Vers une renaturation des sols
Depuis les années 60, nos villes s’étendent afin de répondre à de nombreux besoins sociaux et économiques (demandes de logements, de transports, d’activités, de parkings, …). Cet étalement urbain engendre inévitablement une artificialisation des sols voire une imperméabilisation qui n’est pas sans conséquence sur notre vie et notre environnement : recul des espaces naturels et agricoles, érosion de la biodiversité, augmentation des risques d’inondation, îlots de chaleur urbain...
Pour limiter ces phénomènes, dans un contexte de changement climatique et de forte demande sociale et environnementale pour plus de nature en ville, des collectivités ont développé des stratégies globales se basant sur la désimperméabilisation et la renaturation de leur sol.
Cette journée technique a permis de présenter des exemples concrets de désimperméabilisation et renaturation des sols et de répondre aux principales inquiétudes des acteurs (collectivités, bureaux d’études, services de l’Etat) face à ces solutions innovantes afin de les développer le plus largement possible sur les territoires, de l’échelle de l’opération à l’échelle de la planification.
La BD, retour original et ludique des échanges
Le sol comme une des SOLutions de la ville de demain
Lors de cette séquence introductive, V. Graffin, directeur du département ville durable du Cerema Ile-de-France, a présenté le contexte de la journée, les enjeux de la prise en compte des sols, les travaux du Cerema sur le sujet ainsi que l’accompagnement qu’il propose aux collectivités.
Les sols rendent de multiples fonctions et services essentiels à l’Homme, dans un contexte fort d’adaptation au changement climatique et de limitation de l’érosion de la biodiversité. Malheureusement l’artificialisation des sols impacte fortement ces sols.
Le Plan national pour la Biodiversité de 2018 a mis en avant un objectif de "Zéro Artificialisation Nette" afin de limiter au mieux ce phénomène comme l’ont présenté A. Lombard, chargé de mission du ministère en charge de l'environnement / Direction de l'Eau et de la biodiversité et G. Ducos, chargée de mission du ministère en charge de l'environnement /Commissariat Général au Développement Durable.
Les conséquences de cette artificialisation des sols sont diverses :
- Diminution des surfaces agricoles à fort rendement
- Morcellement et réduction des habitats et des écosystèmes
- Dégradation de la biodiversité
- Augmentation du ruissellement de l'eau et risques d’inondations
- Allongement des temps de trajets et émission CO2
- Réduction du stockage du carbone dans les sols
Deux approches sont à mettre en œuvre afin de tendre vers cet objectif de « zéro artificialisation nette » : une approche quantitative, avec la création de l’observatoire de l'artificialisation des sols, mis en ligne récemment et permettant aux collectivités comme au public de suivre l'évolution locale de l'artificialisation des territoires (analyse des fichiers fonciers) et une autre approche plus qualitative, avec une conservation des sols et de leur biodiversité (qualité des sols agricoles et nature en ville).
Observatoire de l'artificialisation des sols
Des exemples de solutions plus ou moins simples à mettre en œuvre ont ensuite été présentés par Marc Barra, écologue à l’Agence Régionale de la Biodiversité d'Ile-de-France, département de l’Institut Paris Région, mis en avant dans le cadre du dispositif Capitale Française de la Biodiversité
Parmi celles-ci figurent par exemple :
- le développement d'espaces en pleine terre dans les projets d'aménagement (notamment en introduisant un coefficient de pleine terre pour tout nouveau permis d'aménager),
- la préservation des "vieux" arbres et la conservation des sols,
- la construction de bâtiments sur pilotis,
- le concept de "quartier éponge",
- l'affectation d'usages spécifiques à certains sols,
- le développement de la trame brune (continuité des sols avec suffisamment d'espace pour la biodiversité),
- la désimperméabilisation et la renaturation des sols,
- les toitures végétalisées.
Des SOLutions multifonctionnelles pour répondre aux enjeux globaux de la ville
La séquence suivante s’est articulée autour de la présentation d’exemples intéressants d’opérations de désimperméabilisation et renaturation des sols, mis en œuvre dans certains territoires :
- A Bagneux, avec le "Renouvellement urbain du quartier Victor Hugo" présenté par Nathalie Leroy, paysagiste. Le réaménagement du quartier est en lien direct avec l'arrivée du métro et a été conçu dans un objectif de transition écologique (espaces publics résilients avec davantage de place donnée au végétal). L'objectif est de structurer la ville par les espaces publics, par un réseau de liaisons douces caractérisé par une trame verte (réintroduction ou conservation du végétal) et par l'intégration de la gestion des eaux pluviales à ciel ouvert comme un élément du paysage. Le réaménagement du quartier a ainsi permis de désimperméabiliser des sols (noues, jardins partagés, places de stationnement perméables, etc.) tout en recherchant un équilibre eau – sol – végétation.
- A Lyon, avec la "Requalification bioclimatique de la rue Garibaldi", présentée par Frédéric Ségur, responsable ingénierie et prospective à la Métropole de Lyon. La Métropole de Lyon est vulnérable au phénomène d'îlots de chaleur urbains, et la température va augmenter dans les années à venir. La rue Garibaldi, en tant qu'axe majeur, était dévolu aux voitures. Sa requalification, avec des enjeux bioclimatiques et un partage des usages, vise à retrouver un sol vivant, à rendre sa place au végétal et à améliorer le cadre de vie tout en intégrant la gestion des eaux pluviales (désimperméabilisation des sols avec création de noues, récupération des eaux pluviales dans un bassin enterré à la place d'une ancienne trémie pour réutilisation des eaux). L'aménagement fait l'objet de mesures (capteurs posés) et de recherche afin de déterminer l'évapotranspiration des arbres et leur pouvoir rafraichissant. Ces aménagements ont permis de réduire de 9°C la température de la rue lors des épisodes de chaleur.
- A Aubervilliers, avec le "Projet de la Tierce forêt" présenté par A. Bernik, architecte. Il s'agit d'un projet expérimental de plantation d'une forêt urbaine à la place d'un parking, afin de réduire le phénomène d'ilot de chaleur et d'améliorer la qualité de vie des habitants. Après avoir été désimperméabilisé, le sol a fait l'objet d'un diagnostic, essentiel pour le caractériser (qualité du sol, présence de polluants, ...) puis l'espace a été réaménagé (sol reconstruit pour améliorer sa fertilité, revêtement de sol drainant et réserves d'eau). Le site sera instrumenté et des mesures fixes et mobiles seront réalisées dans la durée pour définir l'impact de cette végétalisation.
L’ensemble de ces projets se caractérise par une approche transversale du sujet, un portage politique fort, la mobilisation de différents acteurs complémentaires (écologue, paysagiste, architecte, etc.) ainsi que d’une participation citoyenne et des études de sol réalisées au préalable.
Des réponses aux inquiétudes des acteurs de l’aménagement sur les SOLutions
La première partie de l’après-midi a été consacrée à une table ronde, animée par R. Dagois de Plante & Cité, qui a mis en avant les principaux freins au développement de ces solutions innovantes : leur coût par rapport aux techniques classiques, leur faisabilité technique dans des espaces particulièrement dégradés et les contraintes liées au sous-sol, notamment en milieu urbain.
Des recommandations / solutions techniques / outils ont été proposés par les experts afin de lever au mieux les freins identifiés et répondre aux questions de la salle.
Valorisation des terres :
Des expérimentations de valorisation des matériaux pédologiques fertiles dans le cadre de projets d’aménagement sont en cours aujourd’hui. Ces expérimentations passent nécessairement par une amélioration de la connaissance de ces sols et de leur préservation : diagnostic des sols, intégration de leur préservation dans les objectifs des différents projets, récupération et stockage des sols, développement de stratégies de réutilisation pour adapter les modes de terrassement, création de bourse aux matériaux fertiles, développement de techniques de reconstitution de substrats fertiles ou d’amélioration des sols en place.
Gestion des eaux pluviales :
Très souvent, les différentes solutions de désimperméabilisation-renaturation des sols sont en lien étroit avec la gestion des eaux pluviales. Il est souvent recommandé :
- d’agir sur les espaces verts pour qu'ils absorbent le maximum d'eau de pluie ;
- de développer les toitures végétalisées afin d'optimiser la gestion des eaux ;
- d'intégrer l'absorption de l'eau de ruissellement dès la conception des projets.
Des aides financières existent le plus souvent pour ces réalisations.
Refonctionnaliser les sols dégradés :
Ce concept est possible grâce au génie pédologique. C'est ce qu'a démontré le projet SITERRE et la conception de technosols basée sur des déchets et des sous-produits de la ville. L'objectif est de s’inspirer de l’organisation et du fonctionnement des sols naturels pour créer des sols artificiels fonctionnels répondant aux usages futurs des sols.
Evaluation des risques pour les écosystèmes et sols contaminés :
La méthode TRIADE est aujourd’hui en cours de développement afin d’évaluer les risques pour les écosystèmes de sols potentiellement contaminés. Elle s'inscrit dans la norme ISO 19204 "Qualité du sol — Procédure d'évaluation des risques écologiques spécifiques au site de la contamination des sols (approche TRIADE de la qualité du sol)" et combine trois approches : chimique, écotoxicologique et écologique afin de classer les sols en fonction d'un indice de risque intégré.
Contraintes liées à l'infiltration des eaux pluviales au sol et au sous-sol :
Ces contraintes sont régulièrement mises en avant dans les projets d’aménagement. Des cartes d'infiltrabilité représentant l'aptitude des sols à l'infiltration des eaux pluviales, à différentes échelles, et par des méthodes diverses, peuvent être produites afin de faciliter la prise de décision et orienter les projets.
Par exemple, la carte réalisée par le Département des Hauts-de-Seine visait à faciliter la politique de gestion à la parcelle, via une analyse multicritère (perméabilité, présence de gypse, phénomène de retrait-gonflement des sols argileux, pentes, carrières souterraines et vulnérabilité des eaux souterraines). Le territoire était divisé en zones (infiltration a priori possible ou déconseillée, expertise nécessaire ou infiltration interdite). Cette carte a été largement diffusée auprès des collectivités et des aménageurs.
Des SOLutions à différentes échelles : de la parcelle à la métropole
La dernière séquence de la journée a permis d’aborder les réflexions et solutions innovantes qui peuvent être mises en œuvre à différentes échelles de la ville. Cette séquence s’est articulée tout d’abord autour de deux retours d’expériences :
- Des réflexions ont été menées à Marseille par un groupe d’étudiants-paysagistes sur comment mieux intégrer le sujet des sols dans un projet urbain durable (J. Masafont). La question de l'imperméabilisation des sols est prégnante dans cette ville entourée de massifs où l'urbanisation reste forte. Les étudiants ont réussi à sensibiliser la collectivité sur la question des sols par le biais d’ateliers de restitution et la mise en place d’un vocabulaire commun. Ils ont ensuite décliné à 3 échelles différentes de la ville les principes de gestion à la source des eaux pluviales en utilisant différents types d'aménagements et en multipliant les surfaces.
- Le projet de la ville de Paris sur la désimperméabilisation des sols de cours d’écoles (projet des cours d'école Oasis présenté par Raphaëlle Thiollier). L'objectif de ce projet lancé expérimentalement en 2018 est de transformer les cours d'écoles en ilots de fraîcheur de proximité dans le cadre de l’adaptation au changement climatique. Un aspect porte sur les sols, de façon à permettre une meilleure gestion de l'eau de pluie. La démarche d'aménagement est menée en co-conception avec les écoliers et le personnel des écoles, pour définir un "plan programme" et réaliser les travaux durant la période d'été. Les solutions en matière de sols sont notamment de favoriser la perméabilité, introduire des matières plus naturelles et choisir des revêtements plus clairs et colorés. Différents outils sont déjà publiés et paraîtront au fil du projet, à partir du retour d'expérience parisien.
- La dernière présentation avait pour objet de présenter un projet de recherche appliquée : le projet Dési’ville. Lancé mi 2019, il vise à proposer un outil d’aide à la décision sur cette question de la désimperméabilisation des sols artificialisés et des solutions applicables en ville (C. Le Guern). Le potentiel de désimperméabilisation d'un sol dépend de différents critères, notamment la surface imperméabilisée, les caractéristiques foncières, la nature de la surface, les contraintes environnementales.... Le projet de recherche Dési'ville intègre l’ensemble des "composants" du système étudié (les usages et choix de réaménagement, l’atmosphère, les revêtements de surface, le sous-sol et les eaux souterraines), et tend à modéliser l’ensemble des flux (énergétiques, hydriques, polluants potentiel, etc.) qui le caractérisent avant / pendant / après désimperméabilisation. L’articulation sera assurée au moyen de géotraitements réalisés dans un SIG.
Conclusion
La question des sols en milieu urbain est devenue de plus en plus prégnante en France, mise en avant par le Plan national pour la Biodiversité de 2018 et son objectif de « zéro artificialisation nette ». Cet objectif nécessite bien sûr une approche quantitative (observatoire du foncier) mais aussi (et surtout) une approche qualitative afin de prendre en compte la qualité des sols : la renaturation des sols peut participer à cet objectif mais ne sera sans doute pas suffisant.
Aujourd’hui, dans un contexte fort d’adaptation au changement climatique, de limitation de l’érosion de la biodiversité et d’une forte demande sociale pour davantage de nature en ville, des solutions de désimperméabilisation et renaturation des sols apparaissent essentielles voire incontournables et sont déjà mises en œuvre dans certains territoires. Des contraintes peuvent exister en milieu urbain (pollution, faible infiltrabilité, gypse, réseaux techniques, cavités souterraines …) mais celles-ci doivent être étudiées et précisées sur le terrain : un diagnostic de sol, réalisé par des spécialistes, est un préalable indispensable pour bien connaitre son sol et permettre la plupart du temps d’adapter les solutions techniques aux contraintes identifiées.
Certaines de ces solutions, applicables de l’échelle de l’opération à l’échelle de la planification, nécessitent encore une amélioration de nos connaissances sur les sols. Des outils et/ou projets de recherche en cours de développement seront à terme proposés aux collectivités afin de les aider dans la mise en œuvre de ces solutions de désimperméabilisation-renaturation des sols (projets REGREEN, Dési’ville, TRIADE, SITERRE 2, MUSE, DESTISOL, SOILSERV, …).