20 août 2014
Détroit (Michigan)
La résilience, concept polysémique, s’applique aujourd’hui aux territoires, sans être pour autant précisé ou opérationnel. Entre mot galvaudé, outil du discours politique, vecteur d’innovation ou créateur de futurs, qu’entend-on par « résilience des territoires » ? Cet article propose de répondre à cette question sur la base d’une définition, en l’illustrant par des facteurs et indicateurs qui semblent la caractériser, et en présentant les bénéfices et les dérives potentielles d’une telle analyse sous le prisme de la résilience.

Article publié lors du séminaire IT-GO Rosko 2014 (Roscoff, 22-23 mai 2014).
Auteurs : Clara Villar (Cerema) et Michel David (MEDDE / CGDD)

La résilience fait le buzz aujourd’hui dans de nombreux domaines, pouvant même éclipser le développement durable. Territoires, organisations, individus, écosystèmes, tout semble soumis à une injonction de résilience en réponse à des contextes variés : catastrophes, crises économiques et sociales, perturbations en tous genres et multiformes.

L’utilisation de la résilience pour les territoires pose aujourd’hui un certain de nombre de problèmes, étant le plus souvent insuffisamment explicitée et peu opérationnelle, parfois redondante par rapport à d’autres notions. De plus, alors même qu’elle propose de s’appuyer sur une gouvernance « durable » et de favoriser la créativité et l’innovation, la résilience peut, dans certains cas, devenir un argument politique pour justifier, a priori comme a posteriori, des projets/évolutions non débattus démocratiquement et peut se mettre au service de l’ingénierie sociale (dans sa conception négative).

Pourtant elle pourrait permettre de redonner sa place au citoyen dans les processus de gouvernance, encourager une approche systémique et adaptée, et à ce titre apporter un renouveau dans les projets en termes de dynamique et de pratiques.

La résilience est une mise en mouvement, une recherche perpétuelle d’équilibre dynamique entre des caractéristiques paradoxales et des processus contraires : court terme et temps long, échelle locale et mondialisation, redondance et efficacité, sur-mesure et prêt-à-porter, autonomie et dépendance… Il semble que son étude doive également rechercher l’équilibre entre une analyse systémique « méta » replaçant le territoire dans des dynamiques mondiales, économiques notamment, et une approche « infra » par monographies locales fines. C’est le parti pris de cet article, de combiner une analyse théorique de ce que peut être la résilience territoriale à un niveau global, à une présentation des enseignements qui ont pu être tirés de travaux de monographies aujourd’hui.

  1. La résilience territoriale : qu’est-ce que c’est ?

1.1. Proposition de définition

La résilience est un concept polysémique dont le sens diffère selon la discipline qui la mobilise, le contexte dans lequel elle est utilisée et l’objectif qu’elle dessert. Appliquée aux sociétés humaines, un peuplement est résilient s’il sait et peut trouver les capacités nécessaires pour son adaptation face à des aléas qui le menacent. L’enjeu est de maintenir un niveau de fonctionnement grâce aux capacités et à la souplesse du système permettant sa persistance. La résilience peut traduire une propriété intrinsèque d’un système, acquise une fois pour toutes et a priori (état de résilience), et aussi caractériser un processus a posteriori, après une rupture et qui se met en œuvre pour un temps donné (on parlerait alors de temps de résilience).

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La recherche de résilience

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Dans le cadre de cet article, un territoire résilient est entendu comme un territoire en mouvement, capable :

  • d’anticiper des perturbations, brutales ou lentes, grâce à la veille et à la prospective,
  • d’en minimiser les effets,
  • de se relever et rebondir grâce à l’apprentissage, l’adaptation et l’innovation,
  • d’évoluer vers un nouvel état en équilibre dynamique préservant ses fonctionnalités [1]. Cet état est décidé et construit démocratiquement.

1.2. Des liens avec d’autres concepts à expliciter

Selon son contexte d’utilisation, il n’est pas toujours évident de distinguer la résilience d’autres notions telles que la durabilité, l’adaptation, la robustesse… La résilience est aujourd’hui mobilisée pour répondre, selon certains, au fait que le développement durable n’aurait pas tenu ses promesses, de même que l’économie verte. En effet, si cette dernière met l’accent sur l’efficacité et le rendement, sans remettre en question le modèle économique, social et politique, la résilience, elle, renvoie à la transformation du modèle. En particulier, elle interroge la place de la société et des individus, et encourage un ré-équilibrage vers l’autonomie et la diversité, tout en recherchant l’efficacité [2].

D’autres concepts semblent devoir lui être associés afin d’éviter des dérives d’usage, comme la gouvernance, l’équité et la démocratie. Ph. Darmuzey (2008) souligne le caractère dynamique et évolutif, multidimensionnel et politique de la gouvernance. Cette description est également applicable à la résilience territoriale.

  2. Des réponses territoriales multiformes à des crises complexes et variées

Dans le cadre de leurs travaux sur la résilience territoriale, le Commissariat Général au Développement Durable et le Cerema [3] ont piloté plusieurs monographies sur des territoires variés en termes d’échelles et de problématiques d’entrée. Celles-ci ont fait émerger différents types de réponses adoptées par les territoires étudiés, ainsi qu’un certain nombre de facteurs semblant contribuer à augmenter leurs capacités de résilience. Un des enjeux pour les territoires est d’articuler une résilience « cindynique », liée à la survenue d’événements brutaux locaux (accident industriel, inondation, fermeture d’usine), et une résilience « globale » liée à des phénomènes lents et à grande échelle (changement climatique, crise économique mondiale, baisse démographique).

2.1. Des réponses diverses

Les stratégies développées en réponse aux crises qui touchent les territoires sont extrêmement variées : développement de l’égalité numérique, agriculture urbaine communautaire et filières alimentaires locales, patrimoine et culture, art, savoirs-faire locaux et microentreprises, « pratiques économiques alternatives » (Castells et al., 2012), développement de filières, projets éducatifs, actions coopératives, économie de la fonctionnalité [4]… Beaucoup d’exemples montrent que les initiatives sont remontantes, donnent une large part à la population et sont basées sur « l’autosuffisance, l’altruisme, l’échange et la coopération » (ibid.).

2.2. Des pistes de facteurs de résilience

Plusieurs facteurs semblent contribuer à améliorer les capacités de résilience d’un territoire, comme l’ « autonomie reliée » [5], la diversité et la redondance des éléments et des fonctions, la modularité, les rétroactions directes, les initiatives remontantes à une échelle fine pour faciliter l’implication des individus, la veille, l’anticipation et l’expérimentation, l’inclusivité (au sens distribution large du pouvoir), l’inscription dans la texture territoriale (histoire, culture), les liens et la confiance entre acteurs, le sens donné à l’action, le capital social (force des réseaux sociaux, des liens…) et le développement des capabilités [6], l’innovation et la créativité, l’articulation des échelles…

De la même façon qu’un terreau favorable à plus de conscience peut être recherché au niveau de l’individu, ces initiatives illustrent la recherche d’un terreau territorial dépassant l’utilitarisme et le rationnel, pour approfondir le sens et la conscience collective (Rabourdin, 2012).

La résilience exige de répondre aux questions suivantes : D’où vient-on ? Pourquoi ? Où veut-on aller ? Par quel chemin ?

  3. La question des indicateurs de résilience

Penser pouvoir construire des indicateurs de résilience territoriale valables partout et pour tous, est certes séduisant mais aussi réducteur et risqué. En effet, la normalisation d’un état idéal ne s’accommode pas du caractère subjectif de la résilience, et nie le fait que la trajectoire d’un territoire relève du projet politique, sa définition devant s’inscrire dans un processus de gouvernance.

L’exemple de la ville de Détroit, déclarée en faillite en 2013, pose la question de la réalité et de l’objectivation de la résilience. Décrite comme étant dans une situation catastrophique par la presse sur la base d’évaluations économiques, la ville est pourtant présentée comme résiliente dans le récit qu’en font habitants et associations, basé sur un ressenti non mesurable par des indicateurs. Cela pose les limites actuelles d’indicateurs qui ne permettent pas d’appréhender le bien-être subjectif.

Les facteurs de résilience identifiés confirment la nécessité de rechercher un équilibre dynamique et une pondération entre des qualités/propriétés a priori paradoxales et directement liées à la situation locale. D’où l’importance de contextualiser les indicateurs qui seront chargés de la caractériser : il serait par exemple dangereux de déduire d’une stagnation démographique qu’un territoire est en crise ou en difficulté. Cet état peut résulter d’une volonté de ne pas augmenter la population. Un territoire est plus que la somme de ses composantes structurelles, géographiques, sociales, économiques, etc. Les relations entre ces éléments peuvent le modifier du tout au tout : deux territoires dont les principales caractéristiques seraient semblables peuvent évoluer très différemment. Les grilles et tableaux classiques sont statiques et ne traduisent pas la mise en mouvement, les « capabilités » locales, les dynamiques.

La seule approche par les indicateurs ne suffit donc pas et nécessite de faire appel à la sociologie non quantitative, et de se confronter au terrain afin d’intégrer à l’évaluation l’histoire, la culture, l’identité du territoire, la stratégie politique envisagée.

3.1. Méthodologie d’évaluation
Une méthodologie d’évaluation des indicateurs de résilience d’un territoire est en cours d’élaboration. Elle s’appuie sur l’établissement d’un profil territorial, croisé avec le projet politique local et des indicateurs de vulnérabilité. Les indicateurs peuvent être mobilisés à différents moments. Ex-ante, dans une logique préventive, ils doivent permettre d’identifier les risques environnementaux, économiques et sociaux auxquels un territoire est exposé. Ex post, dans une logique d’évaluation, les indicateurs retenus devraient donner quelques éléments d’appréciation de la réussite ou de l’échec des actions mises en œuvre en faveur de la résilience.

« Bien que dans leurs usages les indicateurs soient vus comme la chose elle-même, ce (..) sont plutôt des résumés (tels une moyenne), des représentants, des porte-parole de choses muettes, complexes et hors de portée » (Desrosières, 2008).

Néanmoins, comme l’indique le schéma ci-après, ils peuvent être utilement mobilisés à différentes étapes d’une analyse portant sur la résilience des territoires.

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Méthodologie de construction d’indicateurs vulnérabilités/résilience

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Le recours aux indicateurs pour l’établissement du diagnostic stratégique et du profil du territoire est assez classique. Dans le cas du diagnostic stratégique, il permet de prendre un peu de distance avec la vision et la narration passionnées des élus évoquant leur territoire.

Dans le cas du profil, les indicateurs relativisent les atouts et handicaps du territoire, puisqu’ils reflètent ce qui le distingue d’une zone de référence. Le choix de cette zone de référence est important.

Il peut s’agir d’un territoire d’une nature voisine, par exemple un EPCI de moins de 100 000 habitants pour l’étude d’un EPCI appartenant à cette tranche de taille. Une autre façon de procéder consiste à constituer des classes homogènes de territoires [7], par exemple des classes de « pays ». Les « pays » qui composent la classe à laquelle le territoire étudié a été affecté constituent alors autant de zones de référence.

3.2. Les vertus d’une approche par la vulnérabilité

Le recours aux indicateurs en vue de procéder à une analyse en termes de vulnérabilité se veut un peu plus original. Le pari qu’une forte vulnérabilité porte en elle les signes avant-coureurs d’une crise à venir est au fondement de cette approche. Quant à la réduction de la vulnérabilité, elle témoignerait pour le moins d’une capacité de résilience accrue, voire d’une résilience à proprement parler, lorsqu’elle s’accompagne d’une évolution positive d’indicateurs plus classiques.

Quatre grands types de vulnérabilité sont identifiés : démographique, environnementale, sociale et économique.

Pour témoigner de la vulnérabilité démographique du territoire, on peut sélectionner des indicateurs de vieillissement de la population, de déséquilibre entre générations ou encore de taux de solde migratoire d’actifs. Un indicateur d’accès aux équipements courants reflétera par ailleurs la faible densité du territoire étudié et la déprise déjà à l’œuvre.

La vulnérabilité environnementale est multiforme. Pour l’aborder, on peut s’inspirer de la stratégie nationale de la transition écologique - en cours d’élaboration - qui identifie quatre enjeux majeurs : le changement climatique, la perte accélérée de biodiversité, la raréfaction des ressources et la multiplication des risques sanitaires environnementaux. Les indicateurs pertinents existent pour chacun de ces enjeux.

La pauvreté et le chômage, comme l’absence de mixité sociale sont un signe de vulnérabilité sociale puisqu’ils menacent la cohésion sociale. La vulnérabilité énergétique des ménages liée aux déplacements contraints et aux dépenses de chauffage du logement constitue une autre forme de vulnérabilité sociale qui peut être appréhendée grâce aux travaux entrepris par le service statistique public [8].

Pour aborder la vulnérabilité économique du territoire, on peut notamment s’inspirer des travaux de Laurent Davezies. Dans « La crise qui vient » (Davezies, 2012), l’auteur nous montre la fragilité grandissante des territoires les plus dépendants et sensibles à l’évolution des dépenses publiques. La vulnérabilité économique peut aussi être vue sous l’angle de la spécialisation industrielle et des difficultés auxquelles elle expose le territoire en cas de crise sectorielle ou de concurrence accrue.

3.3. Contraintes et critères de choix des indicateurs

Le nombre d’indicateurs retenus pour illustrer les différentes dimensions de la vulnérabilité doit être contenu, dans la perspective de délivrer un message interprétable. Il faut aussi veiller à ménager l’équilibre entre ces dimensions, à moins que l’on ne souhaite a priori privilégier l’une d’entre elles.

La disponibilité des indicateurs à l’échelle communale [9] est indispensable. Il faut en effet être en mesure de caractériser des territoires à géométrie variable, mais toujours composés de mailles communales, et de procéder à des comparaisons spatiales.

Enfin, il conviendrait que les indicateurs retenus soient calculables à plusieurs moments, sur une période suffisamment longue, de façon que l’on puisse identifier les phases d’avant crise, de crise et de résilience éventuelle.

Ces différentes contraintes réduisent le champ des possibles et peuvent imposer le recours à des indicateurs proxy lorsque le sujet traité est complexe. Dans le cas de la vulnérabilité environnementale, par exemple, l’artificialisation et l’étalement urbain – qui nuisent à la préservation des espaces naturels – donnent un aperçu des atteintes à la biodiversité en l’absence d’indicateur synthétique facilement mobilisable sur ce sujet.

3.4. A la recherche d’une vision globale

La phase d’interprétation des indicateurs est essentielle à toutes les étapes du processus : diagnostic, profil, identification des vulnérabilités et des enjeux, puis phase d’évaluation.

La construction d’un indicateur synthétique de résilience à partir des indicateurs élémentaires serait l’idéal. Mais est elle est inenvisageable, puisqu’elle supposerait de résumer à tout moment le bien-être des citoyens, de façon à juger de l’évolution de la qualité de vie sur le territoire considéré.

Sans être aussi ambitieux, on peut essayer de dépasser les méthodes purement séquentielles reposant sur l’analyse successive des indicateurs élémentaires. Les méthodes multivariées semblent alors adaptées pour conduire approche systémique. L’analyse factorielle multiple (Escoffier, Pagès, 2008), qui rééquilibre le rôle des dimensions, permettrait par exemple la mise en évidence des liens entre les indicateurs d’une même dimension, mais aussi les relations entre les différentes dimensions de la vulnérabilité.

  4. Quel intérêt pour les territoires ?

La recherche d’amélioration des capacités de résilience plaide pour une approche territoriale systémique, qui permette de dépasser les seuls objectifs de croissance et de développement économique auxquels sont souvent réduits le développement durable et l’économie verte.

Les enseignements issus des monographies soulignent l’importance de prendre en compte tous les aspects qui font un territoire : politiques, sociaux, économiques, environnementaux, historiques, culturels, patrimoniaux, « l’ensemble des activités de la société » (Darmuzey, 2008).

4.1. Articulation entre échelles spatiales et temporelles

C.Lopes (2008) situe le territoire comme l’intersection entre des niveaux local et global. Il est « l’espace d’articulation d’intérêts distincts et de rapports de force entre acteurs politiques, économiques et sociaux relevant de multiples échelles ». La résilience se situe sur cette interface, dans la recherche de l’espace de régulation et de gestion le plus adapté pour répondre aux besoins de la population et servir la trajectoire territoriale. Le domaine de résilience est variable suivant ce dont on cherche la résilience, et évolue dans le temps. Il convient cependant de vérifier que la résilience est effective aux différentes échelles ou du moins qu’elle ne produit pas de contre-effets sans que ceux-ci soient identifiés et pris en compte [10]. Par exemple, une capacité de résilience individuelle ne doit pas faire obstacle à une capacité de résilience plus collective. À l’inverse, le renouvellement économique d’une agglomération ne doit pas oublier sa population ou certains quartiers.

4.2. Prise en compte de la texture du territoire

Articuler le sur-mesure territorial horizontal et transversal, avec le prêt-à-penser descendant et sectoriel est un enjeu en matière de politiques publiques : il s’agit de renforcer les capacités locales et de définir la déclinaison locale des politiques publiques en fonction du contexte politique spécifique et de l’histoire du territoire. Les politiques publiques, au-delà d’un socle réglementaire commun à tous, doivent laisser de la place à l’enracinement territorial afin de permettre le développement des « capabilités » du territoire [11].

Comme l’a écrit A. Olukoshi (2008) au sujet de la gouvernance, la résilience ne doit pas être mobilisée dans « une perspective anhistorique, passe-partout et unilinéaire », mais doit être au contraire ancrée territorialement, sur le plan historique et culturel, et mobiliser une approche multiscalaire. Elle devrait également viser à dépasser l’approche techniciste de l’individu comme du territoire, et non se réduire à « une promesse de bonheur psychologique et politique » (Illouz, 2006) selon une voie normée jalonnée d’indicateurs miracles et uniformes.

4.3. Gouvernance démocratique, co-responsabilité et solidarité

La démarche de résilience peut être un moyen de ne plus penser les politiques publiques à la place des citoyens, mais de les rendre co-responsables de leur production. De nombreux exemples illustrent la prise de pouvoir de citoyens pour conduire des actions locales sortant du cadre.

La résilience peut également être perçue comme une opportunité de recréer des liens entre individus, liens qui préexistent naturellement selon certains. L’éthologue F. de Waal constate des « preuves écrasantes de la présence innée de l’empathie, de l’altruisme et de la coopération chez les humains et d’autres animaux ». La recherche de résilience s’appuie prioritairement sur la confiance et l’entraide, qui devraient être févorisées et développées.

4.4. La résilience et nous

La dimension sociale de la résilience mérite d’être approfondie : en effet, les communautés les plus vulnérables sont aussi celles qui ont particulièrement besoin de développer des capacités de résilience. Elles ont pourtant a priori moins les moyens de le faire que des communautés plus robustes. De plus, l’objectif de ville résiliente ne doit pas conduire à l’étude d’un système complexe assemblant des sous-systèmes techniques en omettant l’humain. En effet pour L. Mumford (1961), « la conception physique des villes et leurs fonctions économiques sont secondaires à leur relation à l’environnement naturel et aux valeurs spirituelles de la communauté humaine ». De même, C. Darwin (1871) écrivait que « les qualités morales progressent, directement ou indirectement, beaucoup plus grâce aux effets de l’habitude, aux capacités de raisonnement, de l’instruction, etc. que grâce à la sélection naturelle ». Le niveau de développement éthique d’une société – contribuant à sa résilience – se mesurerait à sa capacité à prendre en charge les plus vulnérables. La résilience des villes, dont peu ont disparu tout au long de l’histoire humaine, démontre que, même lorsque le temps, les catastrophes, ou autres événements dommageables, ont détruit des structures bâties, les structures sociales sont restées robustes. Ce sont les propriétés humaines et sociales qui rendent les villes résistantes au fil du temps (Chelleri, 2012).

La structure sociale et culturelle du territoire, les capacités d’apprentissage et de résilience de la société humaine ne peuvent donc être oubliées ou mise de côté.

4.5. De multiples facteurs mobilisés

Sans développer plus avant dans le cadre de cet article, on peut citer plusieurs facteurs mobilisés de façon récurrente par des territoires en réponse à des perturbations : le développement des liens entre acteurs, la confiance, l’innovation et la créativité, l’ouverture d’alternatives et l’expérimentation sociale, la veille et l’anticipation, l’apprentissage.

L’analyse par le prisme de la résilience pourrait conduire à réinterroger, pour les dépoussiérer, les principes du développement durable. En effet, si le développement durable se construit sur l’idée d’une maîtrise du futur et la poursuite de développement, la résilience admet la survenue de perturbations dans le futur et permet d’imaginer des ruptures avec le modèle actuel.

  5. Limites et précautions

Ce concept séduisant est cependant à manier avec certaines précautions, en raison de dérives potentielles, intimement liées à son caractère politique, ainsi qu’au flou trop souvent entretenu autour de ses usages.

5.1. Manque de transparence

La résilience est trop peu souvent définie. Il est important de préciser de quoi il est question : résilience de quoi, de qui, dite par qui et pour quoi faire (Djament-Tran et al., 2011). En effet, la résilience – ou absence de résilience - est dite par un tiers, positionné en observateur extérieur d’un objet (ville, territoire) dont il fait paradoxalement lui-même partie.

La résilience n’est pas un objectif à rechercher systématiquement : elle peut être au service d’un discours politique ne reflétant pas un choix démocratique, elle peut également aller à l’encontre d’un changement souhaitable.

5.2. Danger d’une normalisation

La résilience ne peut être réduite à un mythe d’avenir désiré et désirable par tous (Rufat, 2011). Elle ne peut être non plus ramenée à un référentiel normatif d’actions, qui omettrait son aspect éminemment politique. Se projeter vers un état normal, idéal ou durable, suppose de définir cet état et de s’appuyer sur un projet partagé de société. Tel n’a pas été le cas pour la Nouvelle-Orléans après l’Ouragan Katrina en août 2005.

En effet la ville a pu être présentée comme résiliente dans de nombreuses publications et dans des médias, car elle s’est « relevée », reconstruite suite à la catastrophe selon des critères touristiques par exemple. Des chercheurs et journalistes ont cependant montré que les services publics d’enseignement et de santé ont été démantelés au bénéfice de structures privées. « We finally cleaned up public housing in New Orleans. We couldn’t do it, but God did it » (R.Baker cité par N. Klein, 2008). Il est essentiel de veiller à ce que la résilience ne conduise pas au « sacrifice » des plus faibles pour que la société se relève globalement, vers un état non décidé démocratiquement.

Enfin, si la résilience conduit à traiter du retour à la normale, il convient de définir ce qu’est un état normal. Et si elle traite de la réduction de la vulnérabilité, il convient d’éviter de considérer la résilience de façon réductrice comme l’opposé de celle-ci.

  Conclusion

Changer pour aller où ? C’est la question à laquelle tous les territoires en difficulté se trouvent confrontés, alors même qu’ils sont soumis à l’urgence de proposer des solutions. Pouvoir s’affranchir de cette injonction de réaction instantanée, de réponses immédiates, et de la pression des marchands, pour construire sur le temps long, collectivement, suppose d’avoir anticipé, noué des liens, tissé des réseaux, d’être capable de mobiliser les ressources de son territoire, d’être intelligent à plusieurs, de s’affranchir des cadres de pensée pour inventer. Face au brouillard d’un avenir à construire, la recherche tâtonnante de sens pour son territoire doit prendre appui sur des projets mobilisateurs, capables de relier les acteurs pour les mettre en marche.

Pour cela, plusieurs clefs semblent se retrouver à travers les démarches territoriales observées : associer la population à la définition d’un nouveau projet, assumer l’héritage culturel tout en apprenant à le dépasser, prendre en compte, reconnaître d’où l’on vient sans pour autant s’y enfermer et que cela censure des futurs possibles.

Cela n’est envisageable qu’en mobilisant la confiance, entre acteurs, avec la population, confiance dans le futur également. L’expérience montre l’intérêt de favoriser les processus participatifs qui, s’ils peuvent être difficiles à mettre en œuvre, apportent de la richesse. La transversalité conduit souvent à un « réagencement » des acteurs qui ne doit pas constituer un frein, par peur de perdre légitimité ou prérogatives. Cela nécessite également d’articuler les temporalités, les échelles spatiales, les réponses réparatrices avec les projets de territoire.

Même si la démarche de résilience ne résout pas toutes les difficultés générées par la crise, et doit être clarifiée pour éviter des récupérations dangereuses, elle peut constituer un terreau fertile à d’autres trajectoires, à d’autres modèles, et ouvrir des possibles.

Dans une perspective idéale de soutenabilité forte, dans laquelle la réduction des impacts écologiques et la préservation de notre planète seraient découplées de la croissance et de bénéfices économiques, la résilience pourrait être un levier essentiel d’un changement de paradigme. En effet, contrairement à des trajectoires visant à concilier croissance urbaine et réduction de l’empreinte écologique grâce à la technologie [12], la ville résiliente prend en compte, en sus du verdissement de l’économie, les questions de limites, de choc, de rupture (comme l’épuisement des ressources). Elle vise la mise en mouvement, l’équilibre dynamique entre dépendance et autonomie, entre local et global, entre repli et ouverture, entre redondance et efficacité. Elle articule les réponses aux problèmes du quotidien avec des stratégies de résilience dans le temps long.

Pour certains, le développement durable semble s’essouffler. Après avoir créé un support favorable aux débats, à l’affrontement de points de vue divergents, il semble s’être embourbé dans un consensus mou et allégé, loin de la richesse initiale du concept (Boutaud, 2013). Trop de consensus finit par gommer le particularisme au bénéfice d’un universalisme vide de sens et inopérant.

Il est à espérer que la résilience, aujourd’hui sujette à critiques et controverses, ne restera pas juste un mot à la mode ou un objet intellectuel, mais continuera à secouer les réflexions, et à faire évoluer les politiques publiques et les pratiques.

  Bibliographie

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Castells et al. (2012), « Aftermath. The cultures of the Economic Crises », OUP Oxford
Commissariat Général au développement durable (2013), « Villes résilientes, synthèse bibliographique », rapport Certu
Commissariat Général au développement durable (2014), « Actes du séminaire Villes résilientes », rapport Certu,
Davezies, L. (2012), « La crise qui vient, la nouvelle fracture territoriale », éditions Seuil, Collection La république des idées, 111p.
Djament-Tran et al. (2011), « Ce que la résilience n’est pas, ce qu’on veut lui faire dire », HAL-SHS
Desrosières, A. (2008), « Gouverner par les nombres », Presse de l’École des mines, Collection Sciences sociales, 336p.
Escoffier, B., Pagès, J. (2008), « Analyses factorielles simples et multiples : Objectifs, méthodes et interprétation », éditions Dunod, Collection Sciences Sup, 318p.
Illouz, E. (2006), « Les sentiments du capitalisme », éd. Seuil

Magro H., Bellina S. (sous la direction de) (2008), « La gouvernance démocratique », éd. Karthala
Ministère de l’écologie, Commissariat général au développement durable, Association française pour la prévention des catastrophes naturelles (2013),
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Mumford, L. (2011), « La Cité à travers l’Histoire (1961, rééd. 1989) », Marseille, éd. Agone
Nouaille, P. (à paraître 2014), « Villes résilientes, monographie sur la Communauté de communes du Mené », rapport Cerema, éditions Certu
Paddeu, F. (2012), « Faire face à la crise économique à Détroit : les pratiques alternatives au service d’une résilience urbaine », Information géographique n°4
Paquet, G., « La résilience dans l’économie », site Encyclopédie de l’Agora
Rabourdin, S. (2012), « Replanter les consciences. Une refondation de la relation Homme/Nature », éd. Yves Michel
Rousseau, M. (2013), « Villes post-industrielles : pour une nouvelle approche », Métropolitiques
Rufat, S. (2011), « Critique de la résilience pure », HAL-SHS
Santens D., Villar C. sous la direction de (à paraître 2014), « Analyse d’un projet territorial sous l’angle de la résilience. Feyzin, des concepts au territoire », éditions Certu
Villar, C. (à paraître 2014), « La résilience pour les territoires : outil opérationnel ou mot d’ordre incantatoire ? », Technicités.