3 juillet 2018
Couverture
Le pôle Aménagement Numérique et Territoires fait un retour sur la consultation publique de l’Arcep relative à un projet de recommandations portant sur l’application de la réglementation FttH.

Bref historique

Depuis sa première décision, prise il y a plus de huit ans, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) n’a cessé de préciser les règles que les opérateurs devaient respecter pour le déploiement du FttH ( Fiber to the Home, c'est-à-dire "Fibre optique jusqu'au domicile") , les unes spécifiques aux 106 communes classées en zones très denses et qui représentent 20% des locaux du pays et les autres, applicables aux territoires de villes grandes (Caen, Limoges), moyennes, et petites et tous les villages.

Rappelons ici que les zones AMII (zones d’initiatives privées issues de l’Appel à Manifestation d’Intention d’Investissement lancé par le gouvernement fin 2010) n’ont aucun caractère réglementaire.

Fin 2010, l’Arcep a publié une décision qui fixe les règles de déploiement du FttH en dehors des zones très denses, valables encore aujourd’hui tant pour les zones d’initiative privée que publique. Cette décision n° 2010-1312 exprime des exigences envers les opérateurs et indique des règles méthodologiques visant à garantir l’intérêt général, dans un marché ouvert à la concurrence et donc privilégiant le gain à l’aménagement du territoire : principe de complétude de couverture, délai raisonnable pour l’achever, cohérence des zones arrière de Point de mutualisation, accessibilité du réseau établi pour les opérateurs concurrents,…

Ont suivi :

  • en 2012, des orientations concernant le raccordement final des abonnés,
  • en 2013, une recommandation sur les règles d’identification des lignes FttH,
  • en 2015, une recommandation relative à la mise en œuvre de la complétude en dehors des zones très denses (introduction de la notion de local raccordable à la demande).
  • en 2015, une décision sur les processus techniques et opérationnels de la mutualisation des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.

Ces textes ont une force décroissante, de la décision à la recommandation et aux orientations.

En 2018, au vu des nombreux retours d’expérience qui lui sont parvenus et qui mettent en lumière des comportements critiquables, à défaut d’être illégaux, de la part des opérateurs qui déploient des réseaux FttH, l’Arcep tente d’y mettre fin par un rappel au règlement qui prendra la forme d’une recommandation. Ce texte vise à préciser les règles à respecter par les opérateurs d’infrastructures (anciennement "opérateurs d’immeuble") dans le but de garantir, autant que possible, que l’intérêt général soit préservé sans entraver la liberté d’entreprendre de ces acteurs.

Les enjeux du projet de recommandation de l’Arcep

Le projet de recommandation de l’Arcep vise donc à lutter contre trois situations observées principalement :

  • la préemption
  • l’inefficacité globale : double déploiement
  • les trous de couverture.

Préempter un territoire consiste, pour un opérateur, à manifester une volonté de couvrir des territoires qui n’est pas suivie d’effet dans les délais prévus par la réglementation. Ainsi, face à ses concurrents, il se réserve ces territoires pour plus tard, quand il considèrera que les conditions du marché sont réunies pour qu’il déploie effectivement. Dans certains cas, l’opérateur se contente de découper des zones arrière de PM (ZAPM) et de lancer des appels au cofinancement, dans d’autres il va jusqu’à poser des armoires de rue pour les PM et ne réalise pas la desserte des locaux en posant les PBO, dernier maillon avant le raccordement final des usagers.

Le double déploiement, voire le triple comme l’a montré l’Arcep dans certains quartiers de St-Denis de la Réunion, s’observe quand, en dehors de toute concertation entre eux et avec la collectivité concernée, ce que pourtant prévoit la réglementation, les opérateurs déploient des réseaux FttH dans les mêmes rues.

Les trous de couverture, enfin, sont le résultat d’une recherche de rentabilité maximale de la part des opérateurs qui laissent des locaux sans solution de raccordement entre leurs zones arrière de PM quand leur desserte présente des difficultés techniques ou des coûts jugés excessifs. De tels comportements ne manqueront pas d’engendrer demain une fracture numérique autour du très haut débit.

Les moyens pour lutter contre les dérives constatées

Contre la préemption : l’Arcep apporte des précisions sur la définition du démarrage du délai raisonnable (de deux à cinq ans selon les situations locales) pour l’achèvement de la couverture d’une ZAPM. L’article 3 de la décision n°2010-1312 fixe ce démarrage "à la suite de la déclaration de la zone arrière". Le délai commencera désormais à "la fin de la consultation préalable aux déploiements [qui] constitue la déclaration mentionnée à l’article 3 de la décision de l’Autorité n°2010-1312 et, par suite, le point de départ des déploiements" . Au passage, l’Arcep tente de mettre de l’ordre dans les appels au co-investissement qui se sont multipliés dans certains territoires sans être pour autant suivis d’effet.

Contre ce qu’elle nomme des "incohérences" dans les déploiements, à la fois les recouvrements de ZAPM et les trous de couverture, l’Arcep met en avant une idée qui n’avait été que rapidement abordée dans sa décision de 2010 relative à toutes les communes en dehors des zones très denses. Il s’agit de demander aux opérateurs de présenter, à une échelle suffisamment grande (par exemple, une communauté de communes) un projet de maillage complet du territoire en ZAPM. Ils devront ensuite s’engager fermement à couvrir les zones qu’ils auront retenues, les autres restant des simples zones "de cohérence potentielle" dont personne à ce jour ne sait qui les prendra à sa charge.

Conclusion

Il n’est pas trop tard pour tenter de mettre en peu d’ordre dans les déploiements des réseaux FttH. Globalement, seul un petit tiers des lignes qu’il faudrait construire pour couvrir 100% du territoire a été construit jusqu’ici. Les réseaux d’initiative publique apporteront d’ici cinq ou six ans un autre tiers dans des conditions contractuelles qui devraient limiter les risques évoqués dans le présent article.

C’est donc pour le dernier tiers, déjà planifié par les opérateurs ou laissé pour plus tard, qu’il était nécessaire pour l’Arcep d’intervenir. Cependant, la question de l’efficacité d’une recommandation peut être posée. Une décision, certes plus longue à mettre en place, aurait davantage « force de loi ».

L’Arcep, comme le prône son président, pourrait aussi recourir à la "multitude", en mettant en place un observatoire des déploiements, que les citoyens et les entreprises pourraient renseigner, ce qui mettrait en évidence les comportements des opérateurs.

Par ailleurs, certaines situations décrites par l’Arcep dans son document mis en consultation, se retrouvent également en zones très denses, en particulier les trous de couvertures, des micros-trous de couverture, à l’échelle de quelques maisons parfois. Ce n’est pas la tentative inscrite dans le statut de "zone fibrée" pour obtenir la complétude qui apportera une solution au problème. Par conception, la réglementation en zones très denses (ZTD) ne permet pas d’exiger d’un opérateur ou d’un autre la complétude de couverture d’une commune. Il conviendrait, douze ans après les premiers déploiements en ZTD, de mettre les opérateurs autour d’une table pour achever la couverture à 100% des communes des ZTD et de rendre les locaux accessibles à tous les fournisseurs d’accès Internet (FAI).

Enfin, l’objectif que devrait viser l’Arcep, serait de permettre que les abonnés ADSL puissent, sans trop de délai, conserver leur FAI en passant à la fibre.