Ville apaisée : une stratégie en 4 axes
Les premières expérimentations permettent de tracer un chemin vers cette ville apaisée. Et c’est une véritable stratégie qu’il faut mettre en place, avec la hiérarchisation du réseau de voirie, un plan de circulation, l’abaissement des vitesses. Et pour aller plus loin, des approches temporelles du partage de l’espace public et des actions sur la demande de déplacements.
Cet article du Cerema a été publié par notre partenaire Techni Cités.
Il présente la démarche pour définir et mettre en œuvre une stratégie d'apaisement de la circulation.
1/ Planifier et concerter une stratégie d'apaisement
Une ville apaisée est un espace réorganisé pour favoriser la cohabitation harmonieuse des usagers en réduisant la circulation motorisée individuelle et en favorisant d’autres mobilités (vélo, marche, transport en commun…), avec une attention particulière à l’accessibilité et à la sécurité des déplacements. Une ville apaisée nécessite de mettre en place un cocktail de mesures, générales ou localisées, à court ou plus long terme, et en complément avec d’autres politiques publiques – par exemple, l’adaptation au changement climatique.
Une ville apaisée profite à tous, et elle se construit aussi avec tous (territoires voisins, partenaires institutionnels, habitants et usagers réguliers de l’espace public) et en bonne intelligence avec les autres politiques publiques locales.
Pour s’organiser dans le temps et l’espace, une démarche stratégique, mobilisant les outils de planification, est donc indispensable. Ainsi, le plan de mobilité (PDM) et le plan de mobilité simplifié (PDMS), mieux adapté aux villes petites et moyennes, permettent tout à la fois d’inscrire l’objectif d’apaisement et les travaux afférents dans un projet plus large autour de la mobilité des personnes et des biens, mais aussi d’organiser la démarche dans le temps par un phasage préétabli. Plus encore, ils favorisent, dès leur élaboration, les échanges avec les différents partenaires qui devront ou pourront être mobilisés dans ce projet. En effet, de multiples compétences peuvent être nécessaires (urbanisme, voirie, circulation, mobilités…), qui relèvent parfois d’institutions différentes (commune, intercommunalité, département, région ou syndicat intercommunal spécifique, par exemple).
Sans être une garantie de bonne entente, ces outils ouvrent la porte à une gouvernance qui permet d’engager chacun des acteurs institutionnels. Parallèlement, ils sont aussi des supports de concertation, structurellement, en amont de leur adoption (ces plans sont soumis à un dispositif de concertation obligatoire).
Cette participation peut également être mise en place sur des projets spécifiques et propres à certains aménagements, en multipliant les formes de mobilisation des habitants : réunion publique, bien sûr, mais aussi focus group, balades urbaines, pour partager in situ l’impact des évolutions, ateliers ludiques ou créatifs…
De même, des phases d’aménagement provisoire ou saisonnier peuvent permettre de tester les propositions et d’ouvrir un échange plus nourri, à la fois du côté des habitants qui ont pu se rendre compte des impacts, positifs ou négatifs, de ces aménagements sur leurs pratiques, et, du côté des institutions, qui ont pu mesurer les effets des projets avant leur pérennisation.
2/ Améliorer le cadre de vie avec des outils concrets
La ville apaisée repose sur une approche globale visant à réorganiser la circulation et améliorer la qualité de vie. Pour cela, il est nécessaire de mettre en cohérence l’aménagement et l’apaisement des vitesses.
La première étape consiste à hiérarchiser le réseau de voiries à l’échelle des quartiers et de la ville. Cette hiérarchisation découle d’une réflexion sur les usages actuels et futurs de l’espace public, afin de l’adapter aux besoins des habitants. L’objectif est de rééquilibrer l’usage de l’espace en faveur des mobilités actives (comme la marche et le vélo) et des transports en commun, tout en limitant la place donnée à la voiture.
Le plan de circulation est au cœur de cette stratégie :
- Il permet de rediriger le trafic de transit, composé de véhicules qui traversent la ville sans s’y arrêter, vers les voies du réseau primaire, conçues pour absorber ces flux.
- Il permet de restreindre ce trafic de transit inutile dans les zones résidentielles grâce à des modifications de sens de circulation, la création de zones piétonnes ou des voies à accès réservé. Des filtres modaux peuvent également être mis en place pour laisser passer uniquement les piétons, cyclistes, transports en commun et véhicules d’urgence. Des rues devant les écoles peuvent être piétonnisées et fermées temporairement ou définitivement à la circulation routière.
Ces mesures permettent d’apaiser les quartiers, notamment autour des écoles et dans les centres-villes, où la sécurité des usagers vulnérables devient une priorité.
Une autre mesure clé, en parallèle de la réduction du trafic, est l’abaissement des vitesses. Certaines villes adoptent le 30 km/h, instaurent des zones limitées à 30 km/h, ou des zones de rencontre (où les piétons sont prioritaires), des aires piétonnes, des voies vertes… Une ville apaisée verrait idéalement la vitesse limitée à 30 km/h ou moins sur plus de 70 % de sa voirie, tout en gardant le cas échéant quelques axes structurants à 50 km/h, voire à 70 km/h.
En dehors des aires piétonnes et zones de rencontre, il est possible de mettre en place des passages piétons régulièrement, des pistes cyclables avec priorité aux cyclistes, et d’adapter les temps d’attente aux feux pour favoriser les modes actifs. Ces espaces de circulation apaisée renforcent la sécurité des usagers et améliorent la qualité de vie. Des dispositifs de modération de la vitesse peuvent soutenir ces aménagements. Ils se répartissent en plusieurs catégories :
- les dispositifs d’"auto-contrainte" pour renforcer la vigilance des automobilistes : priorité à droite, double sens cyclable…
- les dispositifs d’alerte, souvent des signaux visuels et sonores : signalisation verticale, feu vert "récompense", etc
- les dispositifs d’apaisement de vitesses, obligeant par leur conception géométrique à ralentir : chicanes, écluses, ralentisseurs…
En parallèle, certaines zones autrefois dédiées à la voiture, comme les espaces de stationnement, peuvent être réaffectées à d’autres usages : mobilités actives ou partagées, plantations, surfaces désimperméabilisées…
Ces transformations favorisent la convivialité et l’hospitalité dans les espaces publics. Ces différentes mesures combinées permettent notamment d’apaiser les centres-villes, les quartiers résidentiels, mais aussi les abords des écoles et les traversées de village. La cohérence entre l’aménagement urbain et l’abaissement des vitesses est essentielle pour repenser l’usage de l’espace public et créer un environnement sûr et fluide.
Une ville apaisée suppose également de développer des services de mobilité alternatifs à la voiture individuelle, pour en limiter l’usage. Ces services doivent être efficaces, facilement accessibles (notamment à pied et à vélo) et simples d’usage, pour les rendre attractifs et inciter au report modal.
La hiérarchisation des services de mobilité permet d’améliorer leur lisibilité par les usagers. L’offre de mobilité s’appuie notamment sur une armature structurante capacitaire (selon la taille de la ville : métro, tramway, bus à haut niveau de service…) reliant les principaux pôles générateurs de déplacements. Ces lignes ont une forte fréquence, une large amplitude horaire, une vitesse commerciale élevée, et bénéficient d’aménagements et de modalités d’exploitation qui leur permettent d’assurer une bonne régularité et la fiabilité des temps de parcours.
Elles sont souvent complétées par une offre de bus qui irrigue les différents quartiers du territoire, voire par du transport à la demande mieux adapté aux zones périurbaines, pour lesquelles un transport régulier ne serait pas pertinent.
Intégrer ces services dans une offre unifiée et maillée, avec une tarification adaptée, facilitera l’intermodalité et les déplacements de porte-à-porte.
Le développement de services de location de vélos permet également d’augmenter le nombre de cyclistes, de favoriser le report modal pour les déplacements courts (2 à 10 km) ou d’améliorer la desserte des gares et pôles d’échanges multimodaux. Les modalités de location (libre-service, en station, free floating…) sont variées et sont à construire en fonction du public et des usages ciblés.
Il est également utile de proposer des services de mobilité partagée mutualisant l’usage des voitures en circulation (covoiturage), ou permettant d’utiliser un véhicule ponctuellement (autopartage). Ces services peuvent en effet permettre à certains ménages de franchir le pas vers la "dé- (bi) motorisation" et, ainsi, limiter la place dévolue à la voiture en ville.
3/ Partager l'espace public avec l'approche temporelle
Les collectivités font souvent face à des choix complexes pour aménager leur territoire, surtout dans les rues où l’espace est limité. Une solution consiste à repenser le partage de l’espace public, non plus seulement de manière "spatiale", mais aussi en jouant sur les temps d’usage, pour rendre l’aménagement adaptable aux besoins selon les moments de la journée ou de l’année. Il existe différentes possibilités d’aménagement en matière de partage temporel :
- le changement temporel de statut zonal d’une rue ou d’un ensemble de rues : citons par exemple des rues fermées aux heures d’entrée/sortie devant les écoles, ou pendant certaines saisons (tourisme) ;
- le partage temporel de voies de circulation : par exemple, un couloir de bus (en heures de pointe) peut également servir au stationnement (en heures creuses ou de nuit) ;
- la gestion temporelle du stationnement : par exemple, du stationnement de bus scolaire durant l’année dédié aux voitures l’été.
Certains modes de partage temporel des espaces publics sont déjà d’utilisation courante pour réduire le trafic en centre-ville, promouvoir les modes actifs, faciliter la circulation des transports en commun et améliorer le cadre de vie et la sécurité des usagers.
Pour aller plus loin, les collectivités locales peuvent aussi mettre en place des politiques temporelles pour tenter de réguler la complexité croissante des temps de vie individuels et collectifs. Elles sont mises en œuvre par des services dédiés, les "bureaux des temps".
