Le Cerema observe, au fil de ses accompagnements, la difficulté d’intégrer toutes les dimensions qu’un projet de mobilité, parfois couteux, doit prendre en compte. Cet article explore les grandes orientations qui peuvent guider un projet de mobilité vers un système de transport plus robuste et durable. Six thèmes principaux sont identifiés et regroupés en trois grandes orientations, permettant d’organiser l’esquisse d’une grille de lecture.
Les projets de mobilité s’inscrivent idéalement dans une trajectoire globale tenant compte des enjeux actuels :
- Baisser les émissions de GES pour atténuer le changement climatique
- Sécuriser, rendre robustes et adapter les systèmes de mobilité et leurs filières industrielles, face aux aléas climatiques, aux tensions sur les ressources stratégiques et à la maîtrise des technologies.
Ils visent aussi à répondre aux enjeux collectifs du mieux-vivre ensemble :
- Soutenir l’accessibilité à la mobilité partout et pour tous
- Agir pour la biodiversité et la préservation de l’eau
Enfin, certains enjeux s’apprécient à l’échelle du gain individuel pour chaque citoyen :
- Renforcer la sécurité routière
- Répondre aux enjeux de santé publique
Pour aller plus loin :
Sécuriser et rendre robustes les systèmes de mobilité et leurs filières industrielles...
face aux aléas climatiques, aux tensions sur les ressources stratégiques et à la maîtrise des technologies
Selon l’I4CE dans son étude d’avril 2024 sur les coûts d’adaptation, adapter nos réseaux routiers et ferrées pourrait coûter quelques centaines de millions à quelques milliards d’euro par an d’investissement additionnels. Au regard de ces enjeux, l’I4CE a deux préconisations : adapter au contexte futur les investissements à venir, et établir des priorités au sein des stratégies de gestion et d’adaptation du patrimoine.
Ce constat sur l’adaptation au changement climatique invite à élargir la réflexion : comment assurer la continuité, la sécurité et la robustesse des systèmes de mobilité face aux conditions climatiques extrêmes ? à la raréfaction des ressources stratégiques ? à la maîtrise des nouvelles technologies et des systèmes de données ? Par exemple, les véhicules électriques nécessitent des matériaux critiques et des savoir-faire spécifiques générant une vulnérabilité de la filière en Europe.
Un projet de mobilité ou plus largement une stratégie locale peut donc intégrer ces enjeux variés : choix des matériaux, développement des filières, aménagement des villes pour rapprocher les fonctions quotidiennes, adaptation aux risques climatiques, création d’ilots de fraîcheur, anticipation des usages futurs pour optimiser les investissements, mais aussi maîtrise et gouvernance des données et technologies
Estimer le coût de l’inaction est souvent la première étape recommandée : en l’absence d’une stratégie d’identification des risques et d’adaptation, les réponses improvisées peuvent s’avérer bien plus couteuse, voire insoutenables et certaines conséquences peuvent être irréversibles. Dans le secteur de la mobilité, cette problématique est d’autant plus critique que, si de nombreuses infrastructures existent déjà, elles souffrent également d’une « dette grise » liée à leur dégradation faute d’investissements suffisants, qui fragilise le système.
Pour aller plus loin :
2/ Répondre Aux enjeux collectifs de la mobilité
Si la trajectoire de long terme se fonde sur l’identification des risques, le volet collectif des projets de mobilité s’évalue, comme on le voit, à travers leur acceptabilité. Celle-ci concerne à la fois l’équité, en garantissant la mobilité des personnes les plus vulnérables, et l’impact écologique, en particulier dans le contexte actuel de crise de la biodiversité et de préservation de l’eau.
Garantir la mobilité des plus fragiles et favoriser l’équité d’accès aux transports
Les événements récents, comme les gilets jaunes ou la mise en place des ZFE-m, ont monté combien la mobilité touche directement la vie sociale et économique des citoyens. En effet, se déplacer conditionne l’accès à l’emploi, aux services, aux logements et à la vie sociale. Selon le Baromètre de la mobilité du quotidien 2024, 10 % des Français sont aujourd’hui en situation ou en risque de précarité mobilité, avec une proportion plus importante dans les territoires ruraux et périurbains.
Le modèle actuel en dehors des grands centres urbains, centré sur l’usage individuel de la voiture, ne sécurise pas l’accès à la mobilité pour les publics les plus fragiles : personnes à faibles revenus, habitants des zones peu denses mal desservies, personnes âgées, personnes à mobilité réduite (PMR) ou encore personnes sans permis. Les tensions géopolitiques et les fluctuations du marché énergétique entraînent une volatilité des prix du carburant ; le coût des véhicules neufs progresse chaque année ; le vieillissement de la population, notamment en zones rurales s’intensifie ; et les collectivités locales, confrontées à des contraintes budgétaires, peinent à financer des alternatives performantes à l’autosolisme.
Dans les villes moyennes, les transports collectifs du quotidien sont souvent utilisés par des publics contraints, comme les personnes en situation économique précaire ou les jeunes, et restent parfois peu attractifs pour les autres ménages, qui disposent d’un choix modal plus large. Attirer vers les transports collectifs certains usagers habitués à la voiture pourrait renforcer le système et améliorer l’offre pour tous. Cela passe par une évolution des transports collectifs, mais également par le développement du système vélo, des usages collectifs de la voiture et de la régulation de certains avantages de la voiture individuelle.
La prise en compte des besoins des populations fragiles est ainsi un des objectifs à atteindre au travers du projet de mobilité, qui sera garant de l’accessibilité et de l’acceptabilité de la transition impulsée.
Pour aller plus loin :
Préserver la biodiversité et limiter l’impact des déplacements sur les écosystèmes
Bien que la création de nouvelles voiries soit encadrée par des obligations réglementaires visant à préserver la biodiversité, notamment par l’application de la séquence "éviter, réduire, compenser", nos pratiques de mobilité continuent d’exercer une pression importante sur les écosystèmes. En France, par exemple, le Cerema estime que chaque année au moins cinquante millions d’amphibiens adultes sont tués sur les routes.
La densité des réseaux existants et leur présence jusque dans des zones naturelles remarquables entraînent une fragmentation des habitats naturels et une mortalité directe de la faune par collision. Ainsi, les infrastructures cloisonnent les espaces naturels, compliquant pour les espèces l’accomplissement de toutes les étapes de leur cycle biologique. Les réseaux génèrent également des nuisances indirectes, comme le bruit, la pollution lumineuse, les émissions et le ruissellement pollué. De manière générale, la fragmentation des habitats naturels fait partie des grandes causes d’érosion de la biodiversité.
Dans ce contexte, un projet de mobilité peut éviter une artificialisation supplémentaire ou réduire les pressions existantes. Plus précisément, il peut contribuer directement à la préservation et à la restauration des milieux naturels par des choix judicieux en termes de localisation, en diminuant le trafic motorisé ou les vitesses de circulation, en limitant les traversées dans les zones écologiquement sensibles, en aménageant de façon raisonnée les points d’arrêt et zones de stationnement, en désimperméabilisant et végétalisant certains espaces, et en tenant compte des continuités écologiques y compris dans les zones urbaines.
Un projet de mobilité peut aussi permettre d’identifier des surfaces jusqu’ici entièrement dédiées à la voiture, pouvant être vouées à d’autres affectations, notamment la désimperméabilisation et la renaturation.
Pour aller plus loin :
3/ Apprécier les impacts à l’échelle des individus
À l’échelle de l’individu, la sécurité routière et la santé constituent également des arguments essentiels dans la conception d’un projet de mobilité.
Diminuer l’accidentalité et protéger les usagers de la route
En France, 3 193 personnes sont mortes sur les routes en 2024 et près de 16 000 personnes ont été gravement blessées.
La conception des infrastructures / véhicules et la réglementation sont matures : elles garantissent un bon niveau de sécurité à tous les usagers. Les progrès en matière de sécurité routière ont été considérables depuis les années 70, mais leur effet semble aujourd’hui stagner. Par ailleurs, de plus en plus de collectivités s’engagent dans un rééquilibrage du partage de la voirie en faveur des modes actifs, avec le développement de la ville à 30 km/h, ce qui tend à augmenter les interactions sur la voirie entre des usagers vulnérables et des usagers de véhicules motorisés.
Un projet de mobilité est ainsi l’opportunité d’intégrer des actions ciblées pour encourager des comportements plus sûrs. L’objectif dépasse la seule protection de l’automobiliste : il s’agit aussi de prévenir les comportements dangereux et les vitesses excessives, en s’appuyant sur une analyse globale des causes d’accidents. Cette démarche s’inscrit dans des stratégies ambitieuses telles que la Vision Zéro ou le Système sûr. Ce dernier propose "une démarche systémique de la régulation du risque routier, associant différents piliers d’intervention (dont les plus cités sont l'usager, le véhicule, l'infrastructure, la prise en charge des victimes, le management, la vitesse) de manière organisée, intégrée et systématique, et au sein desquels les parties prenantes interviennent de manière coordonnée".
Pour aller plus loin :
Vivre en meilleure santé
Le rapport de la mission Delandre de mars 2025 rappelle qu’aujourd’hui en France, 9% des décès sont liés à l’inactivité physique (40 000 à 50 000 par an), et que cette sédentarité est à l’origine de nombreuses maladies chroniques pesant lourdement sur notre système de santé, et ce, dès l’enfance.
Le lien entre santé et mobilité peut être direct, à travers les effets de la pratique quotidienne (sédentarité, anxiété…), ou indirect, via les nuisances générées par les déplacements, comme la pollution de l’air, des sols, de l’eau ou le bruit, qui réduisent la qualité et l’espérance de vie.
Un projet de mobilité peut ainsi intégrer des objectifs ciblés d’amélioration de la qualité de vie de certains publics : par exemple, favoriser l’accès à pied ou à vélo des lieux fréquentés par les jeunes (établissements scolaires, équipements sportifs, etc.), ou diminuer la vitesse de circulation à proximité des quartiers d’habitat collectif dense pour baisser leur exposition aux polluants atmosphériques. Londres illustre bien cette approche avec son programme "Healthy Streets for London", qui, depuis une dizaine d’années, évalue chaque année les effets de la politique publique d’apaisement des rues sur des indicateurs de santé.
