Un meilleur équilibre à trouver entre les espaces dévolus aux flux de mobilités
... et les espaces nécessaires aux piétons et à l’adaptation de la ville au climat.
Face aux enjeux complexes de la décarbonation des mobilités et de l’adaptation des espaces publics au changement climatique, les collectivités réinterrogent de plus en plus leurs stratégies de prise en compte des différents modes dans l’aménagement de leurs voiries. Dans un contexte où l’objectif de décarbonation des mobilités ne peut être quantitativement atteint qu’en actionnant tous les modes décarbonés alors que les contraintes d’emprise de la voirie limitent les possibilités, il est intéressant de se pencher sur les synergies pouvant être trouvées entres les transports en commun et la marche, deux modes indissociables en termes d’usage.
Aménager une voirie en intégrant des modes motorisés, des modes actifs (vélo et marche), de la nature en ville et de la désimperméabilisation de sols, est un exercice délicat qui nécessite aujourd’hui une coordination entre les services en charge plus globalement de la voirie et ceux, plus transversaux, en charge de l’adaptation du territoire plus vaste au changement climatique.
Ainsi, l’espace du trottoir, qui pouvait être perçu par beaucoup uniquement comme un enjeu de mise aux normes de l’accessibilité des personnes à mobilité réduite, devient parfois un enjeu de débat et de redirection potentielle des usages.. Cette question est plus particulièrement cruciale aux abords notamment des pôles d’échanges, sur des voiries principales ou voiries secondaires de quartiers sur lesquelles convergent les flux multimodaux du pôle : bus, cyclistes et piétons doivent en effet pouvoir accéder au pôle en masse, en toute sécurité et en harmonie.
Les réponses aux enjeux de développement des mobilités décarbonées doivent donc être combinées à celles de la préservation de la nature en ville et des sols dans chaque projet, au niveau local. Pour rationaliser la satisfaction des différents besoins de mobilité, il apparaît en particulier nécessaire de réinterroger le partage de voirie. Depuis de nombreuses années, un constat revient dans les études de voirie ou d’accessibilité PMR : le piéton est trop souvent la variable d’ajustement final du profil en travers, et les aménagements de couloirs bus et de points d’arrêts pour les TC restent une préoccupation souvent relativement secondaire pour beaucoup de gestionnaires de voiries, vis-à-vis notamment du stationnement.
Les travaux actuels et expertises pluridisciplinaires des acteurs de l’ingénierie comme le Cerema, les agences d’urbanismes, l’ADEME, les CAUE…, ou des maîtres d’ouvrages et de leurs maitrises d’œuvres dans chacun de leurs projets, ont aussi mis en exergue un point clé, peu intuitif, de l’aménagement de la voirie : insérer la nature en ville permet non seulement de rafraichir la ville et de lui donner un cadre plus avenant, mais constitue aussi un outil habile pour composer l’espace public, susceptible notamment d’augmenter la valeur servicielle de l’aménagement urbain, tout en améliorant la cohabitation des flux piétons et cyclistes.
Des réseaux TC en développement, mais dont le rayonnement territorial et la complémentarité avec la marche doivent être plus activement traités
Un autre constat, plus global, peut aussi être dressé sur la relation entre transports et urbanisme : les Autorités Organisatrices des Mobilités (AOM) font des efforts, soutenus politiquement et importants financièrement, pour développer une offre attractive de TC qui puisse devenir une alternative crédible à la voiture, mais sans que le développement urbain des villes ne sache réellement organiser leur meilleur rayonnement territorial et leur complémentarité avec la marche.
Car la pratique des TC et/ou de la marche a en effet des bénéfices très ‘complets’ pour un territoire :
Les TC sont une alternative possible à l’autosolisme à l’échelle d’une métropole entière : transport partagé capacitaire, rapide et de longue portée, pouvant satisfaire des boucles de déplacements très longues, au meilleur bilan GES (qui s’améliore encore avec l’électrification des matériels bus). C’est aussi le seul mode à pouvoir offrir, sur ce segment de distance, une inclusivité dans la mobilité pour les quatre familles de handicaps.
Pour qu’ils ne deviennent pas répulsifs dans le choix modal face à la voiture, leur qualité d’usage au quotidien est stratégique pour les AOM, au-delà de leur quantité d’offre (cas notamment des lignes de bus surchargées). Vélos et TC sont aussi très complémentaires (que ce soit en intermodalité ou multimodalité) ;
La marche est le mode le plus pertinent pour les déplacements courts (et sans boucles longues avec la voiture), dans n’importe quel type de territoire : mode indispensable pour accéder aux TC ou faire des boucles avec ces derniers, au bilan GES imbattable, qui permet de lutter activement contre les méfaits de la sédentarité pour la santé, gratuit pour les ménages, permettant de développer bien être, convivialité et lien social, inclusif (adapté aux personnes à mobilité réduite et au maintien à domicile des personnes âgées en fin de vie).
Mais la marche n’est jamais véritablement un mode autour duquel est porté politiquement un projet de voirie. Pour rester un plaisir avant d’être une contrainte vécue, elle doit pouvoir être pratiquée dans un environnement accueillant. Il est nécessaire aussi, pour la non-saturation et la régularité des bus, qu’elle soit privilégiée par les usagers pour les déplacements les plus courts.
Des insatisfactions actuelles des piétons qui relèvent beaucoup de voiries existantes conçues trop exclusivement pour la voiture
Pour cette étude, le Cerema a exploré, en associant un écosystème d’acteurs (opérateurs de transports, associations d’usagers, collectivités locales, bureaux d’études, ADEME…), une très large palette de préoccupations des territoires et des gestionnaires de réseaux, à mettre en rapport avec des leviers d’actions utilisables pour y répondre :
Arnaud Bouissou / TERRA Les coupures territoriales aggravées par les grandes infrastructures de transports linéaires et leurs ouvrages ressentis comme insécures, par des trames viaires et cadastrales trop distendues qui éloignent les habitants des points d’arrêts TC, par la fermeture au public des emprises des grandes résidences collectives (phénomène qui progresse très vite dans certaines métropoles), ou encore par l’aménagement de nouveaux quartiers mal reliés aux TC du centre-ville…
- Les coupures d’usages sur la voirie, qui rendent peu sécures et inconfortables les déplacements des piétons : voiries de quartiers aménagées exclusivement pour la voiture, encombrement du trottoir par une profusion de mobiliers urbains ou des terrasses envahissantes, sols vétustes trop dégradés, éclairage conçu uniquement en fonction des circulations motorisées, cheminements et temps de traversées aux carrefours allongés ou trop favorables à l’écoulement du trafic automobile…
- Les manques de qualité d’usages pour les piétons en intermodalité dans les pôles d’échanges anciens : gares routières aménagées de façon trop circulatoire, défaut ou complexité multi opérateurs / multi marques de la signalétique extérieure aux gares, saturation de certains espaces en gare, conflits de flux piétons/vélos sur des parvis de gares très ouverts et trop minéraux, sur des trottoirs dont la largeur a dû être réduite au profit de l’aménagement d’une piste cyclable accolée au trottoir…
- Un aménagement parfois très perfectible des points d’arrêts bus, notamment des points d’arrêts des services scolaires : non relié à des trottoirs en zone périurbaine, non accessibles aux personnes à mobilité réduite, avec des conditions d’attente spartiates sans aucun mobilier d’attente (assise, abris…), une inter-station trop courte en milieu dense qui fait perdre trop de temps et de la régularité à la ligne de bus sans améliorer la desserte…
- Un manque de prise en compte des impacts de la surchauffe urbaine sur les conditions de mobilité : des parvis de gares et des cheminements d’accès aux pôles d’échanges trop minéraux, sans ombrage dans les espaces piétons…
- Et en termes d’organisation et de planification des mobilités, une absence de plans programmatiques dotés de financements sanctuarisés pour des actions favorisant la marche au bénéfice direct des TC (dans les PAVE, Plans des Mobilités, schémas piétons ou modes actifs…)
Ce diagnostic, partagé avec les participants aux ateliers de travail, a fait ressortir l’enjeu de la qualité d’usage du déplacement, plutôt que celui plus classique du partage de voirie, toujours difficile à traiter à court terme et nécessitant des moyens financiers plus conséquents.
Des actions inspirantes pour le piéton, à toutes les échelles et temporalités de l’aménagement
A l’opposé de ces constats négatifs, plusieurs acteurs ont su développer, sur l’un ou plusieurs de ces enjeux, des approches intéressantes à mettre en valeur. Certaines des actions identifiées par l’étude Cerema méritent d’être plus particulièrement remises en lumière, dans la mesure où elles apportent des plus-values aux actions des collectivités, aux différents stades de leurs interventions dans la "fabrique de leur territoire", ainsi à celles des opérateurs de transports dans la gestion opérationnelle de leurs réseaux.
Planification de l’urbanisme orientée TC
- Les études d’accessibilités piétonnes permettent d’évaluer le potentiel territorial de la marche pour le rabattement sur les transports en commun, et de cerner les enjeux de densification autour des nœuds du réseau de transport. Elles seront notamment très utiles aux réflexions associées aux SERM (voir l’outil Cerema Geofer, les études Radar d'AREP…)
- La densification urbaine autour des nœuds des réseaux TC, qu’il est possible de planifier dans un PLU (par des OAP notamment), ou de mettre en œuvre par des contrats d’axes autour des nouvelles lignes TC, s’inscrivent en parfaite adéquation avec les objectifs du ZAN et ceux de la décarbonation des mobilités
- L’organisation d’îlots urbains plus perméables et favorables à la marche est aussi nécessaire pour raccourcir les distances d’accès aux TC (exemples des projets d’écoquartiers, du concept des « îlots ouverts » de Christian de Portzamparc mis en oeuvre dans le quartier de la BNF à Paris …)
Approche sensible du piéton pour accéder aux nœuds d’accès au réseau de transports en commun
- L’approche terrain du recueil immersif des usages permet de mieux identifier les cheminements réels des piétons pour accéder par exemple à une gare, et d’évaluer avec eux la qualité d’usage de leur déplacement, avant même de dessiner un plan d’aménagement (exemple : étude Cerema/Efficacity/Arep sur le pôle gare de Fontainebleau Avon )
- L’évaluation multicritères de la "marchabilité" d’une ville est une méthode d’évaluation complète du caractère plus ou moins "marchable" d’une ville.
- L’approche méthodologique intégratrice "Rue Commune" : élaborée par Richez Associés, Franck Bouté Consultants et Léonard Vinci pour l’ADEME, cette méthode de conception multiscalaire, collaborative et sensitive de rues plus adaptées aux piétons et aux évolutions du climat a été conçue pour transformer les nombreuses rues secondaires existantes des villes. Ces rues, non circulées par des bus, sont stratégiques pour la qualité des parcours du dernier kilomètre permettant d’accéder aux TC
Adaptation stratégique des circulations sur voiries pour favoriser le piéton
Les actions de gestion de la voirie : la modération des vitesses et des flux automobiles, l’optimisation des plans de circulation dans les quartiers autour des PEM, ou encore la fluidification des traversées piétonnes (temps de vert piéton et élargissement du marquage de la traversée, suppression de la place de stationnement en amont des traversées piétonnes…) sont faciles à mettre en œuvre au bénéfice des flux piétons d’accès au pôle d’échanges multimodal.
Un traitement plus qualitatif, sécure, et apaisé entre modes des itinéraires de rabattement sur les pôles d’échanges PEM : on peut améliorer les pôles d'échange multimodaux par un éclairage sous ouvrages, des aménagements vélos mieux séparés des flux piétons, un désencombrement des mobiliers urbains et un guidage pour malvoyants pour répondre aux besoins des personnes à mobilité réduites (voir notamment le plan de désencombrement des mobiliers urbains à Bordeaux dans le cadre d’un schéma mode actifs)
De ce point de vue, les projets récents de BHNS en France (ou de lignes fortes de bus aménagées avec une ambition particulière d’insertion urbaine et paysagère, comme par exemple la ligne G à Bordeaux), ou de pôles d’échanges aménagés récemment illustrent très bien les nouveaux traitements plus exigeants et mieux coordonnés entre les différentes mobilités décarbonées, le besoin de rehausser la qualité d’usage des piétons, et ceux plus transversaux de l’adaptation des villes aux changements climatiques.
