flor Tree, les produits de l’IGN et les travaux du projet européen  AirFresh — permettent aujourd’hui de mieux accompagner les collectivités pour concevoir des projets de renaturation robustes, éclairés et bénéfiques pour l’ensemble des habitants.


 


[1] Guide pratique des jardins durables et résilients pour les aixois : https://www.aixenprovence.fr/IMG/pdf/airfresh_web.pdf