4 mai 2022
Bâtiment tertiaire à énergie positive en construction
Arnaud Bouissou / Terra
Au 1er janvier 2022, la réalisation d’une analyse du cycle de vie pour calculer l’impact carbone des constructions neuves est devenue la norme avec l’entrée en vigueur de la réglementation environnementale 2020. Cet article du Cerema paru dans Techni Cités présente les premières démarches à mener en 2022 et les points d'attention.

Logo TechnicitéCet article du Cerema a été publié par notre partenaire Techni Cités

Après avoir testé l’analyse du cycle de vie (ACV) sur plus d’un millier de bâtiments depuis 2017 grâce à l’expérimentation E+C- (énergie positive et réduction de carbone) à laquelle a contribué le Cerema, les pouvoirs publics et les professionnels de la construction sont entrés en concertation durant deux ans afin d’aboutir au texte final de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) qui concerne les constructions neuves. 

 

La RE 2020, un changement de paradigme pour les professionnels 

Cette réglementation entre en vigueur progressivement selon les catégories de bâtiments : les logements dont le permis de construire sera déposé après le 1er janvier 2022 sont les premiers concernés, puis les bureaux et bâtiments d’enseignement primaire et secondaire (écoles, collèges, lycées) au 1er juillet 2022. Enfin viendra le tour des autres bâtiments tertiaires (gymnases, restaurants, commerces…).

Trois textes ont été publiés

  • Décret n°2021-1004 du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine.
  • Arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiment en France métropolitaine et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l’art R172- 6 du code de la construction et de l’habitation
  • Décret n° 2022-305 du 1er mars 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments de bureaux et d'enseignement primaire ou secondaire en France métropolitaine.

 

frise du temps (calendrier application)

 

Afin de donner le temps aux professionnels de s’adapter, la RE2020 propose dans un premier temps une performance socle en 2022, qui sera rehaussée ensuite en 2025, 2028 puis 2031. La RE2020 entraîne un véritable changement de paradigme pour les acteurs de la construction avec l’obligation de réaliser un calcul d’ACV pour vérifier si leur projet respecte les seuils maximaux d’émissions de gaz à effet de serre (GES) fixés par la réglementation.

L’ACV consiste à recenser au moyen d’un logiciel les impacts environnementaux du projet de construction depuis l’extraction des matières premières jusqu’à l’utilisation du bâtiment pendant cinquante ans, en passant par le chantier et le transport des produits. La RE2020 a choisi de se focaliser sur le seul indicateur "impact sur le changement climatique", mais une trentaine d’autres impacts environnementaux sont calculés par les logiciels d’ACV et peuvent servir aux maîtres d’ouvrage pour arbitrer leurs choix de conception : pollution de l’eau, de l’air, production de déchets… À l’instar du coût global, l’un des atouts de l’ACV est de permettre la comparaison de solutions à l’échelle du cycle de vie complet d’un bâtiment (50 ans) sur la base d’indicateurs chiffrés et vérifiables.

 

L’essentiel

  • La RE2020 va entraîner un véritable changement de paradigme pour les acteurs de la construction avec l’obligation de réaliser un calcul d’ACV.
  • Deux nouveaux indicateurs sont introduits : iccomposants et icénergie.
  • Comptez entre dix et quinze jours d'études pour l'ACV et ses mises à jour pour un immeuble de logements ou des bureaux.

les Indicateurs "carbone"

Pour répondre au défi du changement climatique, la RE2020 introduit deux nouveaux indicateurs associés à des seuils d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser (exprimée en kg équivalent CO2/m²SHAB ou SU) :

  • ic composants : impact sur le changement climatique associé aux composants du bâtiment (produits de construction, équipements de chauffage, ventilation…). Il comptabilise les émissions de gaz à effet de serre liées à la production des composants du bâtiment, leur transport, leur installation, leur utilisation, leur maintenance, leur réparation, leurs remplacements sur cinquante ans et leur fin de vie. Il prend également en compte les émissions liées à l’utilisation d’énergie lors de la phase « chantier » ;
  • ic énergie : impact sur le changement climatique associé aux consommations d’énergie primaire. Seront ainsi prises en compte toutes les émissions de gaz à effet de serre liées à la production de l’énergie, puis à son utilisation durant les cinquante années de vie du bâtiment pour se chauffer, s’éclairer, ventiler…

Ces deux indicateurs vont avoir une influence forte sur le choix des matériaux utilisés pour construire les bâtiments, et l’énergie pour les faire fonctionner. Il convient ainsi de privilégier les énergies peu carbonées tout en minimisant les besoins énergétiques pour satisfaire au seuil Icénergie _ max, et de rechercher des matériaux à faibles émissions en GES, stockant du carbone, et mis en oeuvre selon des quantités optimisées pour respecter le seuil Iccomposants_ max.

Cependant, les autres indicateurs de la RE2020 portant sur la performance énergétique et le confort d’été vont être tout aussi importants et entreront en interaction avec les indicateurs "carbone" : icénergie sera d’autant plus faible que les consommations d’énergie du bâtiment seront optimisées (conception bioclimatique, choix de systèmes performants…). Et il convient de prévoir lors du choix des matériaux, une inertie et des protections solaires suffisantes pour respecter les objectifs de confort d’été. Ainsi, les rôles de l’architecte et du bureau d’études se trouvent réaffirmés comme chefs d’orchestre pour résoudre cette équation complexe mêlant le carbone, l’énergie et le confort.

Les quantités de paille utilisées pour l'isolation doivent alimenter l'ACV afin de calculer le bilan carbone du bâtiment.
Les quantités de paille utilisées pour
l'isolation doivent alimenter l'ACV afin
de calculer le bilan carbone du bâtiment.

Du point de vue pratique, à l’entrée en vigueur de la RE2020, il est demandé deux études réglementaires :

  • une étude thermique, sur le modèle de ce qui se faisait pour la RT2012, permettant de vérifier le respect des objectifs de performance énergétique et de confort d’été (avec un certain nombre de nouveaux indicateurs).
  • Puis une étude ACV, visant à vérifier les émissions de gaz à effet de serre (GES) du projet. La réalisation de l’étude thermique est un préalable au calcul ACV, puisque le logiciel ACV utilise le fichier de sortie des consommations d’énergie pour les convertir en émissions de GES et calculer ainsi l’indicateur Icénergie.

Ainsi, ce sont couramment les bureaux d’études thermiques et environnementaux qui se sont emparés de la réalisation des ACV, les logiciels thermiques intégrant d’ailleurs le plus souvent un module complémentaire ACV. Cependant, comme le calcul ACV réclame une connaissance générale des différents lots d’un bâtiment, il peut être confié de manière tout aussi pertinente à un architecte ou un économiste. Il faut en tout cas avoir à l’esprit que l’ACV et l’étude thermique réclament des allers-retours fréquents entre l’architecte et le bureau d’études, dès l’amont du projet, pour prendre en compte et ajuster les choix constructifs et énergétiques, et aboutir au respect des seuils énergie, carbone et confort d’été.

Pour un immeuble de logements ou des bureaux, il faut par exemple compter entre dix et quinze jours d’études pour l’ACV et ses mises à jour tout au long du projet, à budgéter et planifier par le maître d’ouvrage. En supplément et selon ses objectifs de performance et la taille de son opération, le maître d’ouvrage devra se demander avant le début du projet s‘il possède en interne une personne qui puisse suivre la thématique ACV ou s’il doit recourir à une AMO externe (programme, concours, suivi des études).

La saisie d’un projet dans un logiciel d’analyse du cycle de vie consiste à rentrer toutes les quantités de produits mis en oeuvre dans le bâtiment (mètres, kg, m3…) et à associer à chaque élément une "donnée environnementale" d’impact en choisissant dans le logiciel la fiche correspondant aux caractéristiques et marque du produit.

Par exemple, si l’on veut enregistrer des menuiseries, il faut saisir la surface d’ouverture en m² de chaque fenêtre et lui associer la fiche de donnée environnementale rattachée à ses marque et types (double vitrage…). Pour cela, la base de données officielle INIES, gratuite et accessible à tous, recense l’ensemble des fiches environnementales pouvant être utilisées dans les ACV. Les logiciels ACV sont directement raccordés à cette base pour en permettre des extractions rapides.

On comprend alors rapidement les deux principaux défis posés par l’ACV :

  • disposer des quantités de produits composant le bâtiment (plans, DPGF…) : ce qui est compliqué en début de projet et ne sera figé qu’à réception de l’opération pour permettre l’ACV finale ;
  • trouver dans la base de données INIES la fiche de déclaration correspondant à son produit. Toutes les marques de produits ne sont pas encore disponibles sur INIES, mais des données environnementales par défaut (DED) peuvent être utilisées en remplacement.

Indicateurs énergie et confort d’été

En plus des deux indicateurs "carbone", la RE2020 définit également trois seuils à respecter pour :

  • Le besoin en énergie du bâtiment pour le chauffage, l’éclairage et le refroidissement : l’indicateur Bbio ;
  • Les consommations d’énergie "primaire" (Cep) et "primaire d’origine non renouvelable" (Cep, nr) pour le chauffage, le refroidissement, l’eau chaude, l’éclairage, les ascenseurs (nouveauté), et les auxiliaires ;
  • Le confort d’été, à travers un nouvel indicateur qui comptabilise le nombre d’heures où un inconfort est constaté (degré-heures d’inconfort : DH). Il exprime la durée et l’intensité des périodes d’inconfort dans le bâtiment sur une année, et va demander l’optimisation de l’orientation, des protections solaires et de l’inertie du bâtiment.

Réaliser une analyse du cycle de vie d'un bâtiment

À Nancy, le collège ARTEM est la première structure bois en R+3 de la région. Construit sous la maîtrise d'ouvrage du CD54, il sera également à énergie positive.
À Nancy, le collège ARTEM est
la première structure bois
en R+3 de la région.
Construit sous la maîtrise d'ouvrage
du CD54, il sera également à énergie
positive.

Concernant le défi sur la connaissance des produits et leurs quantités, l’avant-projet sommaire (APS) peut constituer le moment opportun pour réaliser une première étude ACV du projet sur la base de métrés et ratios simplifiés qui vont s’affiner par la suite. Ce calcul permettra d’identifier les lots constructifs les plus émetteurs en gaz à effet de serre, qu’il faudra ensuite cibler pour simuler des optimisations au fil du projet afin d’améliorer la performance carbone : clos-couvert et choix énergétique en APS ; second oeuvre en avant-projet définitif (APD) et en phase PRO (isolants, revêtements, cloisons…). Le recours à des matériaux biosourcés peut par exemple être testé pour évaluer leur apport au niveau du stockage du carbone.

Concernant le défi sur le choix des fiches de déclarations environnementales (FDES), si le fabricant du produit n’a pas déposé de fiche pour son produit sur la base INIES, le bureau d’études ACV est contraint d’utiliser une valeur par défaut qui est alors pénalisante. Cette pénalité vise à inciter les fabricants à créer leurs fiches de manière à enrichir la base.

L’enjeu dans la conception du projet est de viser chaque fois que possible des produits disposant de FDES, afin de ne pas pénaliser leur indicateur carbone. La rédaction des marchés pour recruter les entreprises doit ainsi permettre au maître d’oeuvre d’obtenir, pour chaque lot, des matériaux dont les émissions de GES seront minimales.

Le code de la commande publique (art. R.2152-7) permet à l’acheteur de se fonder sur le coût du cycle de vie pour attribuer ses marchés, et même d’y inclure le coût des émissions de GES (art. R.2152-9). Les entreprises peuvent alors proposer le produit demandé dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ou son équivalent, à condition de prouver qu’il a les performances environnementales requises en fournissant sa FDES.

À la livraison du projet, la RE2020 exige de mettre à jour l’ACV avec les données des produits effectivement posés (marque, quantités), pour vérifier si le bâtiment est bien conforme à cette nouvelle et ambitieuse réglementation.

La RE2020, à travers l’introduction de l’analyse du cycle de vie, fait émerger de nouvelles manières de travailler, que ce soit pour la relation encore plus étroite entre les architectes et les bureaux d’études dès les premiers coups de crayon, mais aussi pour les maîtres d’ouvrage qui vont devoir se familiariser avec ces nouveaux indicateurs et placer le carbone et le confort au centre de leurs programmes de construction.

Et, à la fin, dans quelques années, c’est la planète qui y aura gagné.

 

Article rédigé par Louis Bourru, chef de projet en qualité environnementale des bâtiments, Cerema

Dans le dossier Réglementation Environnementale 2020 : réduire l’impact carbone des bâtiments neufs (Dossier RE2020)

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