22 mars 2022
Route coupée après la crue dans la vallée de la Roya
Florent Adamo - Cerema
Disposer de réseaux d’infrastructures de transport résilients est aujourd’hui fondamental pour la viabilité environnementale, sociale et économique de nos territoires. Cet article du Cerema s'adresse aux gestionnaires de réseaux routiers : il revient sur les enjeux pour les territoires et les leviers d'action pour assurer la résilience des infrastructures.

Pourquoi parler de résilience des infrastructures ?

La résilience est un crible de plus en plus répandu d’analyse des projets d’aménagement des territoires: Parmi les multiples composants d’un territoire, les réseaux de transport occupent une place très particulière. Ils sont en effet essentiels pour relier les communautés, façonner leurs économies et soutenir la libre circulation des idées, des biens, des personnes et des services.

Soumises à de nombreux aléas d’origine naturelle ou anthropique, les infrastructures de transport, pour la plupart construites au siècle dernier, doivent aussi composer avec le changement climatique qui accentue leurs vulnérabilités.

Dans ce contexte, l’absence de prise en compte de la résilience dans les investissements, les travaux neufs ou les opérations de maintenance, de réhabilitation ou d’adaptation s’avérera extrêmement coûteux.

Il est impératif de penser dès aujourd’hui des réseaux d’infrastructures plus durables, plus sûrs et plus résilients, qui répondent aux besoins de la société tout en tenant compte des limites actuelles et futures (matériaux, espace, budgets…) et en respectant l’environnement et les principes des nécessaires transitions écologiques et énergétiques.

 

Une lecture particulière de la notion de résilience

ouvriers en train d'entretenir une chaussée (joint sur un pont probablement)Depuis quelques années, le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) définit la résilience comme étant "la capacité des systèmes sociaux, économiques et environnementaux à faire face à un événement, une tendance ou une perturbation dangereux, en réagissant ou en se réorganisant de manière à maintenir leur fonction, leur identité et leur structure essentielles, tout en conservant leur capacité d'adaptation, d'apprentissage et de transformation". Nous utilisons cette définition qui permet de s’éloigner de la notion classique de résilience à une crise ou à une catastrophe, en incluant l’idée que, pour être résilient, un système doit également être adapté à une tendance qui peut aboutir à des impacts néfastes à plus ou moins long terme.

Cela nous permet de considérer, s’agissant des infrastructures de transport, qu’elles ne peuvent pas être réellement considérées comme résilientes si elles ne sont pas capables de faire face à leur vieillissement et à leur dégradation chronique, aux changements climatiques, et plus largement à un certain nombre d’évolutions qui pourraient les toucher directement, ou être vécues par les territoires qu’elles desservent.

Ces évolutions peuvent être de plusieurs ordres, que ce soit techniques, sociétales, économiques, démographiques ou tout simplement d’usages.

 

Une dimension prospective nécessaire

 

Cette approche spécifique du Cerema nécessite un premier questionnement de la part du gestionnaire ou du territoire qui peut s’apparenter à une démarche de prospective. Il s’agit en effet de questionner un réseau ou un territoire par le prisme des fonctionnalités et des niveaux de service qui lui sont associées.

  • Est-ce que le réseau permet de desservir un bassin d’emploi, une zone touristique, une aire rurale… ?
  • Quels sont les services qu’il est important de préserver : l’accès à un hôpital, à une zone d’activité, à une école, un commerce ou à un terrain de sport ?
  • Et quelle est pour chaque fonctionnalité le niveau d’acceptabilité d’une rupture de service : une heure, un jour, une semaine… ou aucune rupture ?

Ce questionnement permet :

  • D’identifier les futurs indésirables et de mettre en œuvre les mesures nécessaires si certains éléments devaient se réaliser (plan de gestion de crise, plan de continuité d’activité, stress test…) ;
  • De provoquer les ruptures nécessaires à l’émergence des futurs désirables, qui bien souvent, dans un contexte de changement climatique et de mutation de nos sociétés, peut aller jusqu’à la mise en œuvre de transformations structurelles.

C’est cette vision prospective qui permet de bien orienter les travaux de définition d’une stratégie de résilience, qu’elle soit à l’échelle d’un réseau ou plus globalement à celle d’un territoire.

 

Anticiper plutôt que subir !

route fissurée en longueur
Lamine-Ighil Ameur - Cerema

Si ces évolutions de la société seront nombreuses et pas toujours facilement prévisibles, le changement climatique est une composante importante qu’il est possible d’évaluer et de prendre en compte dès maintenant. Comme l’indique le récent rapport Prospective 2040 – 2060 des transports et de la mobilité, publié par le CGEDD et France Stratégie, "l’urgence climatique surplombe les réflexions sur le futur de la mobilité". En termes d’investissement dans une collectivité, ou tout simplement de gestion d’un patrimoine d’infrastructure, il s’agit d’un élément essentiel à prendre en compte dès maintenant.

La littérature scientifique est désormais riche de nombreuses études, retours d’expériences ou scenarii qui vont dans le même sens. On peut résumer ces conclusions par trois exemples chiffrés :

  • x3 : c’est l’augmentation du coût des dommages aux infrastructures de transport liés aux évènements climatiques en Europe au cours de la décennie actuelle, par rapport à la référence de la décennie 2010.
  • 7 à 10 milliards de dollars : c’est le montant qui serait économisé chaque année aux Etats-Unis d’ici 2050 en cas d’adaptation proactive des routes.
  • 2000 milliards de dollars : c’est l’estimation par la Banque mondiale du coût supplémentaire à l’échelle mondiale des travaux nécessaires à l’adaptation si on décale à 2030 les décisions allant dans ce sens.

Ajoutons à cela que dans la très grande majorité des cas il est rentable d’accroitre la résilience lors des futurs investissements (adaptation, travaux de réhabilitation, projets neufs…) : toujours selon la Banque mondiale, un euro dépensé aujourd’hui en faveur de la résilience et/ou de l’adaptation au changement climatique, c’est entre 4 et 6 euros évités sur le cycle de vie résiduel de l’infrastructure, ce qui représente un rapport coût / bénéfice intéressant !

Au final, l’adaptation est la seule réponse qui existe pour les effets qui vont se produire sur les années et décennies à venir, avant que les mesures d’atténuation ne fassent enfin effet.

 

Une méthodologie opérationnelle qui a fait ses preuves

 

Le Cerema a développé une approche globale appelée Gestion intégrée des patrimoines d’infrastructures.  Son objectif principal est de concilier les enjeux de court et de long terme en mettant en place une démarche adaptée à chaque réseau.

 

Celle-ci permet d’améliorer l’état du patrimoine d’infrastructures et sa durée de vie, tout en augmentant la résilience du réseau et en ayant une meilleure performance par euro dépensé. Cette approche a notamment pour spécificité de prendre en compte les composants de l’infrastructures, mais aussi les fonctionnalités et les services qu’elle porte.

Cette approche est soutenue par une méthodologie opérationnelle qui permet d’identifier les vulnérabilités actuelles et futures, d’identifier des solutions d’adaptation les plus pertinentes, et de définir une stratégie de résilience sur-mesure, sur la base d’une priorisation co-construite avec les différentes parties prenantes.

 

Cette méthodologie comporte plusieurs étapes :

La première d’entre elles correspond à la définition des objectifs, des périmètres et de la gouvernance de l’étude. Cette étape est fondamentale car elle permet de cadrer à la fois :

  • les objectifs de résilience souhaités pour l’infrastructure et ses fonctionnalités, et les niveaux associés ;
  • les périmètres de l’étude : géographique, physique, fonctionnel et celui des aléas à considérer
  • la gouvernance, et plus précisément les différentes parties prenantes qui seront associées plus ou moins directement à l’étude et à la définition de la stratégie de résilience.

Viennent ensuite les étapes de l'évaluation de la vulnérabilité et des risques (identification des composants ; des données ; analyse de l’exposition actuelle, future ; évaluation des vulnérabilités et des risques). Elles sont la base de l’indentification des mesures d'adaptation qui serviront elles-mêmes à définir une stratégie de résilience en hiérarchisant ces mesures en fonction d'indicateurs sur-mesure.

La dernière étape correspond enfin à la mise en œuvre au suivi et à l'évaluation de cette stratégie. Elle est bien souvent complétée par un ensemble d’actions de communication interne ou externe, que ce soit pour expliquer les intérêts de la démarche de résilience ou justifier les changements induits par la mise en place de certaines mesures d’adaptation.

Cette méthode, développée pour les infrastructures routières, peut être appliquée à toute infrastructure (rail, port, réseau d’eau…) ou système (territoire, entreprise…).

 

Le Cerema aux côtés des gestionnaires et des collectivités

Inspection sous un pont avec la passerelle epsilon du cerema
Crédit : Cerema

Après près de dix années de développements et de retours d’expériences sur de nombreuses infrastructures existantes ou encore en phase projet, le Cerema dispose d’une expertise forte sur le sujet de la résilience des infrastructures de transport. Les collectivités et gestionnaires intéressés peuvent tirer de cette méthodologie un grand nombre d’avantages tels que l’adaptation de leurs référentiels techniques, l’amélioration de leurs politiques de gestion, l’optimisation de leurs dépenses, et plus globalement, l’amélioration de la résilience de leurs réseaux, au service du territoire et de ses habitants.

La première leçon tirée des études réalisées dans les dernières années, est que notre méthodologie reste pertinente :

  • quelle que soit l'échelle (microscopique ou macroscopique) à laquelle nous évaluons un réseau ou un système,
  • et même lorsque les données disponibles sont peu nombreuses ou incomplètes.

La deuxième leçon apprise au cours de toutes ces années est l'intérêt que les gestionnaires d'infrastructures ont trouvé dans cette approche basée à la fois sur les infrastructures et les services qu’elles portent. Bien qu’elle soit bien cadrée pour permettre une appropriation par tous, elle reste tout de même une approche sur-mesure, notamment grâce à la co-construction des objectifs, des périmètres, mais aussi des éléments de priorisation qui emmènent vers une stratégie. Ainsi, elle peut être adaptée précisément aux besoins et exigences de chaque territoire.

 

 

 

” Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. “  – Antoine de Saint Exupéry, Citadelle, 1948