Cet article fait partie du dossier : Dispositif éco-énergie tertiaire : lancer une dynamique éco-responsable dans les bâtiments publics
Voir les 23 actualités liées à ce dossierLe secteur tertiaire représente un enjeu important au sein de la politique nationale de réduction des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre. Avec près de 1 milliard de mètres carrés, dont 280 millions dans les collectivités locales, ce secteur est en effet le quatrième plus gros consommateur d'énergie avec 17% de la consommation nationale en 2018.
Vers l'écoresponsabilité dans les bâtiments tertiaires
Dans les collectivités locales, les consommations énergétiques des bâtiments représentent en moyenne 78 % de l’ensemble des dépenses énergétiques.
En application de la loi Elan [1], tous les bâtiments ou sites cumulant plus de 1 000 m² de surface à usage tertiaire doivent désormais voir leur consommation d’énergie diminuer : c’est le dispositif "Éco énergie tertiaire". La mise en oeuvre d’actions d’économie d’énergie sur tous les sites concernés doit réduire la consommation réelle des bâtiments assujettis de 40 % d’ici à 2030 en visant 50 % en 2040 et 60 % à horizon 2050. Cette approche encourage les gestionnaires de bâtiments à raisonner en obligation de résultat. En parallèle, les gestionnaires doivent déclarer annuellement les consommations réelles de chaque bâtiment pour les comparer avec les objectifs.
Cette exposition des résultats à la vue de tous vise à augmenter l’effet incitatif pour les responsables, propriétaires ou locataires des lieux, et à sensibiliser les usagers des bâtiments en vue d’impacter leurs pratiques individuelles. Le secteur tertiaire entre ainsi dans une nouvelle ère de l’écoresponsabilité, en cohérence avec l’urgence climatique. Mais comment enclencher et mener à bien cette démarche pour les collectivités ?
En effet, atteindre des objectifs de réduction de consommation s’inscrit dans un temps long qui comprend plusieurs étapes :
- s’organiser ;
- recenser les bâtiments concernés et évaluer leur état initial ;
- élaborer une stratégie à l’échelle du parc, avec des objectifs de gain et des échéances pour chacun des bâtiments ;
- proposer un programme pluriannuel d’actions visant à atteindre les objectifs ;
- rassembler les financements ;
- organiser la réalisation des travaux
- et enfin suivre l’évolution du parc et constater l’atteinte des gains, voire ajuster les objectifs et la stratégie.
Gérer le temps
La première obligation est une échéance de court terme : avant le 30 septembre 2022 (la date limite du 30 septembre 2021 a été repoussée d'un an), chaque bâtiment concerné devait avoir fait l’objet d’une déclaration en ligne sur la plateforme dédiée Operat [2]. Afin d’être au rendez-vous, les collectivités – comme tous les assujettis – doivent d'abord réunir les informations nécessaires: il s’agit de recenser l’ensemble des bâtiments du patrimoine immobilier et d’y pointer les bâtiments ou les sites assujettis – c’est-à-dire dont la surface de plancher cumulée dédiée aux activités tertiaires est supérieure à 1 000 m².
Que la collectivité soit propriétaire occupante, locataire ou propriétaire bailleur, elle est concernée par les obligations. C’est donc l’ensemble des bâtiments qu’il faut prendre en compte. Ensuite, afin de préparer la saisie en ligne, d’élaborer une stratégie et des plans d’actions à moyen terme, il convient de rassembler différentes informations sur chaque bâtiment concerné : année de construction, état du bâtiment et de ses équipements, travaux déjà réalisés (isolation, remplacement des menuiseries, changement de chaufferie, etc.), fonctionnement de la régulation des équipements de chauffage, ventilation et refroidissement, caractéristiques d’occupation…
La consommation de référence:
Enfin, la consommation énergétique totale de chaque bâtiment (toutes énergies : électricité, gaz, fioul, bois…) doit être renseignée pour les années 2020 et 2021 avant le 1er avril 2022, puis chaque année pour l’année précédente. En outre, une consommation de référence doit être définie au plus tard le 30 septembre 2022, afin de calculer les gains obtenus chaque année. Cette consommation sera choisie parmi celles des années pleines d’exploitation postérieures à 2010 dont il convient, par conséquent, de connaître également les valeurs.
La récupération de toutes ces informations n’est pas toujours aisée, en particulier pour les patrimoines importants ou en l’absence d’outil de gestion du patrimoine. S’appuyer sur les responsables de sites, les gestionnaires, les mainteneurs, et les services bâtiments est essentiel pour avoir un point de vue complet sur le patrimoine. Les audits ou diagnostics déjà réalisés sur les bâtiments sont aussi une source d’information, même s’ils doivent être mis à jour.
Définir une stratégie de gestion du patrimoine
Après avoir posé des bases solides, vient le temps de la définition d’une stratégie patrimoniale. En effet, les gains pour chaque bâtiment assujetti seront évalués, année après année, et comparés aux objectifs à atteindre. Mais les textes prévoient également que les gestionnaires de parc puissent raisonner à l’échelle de tout ou partie de ce dernier, les résultats de certains bâtiments qui n’atteindraient pas leurs objectifs pouvant alors être compensés par ceux de bâtiments plus performants.
La stratégie pourra prendre en compte cette possibilité, en particulier pour des patrimoines dont l’état et les caractéristiques des bâtiments sont très hétérogènes ou qui présentent des bâtiments anciens sur lesquels il est plus difficile d’atteindre les résultats.
Pour chaque bâtiment, il convient de disposer d’une vision de son "potentiel" afin de définir si l’on s’oriente d’emblée vers une rénovation lourde ou s’il est possible de se limiter à des actions à faible investissement.
La connaissance des consommations depuis 2010 permettra à ce stade d’identifier le choix de l’année de référence. Celui-ci aura un impact sur les résultats à poursuivre, en particulier si des travaux ont déjà été réalisés. Une fois la stratégie élaborée, il est temps de définir un plan d’action.
Quatre leviers sont explicitement prévus dans les textes :
- optimiser l’exploitation-maintenance,
- agir sur l’usage des locaux ou les écogestes des usagers,
- améliorer la performance énergétique de l’enveloppe,
- réaliser des travaux sur les équipements de chauffage.
L’ensemble de ces actions ou travaux doit permettre de répondre aux exigences réglementaires tout en améliorant (ou, a minima, conservant) le confort des occupants et la qualité d’usage des bâtiments. Il est notamment recommandé d’en profiter pour améliorer le confort d’été dans ces bâtiments, dans une logique d’adaptation au dérèglement climatique.
Optimiser l'utilisation
Les actions relatives à l’exploitation des bâtiments et les démarches d’économies d’énergie impliquant les occupants génèrent des gains rapides à moindre coût. L’optimisation de l’exploitation-maintenance passe notamment par:
- la mise en oeuvre ou l’amélioration des réduits de chauffage et de ventilation pour être en cohérence avec l’occupation,
- la gestion des températures de consigne différenciée d’un espace à un autre,
- l’amélioration du fonctionnement des organes de réglage (ou leur remplacement).
Il est également important d’interroger la pertinence et la faisabilité de l’installation d’un dispositif de contrôle et de gestion active pour réguler la ventilation, gérer l’éclairage, couper automatiquement l’alimentation de certains réseaux électriques en période inoccupée, etc. Enfin, des réflexions sur l’adaptation des locaux aux usages et sur les actions à mener pour faire évoluer le comportement des occupants vers un usage plus économe en énergie (écogestes) sont à initier.
Dans le même temps, il convient d’anticiper les travaux lourds en lançant les études préalables, qui peuvent prendre plusieurs années. L’amélioration de la performance énergétique de l’enveloppe du bâtiment renvoie à un travail sur le niveau d’isolation, la performance des menuiseries, le traitement des points singuliers, etc.
Afin d’engager la réflexion, il est nécessaire de se poser plusieurs questions : existe-t-il des contraintes sur certains bâtiments (façades classées, bâtiments anciens présentant des risques de pathologies liés à l’humidité, etc.) ? Certaines enveloppes ont-elles déjà fait l’objet d’une isolation ? Ont-elles besoin d’un ravalement ? Les travaux pourront aussi porter sur l’isolation des toitures et des sous-sols, surfaces très déperditives.
Les travaux sur les équipements énergétiques comprennent par exemple la modification du système de chauffage, le changement de la ventilation ou de l’éclairage, l’installation d’une gestion active des équipements. La situation des différentes chaufferies doit être identifiée (équipements arrivant en fin de vie, équipements surdimensionnés…).
Il convient également de vérifier si l’installation hydraulique a besoin d’être revue (augmentation ou réduction du nombre de départs pour améliorer le confort, isolation des conduites et des organes de régulation…). Attention : en cas de rénovation des équipements de chauffage ou de refroidissement mais aussi des parois extérieures, ces dernières doivent être traitées en priorité afin d’optimiser la puissance de la nouvelle installation technique.
Atteindre ou adapter ses objectifs
La rénovation d’une chaufferie peut aussi être l’occasion d’installer des sous-compteurs pour assurer un suivi plus précis des consommations. D’autres équipements techniques comme la ventilation ou l’éclairage peuvent également être améliorés (passage en led avec réflexion sur le niveau d’éclairement et amélioration de la commande de l’éclairage, par exemple). D’autres postes de consommation d’électricité peuvent contribuer aux économies : bureautique, process (production de froid, piscine chauffée…).
Afin de passer à l’acte, différentes aides pourront être mobilisées, comme les certificats d’économie d’énergie (CEE), les réseaux des conseillers en énergie partagée (CEP), ou encore les programmes CUBE.S et Actee pour bénéficier d’un appui technique ou financier.
Les collectivités peuvent aussi compter sur l’enveloppe de 1,3 milliard d’euros pour la rénovation énergétique des bâtiments publics inscrite dans le plan France relance. En cas de difficultés à atteindre les objectifs à l’échelle du parc, ceux de certains bâtiments pourront être modulés, par exemple dans le cas de fortes contraintes techniques ou patrimoniales ou de contraintes technico-économiques (coûts manifestement disproportionnés).
La demande de modulation des objectifs devra être justifiée par le dépôt d’un dossier technique de justification, cinq ans avant la date de l’échéance d’atteinte des résultats. Au-delà de l’obligation réglementaire, « Éco énergie tertiaire » apparaît comme un outil pour atteindre les objectifs de la transition écologique que la France s’est fixés. Il permet une adaptation au contexte et aux contraintes de chaque gestionnaire et de chaque bâtiment et pourra évoluer au fil des trente années de sa mise en oeuvre. C’est maintenant aux acteurs du domaine de s’en saisir pour relever collectivement le défi.
Par Constance Lancelle, experte "Performance énergétique des bâtiments", et Laurent Saby, directeur de projets "Éco énergie tertiaire", Cerema
Pour en savoir plus :
[1] Loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) ; décret du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans les bâtiments à usages tertiaires ; arrêté du 24 novembre 2020 modifiant l’arrêté du 10 avril 2020 relatif aux obligations d’actions de réduction des consommations d’énergie finale dans des bâtiments à usages tertiaires.
[2] L’Observatoire de la performance énergétique, de la rénovation et des actions du tertiaire (operat.ademe.fr) est le centre de ressources « Éco énergie tertiaire ». Ses fonctionnalités permettant la déclaration annuelle des consommations seront progressivement déployées courant 2021.
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