
Depuis la Loi d'Orientation des Mobilités, les territoires ruraux et péri-urbains se saisissent du sujet des mobilités pour répondre à des enjeux territoriaux tels que l'accès de tous aux services et pôles d'activité ou la transition écologique. Afin de guider les élus et leurs équipes dans l'élaboration de leur démarche de mobilité, l'Ademe et le Cerema proposent un guide qui présente les éléments clés et leviers d'action pour construire une stratégie s'appuyant sur un diagnostic et adaptée aux besoins ainsi qu'au profil du territoire.
Largement illustré, il donne aussi la parole aux acteurs de la mobilité, présente des recommandations aux différentes étapes et des cas pratiques qui donnent à voir des approches et retours d'expérience différents.
Alexandre Fabry, Directeur de projet Politiques territoriales de mobilité au Cerema et Séverine Boulard, Coordinatrice thématique Management de la mobilité et changement de comportement à l’Ademe, co-auteurs du document, ont répondu à 2 questions sur les besoins des collectivités et les travaux menés auprès des territoires ruraux et péri-urbains :
Au cours de vos projets respectifs avec les territoires ruraux, quels sont les principaux besoins que vous avez identifiés en termes de gestion et d'organisation des mobilités?

Alexandre Fabry : Dans de nombreux territoires ruraux, la prise en charge de la mobilité au niveau local est relativement récente, en raison, notamment, de la Loi d’Orientation des Mobilités de 2019 qui a largement ouvert cette question en obligeant les communautés de communes à choisir entre prendre la compétence mobilités ou la laisser aux Régions. Du coup, ces territoires sont encore en cours d’organisation.
Il y a un temps d’acculturation, inhérent à toute nouvelle compétence, où les territoires se disent : "oui, je peux agir, il y a des solutions possibles, des services à proposer pour mettre en place des alternatives à la voiture individuelle". Car c’est bien le cas, il existe de nombreuses solutions, qui fonctionnent quand elles sont articulées.
La caractéristique du rural, c’est qu’une solution unique n’est pas suffisante. Au Cerema, on met en avant la notion de bouquet de services, qui peuvent comprendre, selon les spécificités des différents territoires, du transport en commun, à la demande, du covoiturage, de l’autopartage, du vélo, notamment à assistance électrique, du transport solidaire, le tout en facilitant l’intermodalité et l’accès aux pôles structurants comme les gares... Ensuite, pour mettre en place ces solutions, qui peuvent être complexes, il y a un besoin d’organisation, de méthodologie. Par où commencer ? Qui sont les acteurs, qui est compétent sur quoi ? Quelle est la bonne échelle d’intervention ? C’est tout le sens de ce guide : rappeler les points clés de tout projet de mobilité en milieu rural.
Séverine Boulard : En France, le secteur des transports est le principal émetteur de gaz à effet de serre, avec 34 % des émissions nationales en 2023, dont plus de la moitié viennent des voitures particulières. Dans les zones rurales et périurbaines, faute d’alternatives, 87 % des déplacements se font en voiture contre 54% en milieu urbain. Du fait de l’importance de leurs mobilités locales, les ménages des communes rurales, soit 33% de la population française, concentrent plus de 40 % des émissions de gaz à effet de serre des déplacements.
Le secteur des transports est aussi la source de nombreuses externalités (impacts sur la santé, sur la biodiversité et sur les ressources) et inégalités socio-économiques. En 2024, 15 millions de personnes sont en précarité mobilité en France[1]. La précarité augmente à mesure que la densité des territoires diminue, surtout du fait de la dépendance à la voiture. La mobilité représente en moyenne 15% du budget des ménages, 22% chez les plus vulnérables.
C’est dans ce contexte qu’a été lancée, en 2018, la démarche France Mobilités. L’ADEME, aux côtés du ministère en charge des transports, a ainsi accompagné 180 territoires ruraux et périurbains vers des mobilités durables dans le cadre de son appel à manifestation d’intérêt TENMOD. Après 5 années de mise en œuvre, l’ADEME a souhaité réaliser une évaluation de son dispositif et identifier s’il répondait aux besoins exprimés par les territoires et à leur volonté d’expérimenter de nouvelles solutions de mobilités. Les territoires nous ont remontés des succès et des difficultés de leurs expériences de montage et déploiement de projets de mobilité en zone rurale et périurbaine, faisant apparaître un besoin de partage de retours d’expériences. Ce guide met ainsi en lumière les paroles d’acteurs, avec l’objectif d’accompagner de nouveaux territoires à se lancer dans des projets de mobilité durable en s’inspirant ou en évitant les écueils de leurs pairs.
Comment le Cerema et l'Ademe travaillent-ils avec les territoires ruraux sur le sujet des mobilités?

Alexandre Fabry : Le Cerema joue son rôle en accompagnant les territoires qui s’adressent à lui, sur des questions techniques et méthodologiques, tant sur des approches stratégiques que sur la mise en place de service. C’est ce savoir-faire qui a incité l’Ademe à faire appel à nous pour accompagner des lauréats Tenmod ou l’ANCT pour les lauréats d’Avenir Montagne Mobilités. Le Cerema est aussi l’une des chevilles ouvrières de France Mobilités et des cellules régionales qui, au quotidien, répondent aux questions des acteurs locaux, les orientent, les accompagnent... Depuis leur création, c’est plus de 1200 sollicitations qui ont été adressées aux cellules.
Le Cerema propose également des webinaires[2] dédiés aux problématiques rurales, comme celui que nous avons consacré aux territoires peu denses en 2022, à la mobilité en montagne en 2024 ou aux modes doux en zones rurales en 2025. Nous accompagnons aussi des acteurs locaux comme la fédération nationale Familles Rurales, par exemple. Le Cerema joue aussi son rôle en proposant des outils spécifiques pour ces territoires, comme CAPAMOB, pour les aider dans la réalisation d’un diagnostic mobilités, le guide des Plans de Mobilités Simplifiés ou la boite à outils mobilités en zones peu denses, qui propose des fiches pratiques, très complètes, sur la question du covoiturage, de l’autopartage, du transport à la demande, des aires de mobilités, autant de solutions qui peuvent être mises en place en zone rurale.
Mais il manquait un guide plus méthodologique, dédié à la gestion de projet. C’est désormais chose faite !
Séverine Boulard : Transformer les territoires en espaces plus durables et agréables à vivre est possible. L'ADEME travaille sur les enjeux de mobilités dans les territoires ruraux à travers plusieurs dispositifs, à l'image des modes d'intervention multiples de l'agence. Ainsi, le programme Territoire Engagé Transition Écologique [3] de l’ADEME a développé un accompagnement spécifique à la mobilité, ses enjeux et ses possibilités, dans le cadre du référentiel Climat-Air-Énergie. En complément, l’ADEME a créé et anime le réseau Elus pour agir[4], pour aider les élus à mieux appréhender les enjeux de la transition écologique et énergétique.
Par ailleurs, des outils cartographiques, proposés par l’ADEME ou ses partenaires, permettent aux territoires d’identifier les flux de déplacements, à l’instar de Diagnostic Mobilité [5], ou les zones de précarité énergétique liées au logement et à l’utilisation de la voiture des ménages comme Géodip[6]. La démarche Tous mobiles[7] propose, quant à elle, un cadre méthodologique pour développer la mobilité solidaire sur les territoires.
Pour accompagner la décarbonation du secteur et proposer des solutions innovantes de mobilité, l’ADEME a lancé entre autres l’eXtrême Défi Mobilité[8] dont l’objectif est de proposer une palette de véhicules plus légers, plus réparables et moins coûteux. De nombreuses expérimentations sont en cours sur les territoires ruraux et périurbains, permettant de les faire connaître et surtout tester par les habitants ou les services techniques des collectivités, et ainsi répondre aux différents besoins des utilisateurs.
[1] Baromètre des mobilités du quotidien Wimoov 2024 : https://barometremobilites-quotidien.org/
[2] Là aussi, j’en ai plusieurs : celui sur la montagne, celui spécifique sur les zones peu denses mais qui date de 2022, celui à venir sur les modes doux.
[3] https://www.territoiresentransitions.fr/
[4] https://agirpourlatransition.ademe.fr/collectivites/devenez-acteur-transition-ecologique-energetique
[5] https://diagnostic-mobilite.fr/