9 juillet 2025
Friche économique à Nîmes
Damien CARLES - TERRA
Le Cerema Sud-Ouest a réuni les acteurs locaux du foncier pour une conférence technique territoriale, organisée le 19 juin 2025 dans la continuité de ses travaux consacrés au foncier économique. L'occasion d'aborder le potentiel que représentent des friches à vocation économique, industrielle ou commerciale et de partager des retours d'expérience.

Face à l’urgence écologique et aux dommages liés à l’artificialisation des sols (altération des sols et réduction de la capacité des terres agricoles à nous nourrir, accélération de la perte de la biodiversité, réchauffement climatique, amplification des risques d’inondations, accroissement des dépenses liées à l’extension des réseaux, amplification de la fracture territoriale), la sobriété foncière s’impose depuis plusieurs années comme une nécessité aux multiples facettes.

  • Une nécessité réglementaire : depuis plusieurs décennies, l’un des objectifs du code de l’urbanisme vise la gestion économe des sols. Il n’a cessé de se renforcer jusqu’à la loi Climat et résilience d’août 2021 qui vise à atteindre le zéro artificialisation nette des sols d’ici 2050. Bien qu’en cours de modification sur la trajectoire pour l’atteindre, l’objectif à 2050 reste maintenu ;

  • Une nécessité pour les acteurs publics : face à la raréfaction de l’argent public, continuer de s’étendre pose question au regard des coûts d’investissements dans les espaces publics et les réseaux et des coûts de fonctionnement qui en découlent.

  • Une nécessité pour les citoyens, que, pour certains, l’étalement urbain éloigne toujours plus des centres bourg et centre villes, des secteurs de service, de commerce et d’emploi, dégradant leur qualité de vie.

 

Jusqu’à peu, la frugalité foncière concernait essentiellement le foncier résidentiel, mais face à l’inflation générale des prix du foncier et aux enjeux environnementaux, le foncier économique se trouve lui aussi sous tension, entraînant une question majeure : comment concilier croissance économique et sobriété foncière ?

Pour y répondre, le Cerema Sud-Ouest organise depuis deux ans un cycle de conférences techniques territoriales consacrées aux questions relatives au foncier économique. Cette année, la journée d’étude a été dédiée aux friches économiques, industrielles et commerciales et au gisement foncier qu’elles constituent. En effet, on estime entre 90 000 et 150 000 hectares les surfaces de friches industrielles en France, quand en 2023, la consommation foncière nationale, toutes destinations confondues, a été d’environ 19 000 hectares.

Ces friches présentent des spécificités : portant sur des surfaces importantes, elles supportent des bâtiments dédiés à des fonctionnalités ciblées, souvent difficilement réutilisables sans travaux conséquents. Par ailleurs, ces parcelles concentrent les problématiques de pollutions des sols, engendrant des surcoûts pour les porteurs de projets. Ces caractéristiques en font des gisements souvent complexes à remettre dans un circuit de production urbaine.

La présentation :

Angoulême : les friches comme une opportunité de renaturer la ville

Présentation par Pascal Monier de la stratégie d’Angoulême en matière de recyclage des friches et de renaturation

Le territoire du Grand Angoulême ayant un riche passé industriel, compte un grand nombre de friches économiques. Depuis quelques années, la Ville et la communauté d’agglomération ont fait le pari d’accompagner leur politique de revitalisation par la mise en œuvre d’un plan friches, articulé avec les documents de planification en cours de révision (SCoT, PLUi, PCAET). Cet immense travail de requalification a la particularité d’inclure -voire de porter- la politique locale en matière de renaturation. La démonstration de Pascal Monier, qui porte ces dossiers en sa qualité d’adjoint au maire à la politique du climat, à la transition écologique et à l’urbanisme et élu communautaire de l’Agglomération d’Angoulême, a révélé combien cette politique ambitieuse devait s’appuyer sur un ensemble d’acteurs locaux.

Sur le plan technique, les partenariats noués ont été multiples : l’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine (A’Urba), l’établissement public foncier de Nouvelle Aquitaine (EPFNA), Citadia Conseil ou encore le Cerema ont accompagné les deux collectivités dans l’élaboration de leur stratégie et les étapes pré-opérationnelles. En matière de gouvernance, les collectivités ont ouvert leurs échanges aux acteurs économiques du territoire (FFB, CCI…) et aux bailleurs sociaux. 

La qualité des projets issus de ces travaux est assurée par l’intégration de la stratégie de renaturation, ce qui suppose également une forte implication des services techniques dans le processus de conception des projets.

En conclusion, pour paraphraser M. Monier, "l’expression de la stratégie partagée permet de fédérer".

 

La présentation :

Les acteurs du monde économique sont en effet des partenaires privilégiés dans ces projets de réhabilitation. L’exemple de la remobilisation d’une ancienne scierie à Bellevigne (Charente) par une entreprise locale, la Maison Roy, en est une illustration pertinente.

 

Remobilisation d’une friche par un acteur privé : le projet de la Maison Roy à Bellevigne

La Maison Roy, entreprise familiale de gazéification de boissons située à Bellevigne dans le Grand Cognaçais (Charente), se trouvait à l’étroit dans ses locaux, d’autant plus qu’un projet d’augmentation de la production nécessitait une plus grande surface. Plutôt que de bâtir de nouveaux locaux, potentiellement éloignés du site d’origine de l’entreprise, la direction a préféré réhabiliter une ancienne scierie située au sein du même village. Ce projet, mené tambour battant, a bénéficié d’une subvention du Fonds vert en 2022.

Le témoignage d’Adeline Roy, Directrice de l’entreprise, a montré que l’octroi du fonds vert, au-delà de l’apport financier qu’il représente, a également permis de déclencher les partenariats utiles à la réalisation du projet dans des délais courts. Intervenants en facilitateurs, ces acteurs, notamment les services de l’État et les institutions locales, ont permis à l’entreprise de limiter les frais supplémentaires dus aux remboursements d’emprunts liés aux travaux, parallèlement à l’exploitation des anciens locaux.

Identifiée par les institutions et acteurs locaux comme projet prioritaire, la maison Roy a pu déménager dans les locaux réhabilités en août 2023, soit deux ans après avoir déposé la demande de subvention. Les coûts réels de l’opération n’ont pas été beaucoup plus importants que pour une construction neuve, malgré une phase de désamiantage du bâti.

La présentation :

L’exemple de la Maison Roy montre combien les acteurs économiques peuvent être soumis à des pressions d’ordre financier, parfois vitales, qui ne leur permettent pas d’attendre plusieurs années. L’exemple précédent a aussi été une réussite car le projet a rencontré peu d’obstacles techniques.

Toutefois, cette nécessité de répondre rapidement au besoin d’une entreprise n’est pas toujours à la portée des collectivités locales, en particulier lorsque les enjeux locaux sont plus complexes. Le temps de la décision politique et de sa mise en œuvre est conditionné à de multiples critères (prix du foncier, pollution des sols, projet urbain, etc.). Aussi, il est possible d’appréhender cette thématique à travers une vision plus stratégique, à l’échelle d’un projet de territoire.

 

La temporalité : un impératif à prendre en compte

Plusieurs exemples ont illustré la nécessité de prendre le temps d’inscrire la réhabilitation des friches dans un projet de territoire.

 

Qualifier ses friches économiques : le Cerema propose une méthode pour traiter d’un sujet complexe

La Direction Territoriale Sud-Ouest du Cerema a présenté l’étude menée pour le compte de la Communauté d’Agglomération du Grand Périgueux en 2024, qui visait à inventorier et qualifier les friches économiques, commerciales et industrielles présentes sur son territoire. À partir du traitement des données disponibles (fichiers fonciers, Cartofriches, Locomvac, Sitadel), consolidé par des visites de terrains et des entretiens, 44 friches ont été recensées sur une dizaine de communes de l’agglomération.

La deuxième étape a consisté à caractériser ces friches en vue d’apprécier leurs potentialités en termes de requalification. Cette qualification, appuyée sur un tableau multicritères, a permis de classer les friches en fonction de leur facilité de reconversion.

Enfin, le Cerema a formulé des préconisations d’affectation, au regard des besoins et des projets du territoire, pour chacune d’entre elles.

 

Exemple d’évaluation des destinations d’une friche, extrait du diaporama présenté par le Cerema Sud Ouest

 

Menée sur un an, cette prestation a affiné la connaissance de ses friches par la collectivité. Elle a également facilité la compréhension de ce sujet complexe et donné aux décideurs locaux une vision stratégique. Le temps de l’étude a en effet fait évoluer le regard des élus sur leurs friches : initialement porté à l’échelle de chaque commune, il a pu glisser vers une vision intercommunale et prospective.

L’inscription du traitement des friches dans le temps long prend alors tout son sens.

La présentation :

Mesurer la difficulté du recyclage d’une friche : exemple de la friche Les Terrasses de Tardoire à La Rochefoucauld

Les intervenants ont eu un empêchement de dernière minute, la présentation de leur expérience n’a donc pas pu se faire. Néanmoins, les échanges organisés en amont de la CTT pour préparer l’ordre du jour et le diaporama joint par la collectivité permettent d’en faire un résumé.

 Site industriel "Saint Florent/Taracole" / Crédit : Banque des Territoires

Le site industriel "Saint Florent/Taracole", anciennement spécialisé dans la fabrication de semelles en caoutchouc, s’étend sur 9 hectares, à la fois sur la commune de La Rochefoucauld et celle de St projet-St-Constant, en Charente. Il présente des caractéristiques qui complexifient la mise en œuvre d’un nouveau projet :

  • une surface importante (9 hectares et 150.000 m² de surfaces industrielles construites)
  • de multiples propriétaires (6 unités foncières)
  • un enjeu patrimonial important (proximité du château de La Rochefoucauld, présence des vestiges de l’abbaye Saint Florent et du logis du Prieur, tous deux datés du XVème siècle)
  • la pollution présente sur le site
  • la présence à l’Est du cours d’eau La Tardoire (risque inondation, enjeu paysager, enjeu lié aux milieux naturels)

Le projet de réhabilitation de ce site est ancien. La collectivité s’est mise en ordre de marche dès 2008, avec la création d’un comité de pilotage réunissant les principaux acteurs institutionnels du projet. Depuis, de nombreuses étapes ont été franchies (lancement d’une procédure de ZAC, signature d’une convention avec l’EPFNA, démolition d’une partie du bâti…). Néanmoins, ce projet est toujours en cours. Chaque palier franchi semble faire apparaître une difficulté nouvelle pour une collectivité aux moyens financiers et humains limités.

Ainsi, ce projet va s’étendre sur au moins 4 mandats municipaux, interrogeant sur l’adéquation entre la complexité technique et financière de ce projet et la capacité d’une collectivité pourtant volontaire à y faire face.

La présentation :

L’EPF-NA et le portage des grandes friches

L’un des enjeux principaux de la réhabilitation des friches économiques en particulier lorsque celles-ci sont très grandes, est le portage foncier. L’Établissement Public Foncier de Nouvelle-Aquitaine (EPF-NA), partenaire clé de ces projets, a pu revenir sur le fonctionnement de l’établissement et la méthode mise en œuvre pour le portage des grandes friches, dite "SVP".

La mission d’un EPF consiste en premier lieu à acheter, pour le compte de la collectivité, gérer puis revendre les terrains nécessaires à la réalisation de ses projets. Par ailleurs il l’accompagne par des conseils d’ordre stratégique et opérationnel.

Pour ce faire, l’EPFNA a développé la méthode dite "SVP", qui repose sur trois phases :

  • Sécuriser et Stabiliser le site
  • le Valoriser
  • Promouvoir, Prospecter, partager

Cette méthodologie a été déployée pour plusieurs projets : la mise au point de la stratégie de gestion et de reconversion de l’ancien hôpital de Villeneuve sur Lot, l’étude de marché de la reconversion de la Maison Dieu à Montmorillon en hôtellerie/ restauration haut de gamme, le projet de reconversion de la Manufacture des tabacs à Tonneins dans le Lot et Garonne.

 

La présentation :

Conclusion :

Karine Maubert-Sbile, directrice d’étude au Cerema Sud Ouest, a conclu ce rendez-vous en se faisant l’écho des interventions et des échanges qui ont jalonné la journée. L’accompagnement qu’elle mène au service des collectivités depuis plus de 20 ans l’amène à identifier un certain nombre de points saillants en matière de traitement et de remobilisation des friches.

Tout d’abord, cette journée met en avant l’intérêt d’une articulation entre deux dimensions qui se complètent : l’opérationnelle et la stratégique. La dimension opérationnelle, qui va permettre à des projets de se réaliser, peut s’opérer à l’opportunité de la mise à disposition d’une friche ou de l’expression du besoin. De temps en temps, elle va nécessiter de la réactivité, notamment quand des acteurs économiques en sont des parties prenantes. Elle peut aussi se confronter à des réalités complexes qui peuvent mettre les collectivités en difficulté, malgré les outils disponibles et facilitateurs engagés. 

Les retours d’expérience montrent toutefois que cette approche opérationnelle porte ses fruits à court, moyen ou long terme. Elle peut toutefois être utilement complétée par une dimension stratégique, telle que déployée sur le Grand Périgueux ou le Grand Angoulême. Ces collectivités ont financé des études leur permettant de disposer d’une connaissance, de mettre en place des veilles, de prioriser si nécessaire, en résumé d’anticiper l’univers des possibles. C’est un moyen qui nécessite un investissement en temps et en ingénierie, qui pourra accélérer la mise en œuvre de la dimension opérationnelle.

Ce qui apparaît aussi dans les témoignages du jour, c’est la nécessité d’opter pour un regard systémique. En inscrivant la remobilisation des friches dans un projet de territoire, il est question tout à la fois de prendre en compte les besoins locaux, d’y intégrer les habitants et les acteurs et d’apporter une réponse qui concilie l’ensemble des enjeux, notamment en matière de densification et de renaturation. Ainsi, la réalisation de ces projets de remobilisation de friches économiques, morceaux de territoire à l’abandon, constitue une opportunité en termes de développement et d’amélioration de la qualité de vie des habitants.

Ce panorama explique la nécessité d’avoir recours à des études, parfois nombreuses, qui vont se répondre en étant complémentaires. Cela demande ingénierie, financement et mobilisation d’acteurs  conséquents.

Enfin, les échanges et présentations de la journée offrent des perspectives d’approfondissement dont le Cerema pourra s’emparer ultérieurement : la fiscalité et la planification constituent notamment des thèmes à continuer d’explorer.

 

Contacts Cerema Sud-Ouest

Brigitte Pouget, cheffe du groupe Cohésion des Territoires (GCT) – Cerema Sud Ouest.

Anne-Laure Jaumouillié, chargée d’étude foncier et développement des territoires, GCT, Cerema Sud Ouest.