12 juillet 2022
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Arnaud Bouissou / Terra
L’introduction de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) par la RE 2020 va amener à modifier l’acte de construire : sur les procédés techniques et sur le management de l’opération. Le Cerema a accompagné en tant qu'assistant à maîtrise d'ouvrage en qualité environnementale, trois opérations de constructions publiques de niveau E3C1 dans le cadre de l'expérimentation E+C-, préfiguratrice de la RE 2020. Cet article se propose de présenter et d'illustrer les leviers mobilisables à chaque phase d'un projet.

Cet article du Cerema a été publié en juin 2022 par notre partenaire Construction 21.

 

Organiser la maîtrise d'ouvrage et choisir le site

La réussite d’une opération de bâtiment "à faible impact carbone" passe en premier lieu par une conduite de projet maîtrisée et organisée, où l’ensemble des compétences nécessaires sont réunies. Le maître d’ouvrage doit se demander avant le début de l’opération s‘il possède en interne une personne qui puisse suivre le projet du point de vue de l’ACV et du carbone ou s’il doit recourir à une AMO externe.

Ensuite, le critère carbone doit être pris en compte lors du choix du site d’implantation du projet, puisqu'il va conditionner les déplacements futurs des usagers, la possibilité de recourir à un réseau de chaleur et aux énergies renouvelables (masques solaires), la qualité du sol et les fondations nécessaires, la gestion de l’eau… Autant de caractéristiques qui peuvent peser fortement sur les émissions de GES du projet.

 

Analyse d'ensoleillement réalisée avant implantation de l'extension des bureaux de la DGAC à Brest

 

Héliodon et masques solaires au 21 mars à 16h sur le site de la DGAC à Brest. Source: Cerema
Héliodon et masques solaires au 21 mars à 16h sur le site de la DGAC à Brest. Source: Cerema

 

 

Rédiger le programme de l'opération:

Le maître d’ouvrage dispose, dès la rédaction du programme, de leviers cruciaux pour diminuer l’impact carbone prévisible de l’opération. Des entretiens avec les futurs utilisateurs et exploitants du bâtiment doivent permettre d’optimiser les besoins fonctionnels et techniques du projet : nombre de places de parking, surface des locaux, espaces mutualisés, types de revêtements extérieurs et intérieurs, températures de consigne, etc. Des besoins sobres et pertinents, formulés avec précision, permettront une diminution des émissions de GES du projet.

Les objectifs de performance et de confort (thermique, visuel …) doivent être rédigés de manière précise et chiffrée, pour faciliter, par la suite, le travail et le dialogue avec la maîtrise d’œuvre. Par exemple : niveau E3 C1 et pas plus de 50 heures où la température est supérieure à 28°C en été.

 

Spécifications dans le programme des études ACV attendues à chaque phase du projet de la Maison de l'Habitat à Épinal

Le programme pour la construction de la Maison de l'Habitat à Epinal précisait le niveau de détail attendu pour les études ACV à chaque phase du projet : ACV simplifié en APS (centrée sur le gros œuvre), ACV complète en phases APD et PRO avec une justification par un tableau de suivi des hypothèses. Puis une mise à jour de l'ACV avec les quantités et marques réelles des produits à réception du projet.

 

Extrait du cahier des charges de la Maison de l'Habitat à Epinal fixant les conditions de réalisation des études ACV. Source : Cerema
Extrait du cahier des charges de la Maison de l'Habitat à Epinal fixant les conditions de réalisation des études ACV. Source : Cerema



Choisir l'équipe de maîtrise d'œuvre et de l'esquisse:

La compétence "ACV" ou "qualité environnementale" doit être clairement exigée et identifiée dans l’équipe de maîtrise d’œuvre sélectionnée, que ce soit sur la base de références ou de qualifications (par exemple : OPQIBI 1333 intitulé Étude AVC bâtiments neufs). Le jury de sélection de l'esquisse doit être sensibilisé à la problématique carbone, il joue un rôle fondamental, car l’impact carbone, tout comme le coût global d’un projet, sont majoritairement figés dès le choix de l’esquisse lauréate.

Ainsi lors du choix du projet, il devra considérer différents critères spécifiques de sélection : l'optimisation des surfaces par rapport aux besoins exprimés, la limitation des quantités de matériaux par la forme du bâtiment, les modes constructifs et les revêtements à moindre impact carbone (bois).

 

Mise en œuvre d'une grille d'analyse environnementale par le Cerema dans la phase de sélection du maître d’œuvre pour le projet du Collège Dorgelès en Côte-d'Or

Dès la phase programme, le Conseil Départemental de Côte-d'Or a affiché ses ambitions en termes de performance environnementale pour son nouveau collège. Pour la sélection des candidats, des critères précis ont été définis dans le programme : récupération des eaux pluviales, faible imperméabilisation des surfaces, facteurs de lumière du jour, besoin bioclimatique, pré-calcul ACV, etc... Il s'agit d'une étape primordiale pour que les esquisses présentées en phase concours répondent bien aux ambitions visées et pour faciliter la notation et le choix du projet lauréat.

A cette étape, le rôle de l'AMO environnemental a été d'assister le Maître d'ouvrage dans la sélection du maître d’œuvre en analysant chacune des candidatures. Cette sélection s'est appuyée sur une grille d’analyse environnementale qui a permis de mettre en évidence le niveau d’exigence atteint par rapport au niveau d’exigence souhaité. Cette grille a été établie à partir des exigences mentionnées dans le programme et s’est appuyée sur le référentiel de la certification et du label visé, en l'occurrence ceux des niveaux E3C1 du label E+C-.

 

 

Collège Dorgelès, Tria Architectes. Crédit : Tria Architectes
Collège Dorgelès, Tria Architectes. Crédit : Tria Architectes

 

Comparaison des modes constructifs grâce à une étude pré-ACV par le jury de sélection du lauréat pour le projet de la DGAC à Brest

Pour l'extension des bureaux de l'Aviation Civile à l'aéroport de Brest, les rendus des 3 candidats présentaient des modes constructifs très différents : l'un en béton, l'autre en ossature métallique et le troisième en ossature bois. L'analyse des émissions de gaz à effet de serre des 3 projets sur la base d'une pré-ACV a permis de comparer de manière objective les 3 solutions proposées, pour finalement opter pour la solution bois.

 

Ossature bois de l'extension des bureaux de la DGAC à Brest, Brulé Architectes Associés. Source : Cerema
Ossature bois de l'extension des bureaux de la DGAC à Brest, Brulé Architectes Associés. Source : Cerema

 

Études de conception

L’avant-projet sommaire (APS) constitue le moment opportun pour réaliser une première étude d’ACV simplifiée du projet et identifier ainsi les lots les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Ces lots peuvent ensuite être l'objet d'optimisations qui pourront simulées à des moments précis : le clos-couvert et le choix énergétique en phase APS et le second œuvre en phases d'avant-projet définitif (APD) et de projet (PRO) (isolants, revêtements, cloisons…). Le recours à des matériaux biosourcés peut, par exemple, être testé pour évaluer leur apport au niveau du stockage carbone nouvellement valorisé par l'introduction de l'ACV dynamique dans la RE 2020.

 

Identification des éléments les plus impactant grâce à l'ACV en phase conception du projet de la Maison de l'Habitat à Épinal

Une approche intéressante consiste à demander au bureau d'étude en charge de l'ACV de fournir dans son rendu un classement des éléments les plus impactant à l'échelle du projet, afin de mieux cibler les optimisations à réaliser. Cette méthode est illustrée ci-dessous pour le cas de l'étude ACV de la construction de la maison de l'Habitat à Épinal au stade PRO.

 

Classement des éléments les plus émetteurs en GES à l'échelle du projet de Maison de l'Habitat à Epinal. Source : Bureau d'étude ECO 3E
Classement des éléments les plus émetteurs en GES à l'échelle du projet de Maison de l'Habitat à Epinal. Source : Bureau d'étude ECO 3E

 

Mise en œuvre du réemploi pour diminuer les émissions de GES du projet de collège Dorgelès

Le CD 21, pour la démolition-reconstruction du collège Roland Dorgelès, a choisi de réutiliser les terres de déblais et des éléments issus de la déconstruction pour réaménager le site. Ainsi la création de merlons permet de protéger le site acoustiquement et visuellement, tout en évitant d'avoir à transporter la terre en décharge. Les gravats de béton seront réutilisés en assise de cheminement et pour réaliser des gradins. Les éléments réutilisés présentent l'avantage d'avoir un impact nul dans le calcul de l'impact environnemental du projet.

La conception du collège Roland Dorgelès a été effectuée par un processus BIM (Building Information Modeling). Si le BIM est avant tout une démarche et un mode de travail, il repose sur l'utilisation d'une maquette numérique qui présente l'avantage de pouvoir évaluer en amont et assez précisément, l'impact environnemental du projet.

 

Maquette numérique du collège Dorgelès, source : Cerema
Maquette numérique du collège Dorgelès, source : Cerema

 

Consultation et choix des entreprises

La rédaction des marchés doit ensuite permettre au maître d’œuvre d’obtenir, pour chaque lot, des matériaux dont les émissions de GES sont inférieures ou égales à celles des produits qu’il avait prévus. Les produits disposant de données environnementales (FDES ou PEP) seront privilégiés, afin de ne pas pénaliser les émissions du projet par des valeurs par défaut (DED). Les entreprises ont le choix entre proposer le produit demandé dans le CCTP ou un équivalent, à condition de prouver qu’il a les performances environnementales requises en fournissant sa FDES.

A cette étape le rôle de l'AMO est d'assister le maître d’ouvrage dans l’analyse des offres des entreprises sur les aspects environnementaux, en étant vigilant sur les critères de sélection des offres établie par le maître d’œuvre. Il s’agira en effet de s’assurer que l’ensemble des dispositions architecturales et techniques, arrêtées en phase conception pour atteindre la performance environnementale visée, soit bien pris en compte par les entreprises qui seront retenues pour réaliser le projet.

Afin de faciliter la saisie de l'ACV, il est également conseillé d'indiquer dans les CCTP que les entreprises devront fournir avant la réception les quantitatifs de produits dans les unités demandées par le bureau d'étude ACV. Des DPGF types comme ceux proposés gratuitement par l'ADEME et l'AICVF pourront être utilisés pour recueillir ces informations.

 

Introduction de clauses spécifiques dans le marché pour le projet de la DGAC à Brest

La maître d'ouvrage a stipulé dans l'objet du marché que le projet poursuivait des objectifs environnementaux ambitieux et visait les niveaux Passivhaus et E3 C1, ce qui a permis de légitimer l'utilisation d'un critère de notation environnemental comptant pour 15% de la note finale.  Il était ensuite stipulé dans les CCTP des lots que le mémoire technique des offres devait comporter toutes les informations concernant les performances environnementales des produits mis en œuvre, afin de mettre en évidence leur impact carbone.

 

Extrait des critères de notation du RC pour l'extension des bureaux de la DGAC à Brest source: SNIA Ouest
Extrait des critères de notation du RC pour l'extension des bureaux de la DGAC à Brest source: SNIA Ouest

 

S'assurer de la déclaration et la mise en œuvre des produits de construction lors de la consultation des entreprises pour la Maison de l'Habitat à Épinal

L'étude ACV (stade PRO) a été jointe au dossier de consultation des entreprises, qui devaient vérifier avant de candidater, pour leur lot, si les produits proposés dans leur réponse permettaient de maintenir la performance environnementale attendue. En cas de changement de quantité ou de produit par rapport au CCTP, l'entreprise devait remplir un tableau justificatif joint au DCE et le soumettre à l'approbation de la maîtrise d’œuvre.

 

Texte introductif dans les CCTP du projet de Maison de l'Habitat à Epinal. Source : Groupement Charpente Houot
Texte introductif dans les CCTP du projet de Maison de l'Habitat à Epinal. Source : Groupement Charpente Houot

 

 

Chantier

La maîtrise d’œuvre doit prévoir le respect d’une charte chantier durable par les entreprises et mettre en place un suivi des consommations d’eau et d’énergie du chantier, qui peuvent représenter l’équivalent de plusieurs années de consommations du bâtiment en exploitation.


Mise en place de relevés mensuels des compteurs lors de la phase chantier du collège Dorgelès en Côte-d'Or

Sur le chantier du collège Roland Dorgelès, il a été prévu des sous-comptages d'eau et d'électricité, relevés mensuellement. D'une part ils permettent un calcul détaillé de l'impact du chantier sur le cycle de vie du bâtiment, d'autre part un suivi régulier permet de détecter une éventuelle anomalie (fuite d'eau, etc.).

Il est important de prévoir également un suivi des matériaux livrés sur site (quantité et référence) pour mettre à jour le calcul de l'ACV à réception.
 

Réception et exploitation du projet

A la réception du projet, en cas d’erreur de pose, le maître d’ouvrage doit réfléchir à l’impact carbone d’une reprise avant de l’ordonner et privilégier les réparations partielles quand c’est possible. Enfin, l’exploitation du bâtiment doit permettre d’atteindre les objectifs énergétiques qui étaient visés lors des phases de conception amont. Lors des opérations de maintenance et de remplacement tout au long de la vie du projet, on veillera enfin à minimiser les émissions de GES lors du choix des produits.


Rédaction d'un guide utilisateur à destination des utilisateurs des bureaux du projet de la DGAC à Brest

Le Cerema a rédigé une fiche utilisateur recto-verso rappelant le principe de gestion des brise-soleils, du thermostat, de la ventilation et de l'éclairage des locaux. Cette fiche a été diffusée par le maître d'ouvrage sur les bureaux des agents à leur entrée dans les locaux.

 

Fiche utilisateur rédigée par le Cerema pour la prise en main des bureaux de la DGAC à Brest. Source : Cerema
Fiche utilisateur rédigée par le Cerema pour la prise en main des bureaux de la DGAC à Brest. Source : Cerema

 

 

Auteurs :
Louis Bourru, Directeur de projets Bâtiments Bas Carbone au Cerema Ouest
Teddy Connan, Adjoint au chef de groupe Bâtiment au Cerema Centre-Est
Pierrick Nussbaumer, Responsable d'activité Performance des bâtiments au Cerema Est
Antoine Turck, Chargé d'études Performance des bâtiments et des matériaux au Cerema Est
Marianne Villey, Chargée d'affaires Performance Environnementale des Bâtiments au Cerema Centre-Est
Sébastien Froment, Chef de projet Accessibilité et innovation bâtiment au Cerema Territoires et ville

 

Dans le dossier Réglementation Environnementale 2020 : réduire l’impact carbone des bâtiments neufs (Dossier RE2020)

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