Le Cerema a organisé le 4 novembre 2025 un colloque pour alimenter les échanges scientifiques sur cette question au cœur des enjeux de mobilité.
Le 4 novembre 2025, le Cerema a organisé cette journée scientifique et technique consacrée à la mobilité des personnes vieillissantes. La matinée a permis de présenter le contexte de l'étude, la méthodologie innovante et les premiers résultats, ainsi que les pistes de traduction en termes de politiques publiques. L’après-midi a réuni neuf chercheurs et experts qui ont présenté leurs travaux sur la marche, les fragilités, la démotorisation, la mobilité communautaire ou encore les projections à long terme. Deux posters scientifiques ont également été exposés tout au long de la journée.
Une méthodologie d’enquête "hybride" mélangeant les approches qualitatives et quantitatives
Pour répondre au besoin de connaissance de la MEL, le Cerema a développé une méthodologie d’enquête originale combinant approches qualitatives et quantitatives. Après un premier marché public (basé uniquement sur un suivi de panel quantitatif et qualitatif) infructueux et l’impact de la crise sanitaire, la méthodologie a été revue : les enquêtes qualitatives identifient d’abord les enjeux clés liés à la mobilité des seniors, puis les enquêtes quantitatives viennent mesurer leur importance auprès d’un échantillon représentatif. Un panel auto-administré mené en parallèle permet d’observer les évolutions individuelles sur plusieurs années. Cette approche hybride constitue une première méthodologique à grande échelle en France.
Entre 2019 et 2024, plusieurs vagues d’enquêtes qualitatives, quantitatives et auto-administrées sont donc menées. Elles explorent notamment la place croissante de la marche, la centralité de la voiture, la plus ou moins bonne connaissance de l’offre de transports urbains, les effets des nouveaux aménagements dans l’espace urbain, l’impact des crises (Covid, inflation) ainsi que la montée en puissance des usages numériques.
Les premiers résultats montrent tout l’intérêt d’une approche longitudinale. Les transitions de vie, le départ à la retraite, la perte d’un proche, l’apparition de problèmes de santé, influencent fortement les pratiques de mobilité. La marche prend progressivement plus d’importance pour les déplacements courts, parfois permise par le chariot de courses. À l’inverse, la démotorisation est un tournant difficile pour de nombreux seniors, tant la voiture reste liée à l’autonomie.
Les analyses mettent en lumière des vulnérabilités spécifiques : difficultés face à un code de la route en évolution, complexité croissante des véhicules et cohabitation parfois délicate avec les nouveaux modes silencieux comme les trottinettes ou vélos électriques. La question du renouvellement du permis suscite des avis partagés, même si une part importante des seniors se dit favorable à des contrôles médicaux réguliers à partir de 75 ans.
Cet événement s’inscrit dans une dynamique plus large de valorisation du projet, déjà présenté lors de rencontres nationales et internationales. Une communication plus institutionnelle portée par la MEL est prévue en 2026.
Lors de la matinée du 4 novembre, le Cerema et la MEL ont conjointement présenté ce projet d’observation de la mobilité des seniors sur plusieurs années. La présentation a permis de comprendre non seulement comment les seniors se déplacent, mais aussi comment leurs habitudes changent avec le temps ou l’âge et avec les événements de la vie.
Dans un premier temps, le Cerema a présenté la méthodologie du projet qui repose sur une combinaison de données quantitatives et qualitatives. La méthodologie employée permet d’évaluer le comportement individuel des seniors (volet qualitatif du projet) puis de le ramener au comportement collectif (volet quantitatif) de cette population spécifique. La combinaison des deux approches offre une vision à la fois statistique et contextualisée des transformations de la mobilité des seniors. Plusieurs résultats sur des thématiques particulières ont été présentés ensuite à titre d’exemple.
Des mobilités qui évoluent avec l’âge
Globalement, les déplacements diminuent au fil des années. La marche reste un mode central, mais les fragilités physiques montent progressivement : baisse de la vue, perte de réflexes, appréhension face à la circulation. La conduite automobile constitue souvent un marqueur d’autonomie. Beaucoup de seniors souhaitent la conserver le plus longtemps possible, même si des accidents mineurs ou des alertes de santé les amènent parfois à renoncer ou à réduire leur usage. Dans les zones où l’offre de transport est limitée, la voiture reste vécue comme indispensable.
Le rôle marquant de la crise sanitaire
La pandémie a profondément bouleversé les habitudes. Beaucoup de personnes âgées ont restreint leurs déplacements au strict nécessaire, évitant les lieux fréquentés et ajustant leurs horaires pour limiter les contacts. Cette période a aussi mis en lumière la capacité d’adaptation : recours à la livraison à domicile, au drive, à l’aide familiale, ou même à de nouvelles routines domestiques pour maintenir une forme d’activité physique. En parallèle, le sentiment d’isolement s’est accentué, parfois atténué par le soutien des proches, des voisins ou des services municipaux.
Technologies : intérêt réel mais modéré
L’outil numérique n’est pas rejeté, mais il doit rester simple. Beaucoup utilisent le GPS ou consultent des outils de type Google Maps, mais se méfient des aides à la conduite jugées trop intrusives. Les équipements d’assistance à la manœuvre (capteurs, caméra de recul) sont mieux acceptés que ceux qui interviennent directement sur la trajectoire (dispositif anti-assoupissement) dont l’action est parfois vécue comme une sanction (oubli de clignotant). Le stationnement automatique des véhicules est quant à lui envisagé comme un gadget sans grand intérêt.
Communications scientifiques
L’après-midi a été dédiée à la présentation des communications scientifiques retenues pour cette journée :
Freins et leviers à la marche chez les aînés.
Niels Knapp-Ziller (Géographe, Gérontopôle des Pays de la Loire)
Cette communication est venue souligner l’importance de sanctuariser la pratique de la marche chez les aînés, puisqu’elle présente des vertus tant environnementales que pour le maintien en bonne santé. Le gérontopôle des Pays de la Loire s’est attaché à déceler les facteurs limitant ou favorisant la marche des plus âgés à partir d’une enquête qualitative originale associant entretiens semi-directifs, focus groups, méthode des porteurs de paroles et balades commentées. Elle a abouti à la co-construction avec les personnes âgées d’une grille d’analyse de la marchabilité du point de vue des personnes utilisatrices d’un déambulateur. L’étude révèle la régulière inadaptation des traversées pour ces personnes même dans des situations où l’aménagement respecte les normes et recommandations nationales.
Marcher dans son quartier, marcher dans l’espace public : de l’analyse spatiale aux expériences des aînés au sein de leur territoire.
Valkiria Amaya (Université Grenoble Alpes, AGEIS et PACTE). Thibauld Moulaert (Université Grenoble Alpes – Science Po Grenoble, PACTE). Nicolas Vuillerme (Université Grenoble Alpes, AGEIS et Institut Universitaire de France)
Si la littérature met en évidence l’influence des caractéristiques physiques du cadre bâti sur la capacité des personnes âgées à se déplacer, il reste essentiel d’intégrer d’autres dimensions telles que les perceptions et les expériences des aîné.es, pour mieux comprendre comment ils et elles investissent, évitent ou réinterprètent l’espace public au quotidien.
S’appuyant sur des méthodes géospatiales basées sur un modèle d’accessibilité (Amaya et al., 2022) d’une part et sur des approches qualitatives participatives telles que les parcours commentés (Thibaud, 2001) d’autre part, cette communication est venue pointer les niveaux relatifs d’accessibilité de deux quartiers de Grenoble aux piétons âgés. Ce travail doctoral décortique les arbitrages qui amènent les aînés à décider d’une sortie et à choisir un itinéraire. L’analyse montre le poids des significations associées à la marche ainsi que des conditions environnementales (ex : météo) dans la construction de la décision.
D’un territoire à l’autre, quelles mobilités ? Le dispositif OSMOSE (Occitanie Solidaire pour la MObilité des Seniors)
Danko Marianna (Université de Nîmes, Chrome). Margot de Battista (Université de Nîmes, Chrome). Pierre Brunel (Université de Nîmes, Chrome)
Le projet OSMOSE (Occitanie Solidaire pour la MObilité des SEniors) s’intéresse à la prévention pour un vieillissement actif et en bonne santé des seniors. Il vise principalement à connaître les besoins des personnes âgées en matière de mobilité et d'accès à l'information, à recenser les initiatives existantes dédiées à leur mobilité dans les territoires étudiés, et éventuellement à expérimenter et promouvoir des solutions de mobilité adaptées.
A partir d’une enquête par questionnaire sur un échantillon de 1785 retraités de la région Occitanie, les besoins des seniors en termes de mobilité ont été identifiés. Ils peuvent être regroupés en trois grandes familles :
- l'accessibilité (pouvoir accéder aux lieux demandés),
- la sécurité (sécurité routière et personnelle),
- la qualité (qualité de l'environnement et attractivité des lieux).
Ces besoins contribuent à l’intégrité identitaire des personnes : la mobilité ne se limite pas au déplacement physique mais englobe également l’agrément, la facilité, la protection et le sentiment d'appartenance.
Participation et mobilité communautaire des aînés vivant avec et sans démence : le projet DemSCAPE-VD
Isabel Margot-Cattin (Haute école de travail social et de la santé de Lausanne, HES-SO). Christine Mabon (Haute école de travail social et de la santé de Lausanne, HES-SO)
Réplique dans le canton de Vaud (Suisse) d’un projet similaire à Vancouver (Canada), le projet DemSCAPE-VD s’intéresse à la participation et à la mobilité quotidienne des aînés dans leur quartier de résidence. Dans une démarche de science participative, ce projet de recherche entend identifier les destinations du quotidien, qualifier les caractéristiques de l’environnement bâti et donner une voix aux seniors par le truchement de méthodes qualitatives comme la photo-élicitation.
Le but visé est une co-conception des outils qui faciliteront les manières d’habiter de demain pour les seniors (qu’ils soient valides ou atteints de démence) tant du point de vue de l’environnement bâti que du point de vue des réseaux de transport. DemSCAPE-VD répond à trois besoins majeurs : produire des connaissances empiriques sur la mobilité des aînés fragiles, proposer des outils concrets d’aide à la décision pour les communes et promouvoir des environnements urbains inclusifs selon la logique des Dementia-Friendly Communities (UNECE, 2019). La grande originalité de cette recherche-action est son caractère réplicable dans d’autres contextes et sur d’autres territoires.
Le point d’arrêt, entre mobilité et immobilité : une lecture clinique et urbaine des fragilités vieillissantes dans la mobilité quotidienne
Benjamin Costi (Ingénieur des Ponts et Chaussées et psychologue clinicien, consultant BCF)
En choisissant une double perspective, urbaine et clinique, cette communication a questionné le désamour des aînés pour les transports en commun en explorant un point de blocage précis, celui de l’attente et des conditions dans lesquelles elle se produit au point d’arrêt. Lieu de passage, d’intermodalité, mais aussi d’exposition dans l’espace public, où le corps âgé, souvent ralenti, devient visible, lieu d’attente souvent inconfortable, où s’expriment des appréhensions physiques mais aussi psychiques, il reste peu investi des opérateurs de transport qui ont tendance à en laisser la conception aux collectivités locales ou aux régies publicitaires.
A l’appui de diverses expériences professionnelles, l’auteur a montré que les usagers âgés des TCU exprimaient une sensibilité accrue à des paramètres de confort (assises adaptées, protection contre la pluie et la chaleur, informations lisibles), d’ambiance (éclairage, affluence, sentiment d’insécurité, civilité) et à des services moins visibles mais essentiels comme l’accès aux toilettes publiques ou la possibilité d’alerter en cas de malaise. A défaut, le risque est celui d’une marginalisation silencieuse des aînés. Actuellement pensés pour les actifs et étudiants dans une logique fonctionnelle, des réseaux de transport plus attentifs aux publics âgés entretiendraient un rapport au temps plus lent, plus sensible à l’environnement, à la flânerie, à la pause et à l’échange intergénérationnel.
Renoncer à conduire en vieillissant : des conséquences différenciées chez les femmes et les hommes sur leur mobilité pour s’approvisionner
Angèle Brachet (Université Gustave Eiffel, LVMT)
Le processus de renoncement à l’automobile en vieillissant est fortement genré. Les femmes cessent de conduire plus précocement que les hommes. L’objet de cette proposition de communication a été d’en comprendre les conséquences dans l’approvisionnement des ménages âgés résidant dans des espaces peu denses périurbains. La recherche s’appuie sur une cinquantaine d’entretiens semi-directifs menés avec 70 personnes âgées entre 66 à 91 ans dans les aires périurbaines de Limoges et Dijon.
Les résultats mettent en évidence l'influence des maris dans le processus de renoncement à la conduite chez les femmes mariées plus âgées ; des femmes qui décident de ne plus conduire implique que leurs maris participent davantage à l'approvisionnement du ménage, c’est une occasion de redistribuer la division sexuée du travail domestique au sein du couple. Cependant, dans les espaces peu denses, les femmes qui ne conduisent plus se retrouvent dépendantes de leurs maris et se restreignent en termes de diversité des lieux d'approvisionnement et de nombre de trajets liés aux achats.
Quelles immobilités à l’horizon 2070 ? L’apport d’un modèle âge-cohorte
Julie Pélata (Université Gustave Eiffel, AME-MODIS). Jimmy Armoogum (Université Gustave Eiffel, AME-MODIS)
Cette communication a interrogé l’immobilité au long cours chez les seniors (à partir de 4 jours par semaine sans sortie) (Pélata et al., 2025). L’autrice a concaténé plusieurs enquêtes nationales transport (ENT) qui interrogent tous les 10 ans un échantillon représentatif de la population vivant en logement ordinaire (c’est-à-dire hors institution) en France métropolitaine. De cette base, elle a tiré un modèle dit démographique qui détermine un profil-type de grande immobilité selon l’âge, ainsi que des coefficients de génération qui translatent les courbes à la hausse ou à la baisse (Dejoux et al., 2010; Krakutovski & Armoogum, 2007). Différents modèles ont été calculés en faisant varier le genre et la zone de résidence.
Le tout peut alors être projeté à l’horizon des derniers chiffres de population de l’Insee – 2070 – en faisant varier les hypothèses pour donner à voir l’ampleur des incertitudes (Algava & Blanpain, 2021). Les résultats ont permis de tracer des perspectives pour le futur, en mettant en lumière le nombre des personnes qui risquent d’être reléguées à domicile en vieillissant. Dans un contexte où pouvoirs publics et citoyens se rejoignent dans l’appel à un « virage domiciliaire » en défaveur des établissements (EPHAD, etc.), l’enjeu collectif est de taille et concerne aussi bien les visites (en mobilité inversée) que l’accompagnement en mobilité, en passant par l’hospitalité de l’espace public, c’est-à-dire son accessibilité (Joseph, 1997).
Analyse des résultats de l’enquête réalisée par le CCAS de Lambersart auprès des seniors de la commune
Jean-Romain Gheysen (Université de Lille, TVES)
La dernière communication a présenté les résultats d’une enquête menée par le CCAS de Lambersart (59) portant sur les seniors de la commune. Elle visait à mieux comprendre les besoins rencontrés par les personnes âgées, afin d’adapter les politiques publiques locales à la réalité du vieillissement. Cette étude comporte une série d’entretiens semi-directifs auprès de 52 personnes âgées de 60 ans ou plus et de 29 professionnels.
L’auteur a analysé les résultats obtenus dans le cadre des entretiens en ce qui concerne le volet “mobilité” du quotidien. Trois grands axes de cette enquête ont pu être dégagés :
- la dépendance automobile ;
- les inégalités entre quartiers ;
- l’individualisation des besoins.
Il a conclu sur l’importance des démarches participatives et citoyennes concernant et impliquant les seniors sur la thématique des mobilités urbaines.
Enfin, deux posters ont été affichés pendant toute la journée :
- Dans quelle mesure la mobilité est-elle clef pour prévenir la perte d’autonomie et lutter contre l’isolement des seniors ? (Wimoov)
- Le cas de la Suisse romande : Les Plans de Mobilité Senior comme méthodologie de terrain, pour une meilleure prise en compte des habitudes et des besoins des seniors dans l’aménagement de l’espace public et leurs déplacements (ATE)
