Politiques départementales de sécurité routière : Vers une meilleure compréhension des disparités et des performances entre territoires

17 novembre 2025
Route départementale 925, ancienne Route nationale 25, à Eu (Seine-Maritime) en direction d'Abbeville (Somme)
Florian Pépellin
Le projet Politiques Départementales de Sécurité Routière (PDSR), mené par le Cerema et l'Université Gustave Eiffel avec le soutien de la Délégation à la Sécurité Routière et de l'Assemblée des Départements de France, apporte un éclairage inédit sur l'impact des stratégies locales. Cette recherche d'envergure nationale, menée sur la période 2007-2017, démontre que les politiques départementales ont un effet réel et mesurable sur la mortalité routière hors agglomération.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes :  en 2024, les routes départementales (hors territoires des métropoles urbaines, territoires ultramarins et routes territoriales de Corse) ont enregistré 1 893 décès, représentant 59 % des tués, alors que ces routes ne constituent qu'un tiers du linéaire de France métropolitaine

 

Une méthodologie robuste croisant données territoriales et organisationnelles

Cette recherche s’est appuyée sur des données concernant les dimensions socio-territoriales des départements. Elle a conduit également à collecter des données sur l’organisation de la politique locale de sécurité routière, les moyens mis en œuvre, les modalités opérationnelles et son organisation notamment en s’appuyant à la fois sur un questionnaire transmis aux CD et des enquêtes de terrain.

Grâce à une modélisation statistique avancée et des bases de données originales, il a été possible de caractériser à la fois les spécificités territoriales des contextes d’intervention et les politiques menées par la création de typologies. L'objectif a été de comprendre les effets relatifs aux contextes d’action socio-territoriaux, des politiques locales de sécurité routière menées et d’un déterminant structurel exogène, la politique nationale de contrôle (radars), afin d’évaluer leur contribution à l’évolution de l’accidentalité routière.

 

7 catégories de contextes territoriaux :

L'étude PDSR a identifié sept catégories de contextes territoriaux qui permettent de comparer des  conseils départementaux aux défis similaires : ruraux à faible densité (peu peuplés), ruraux-montagneux à forte population âgée, ruraux-dynamiques (à PIB élevé), montagneux-touristiques, départements à métropoles, urbains à très forte densité de population et petite couronne parisienne. Cette typologie révèle la diversité des contextes d'intervention des gestionnaires départementaux.

 

4 stratégies distinctes aux résultats contrastés :

La recherche, s'appuyant sur une enquête nationale avec un taux de participation remarquable de 80 % des Conseils Départementaux, a mis en évidence quatre stratégies types de gestion de la sécurité routière :

  • Stratégie "Essentielle" : Approche basique centrée sur le respect des obligations légales, sans développement de plans d'actions spécifiques à la sécurité routière.
  • Stratégie "Réactive" : Interventions ponctuelles déclenchées après des accidents graves, avec traitement des points noirs mais absence de vision préventive à long terme.
  • Stratégie "Proactive" : Anticipation des risques par l'analyse de données et actions ciblées (aménagement, contrôle) pour prévenir les accidents avant qu'ils ne surviennent.
  • Stratégie "Globale" : Approche intégrée et systémique articulant en continu prévention des risques, réaction aux accidents, coordination de tous les acteurs et évaluation des actions menées. La sécurité routière devient une priorité transversale du projet de territoire.

 

Les résultats : Des gains significatifs avec les bonnes stratégies

Les résultats de la modélisation statistique révèlent que les stratégies proactive et globale s'avèrent les plus efficaces, permettant des gains estimés de 10 à 17 % de réduction des accidents mortels dans certains contextes, notamment les territoires ruraux à PIB élevé, par rapport au maintien d'une stratégie moins ambitieuse.

L'étude démontre également que l'efficacité des politiques dépend fortement de leur aadaptation au contexte local : une stratégie performante dans un territoire urbain dense peut s'avérer inefficace en milieu rural ou montagneux.

Un potentiel d'amélioration tangible

Seulement 24 % des Conseils départementaux appliquent aujourd’hui la stratégie identifiée comme optimale pour leur contexte. Ce décalage révèle des marges de progression réelles dans l'adaptation des politiques locales aux spécificités territoriales.

Leviers nationaux et investissements locaux : une complémentarité nécessaire

La recherche souligne que les leviers nationaux (contrôle automatisé) exercent un effet structurant mais homogène sur l'ensemble du territoire, tandis que les investissements locaux en infrastructures de sécurité jouent un rôle différencié plus marqué selon les contextes. Les écarts de performance reflètent également des facteurs organisationnels : gouvernance interne, moyens d'ingénierie, culture de l'évaluation et priorités budgétaires.

Quatre recommandations pour optimiser les politiques locales

RD 775 Maine-et-Loire / Arnaud Bouissou - TERRA
  1. Territorialiser les stratégies : Adapter systématiquement les politiques aux spécificités locales (densité, topographie, trafic, démographie) en s'appuyant sur les sept profils contextuels identifiés et développer des outils de diagnostic adaptés.
  2. Renforcer les capacités locales : Consolider l'ingénierie technique et financière, particulièrement dans les départements ruraux, et instituer une culture robuste du suivi-évaluation avec des méthodologies opérationnelles pour mesurer l'impact des actions.
  3. Investir de manière ciblée : Orienter les investissements en infrastructure sur la base de diagnostics locaux fondés sur l'analyse de l'accidentalité plutôt que sur des critères uniquement techniques, et actionner de manière complémentaire l'ensemble des leviers d'intervention.
  4. Améliorer la coordination : Développer la coordination opérationnelle entre tous les acteurs (départements, État, forces de l'ordre, SDIS) et capitaliser les bonnes pratiques pour éviter de "réinventer la roue".