Ville apaisée : une stratégie en 4 axes

24 novembre 2025
Panneau Vitesse modérée - Villes et villages apaisés
Cerema
Et si la ville délaissait le tout voiture pour faire de la place aux piétons, aux vélos, aux transports en commun, en toute sécurité ?
Les premières expérimentations permettent de tracer un chemin vers cette ville apaisée. Et c’est une véritable stratégie qu’il faut mettre en place, avec la hiérarchisation du réseau de voirie, un plan de circulation, l’abaissement des vitesses. Et pour aller plus loin, des approches temporelles du partage de l’espace public et des actions sur la demande de déplacements.

Cet article du Cerema a été publié par notre partenaire Techni Cités

Il présente la démarche pour définir et mettre en œuvre une stratégie d'apaisement de la circulation.

 

1/ Planifier et concerter une stratégie d'apaisement

Une ville apaisée est un espace réorganisé pour favoriser la cohabitation harmonieuse des usagers en réduisant la circulation motorisée individuelle et en favorisant d’autres mobilités (vélo, marche, transport en commun…), avec une attention particulière à l’accessibilité et à la sécurité des déplacements. Une ville apaisée nécessite de mettre en place un cocktail de mesures, générales ou localisées, à court ou plus long terme, et en complément avec d’autres politiques publiques – par exemple, l’adaptation au changement climatique. 

Une ville apaisée profite à tous, et elle se construit aussi avec tous (territoires voisins, partenaires institutionnels, habitants et usagers réguliers de l’espace public) et en bonne intelligence avec les autres politiques publiques locales.

Centre ville piétonnisé à Avignon pendant le festival / Cerema

Pour s’organiser dans le temps et l’espace, une démarche stratégique, mobilisant les outils de planification, est donc indispensable. Ainsi, le plan de mobilité (PDM) et le plan de mobilité simplifié (PDMS), mieux adapté aux villes petites et moyennes, permettent tout à la fois d’inscrire l’objectif d’apaisement et les travaux afférents dans un projet plus large autour de la mobilité des personnes et des biens, mais aussi d’organiser la démarche dans le temps par un phasage préétabli. Plus encore, ils favorisent, dès leur élaboration, les échanges avec les différents partenaires qui devront ou pourront être mobilisés dans ce projet. En effet, de multiples compétences peuvent être nécessaires (urbanisme, voirie, circulation, mobilités…), qui relèvent parfois d’institutions différentes (commune, intercommunalité, département, région ou syndicat intercommunal spécifique, par exemple).

Sans être une garantie de bonne entente, ces outils ouvrent la porte à une gouvernance qui permet d’engager chacun des acteurs institutionnels. Parallèlement, ils sont aussi des supports de concertation, structurellement, en amont de leur adoption (ces plans sont soumis à un dispositif de concertation obligatoire).

Cette participation peut également être mise en place sur des projets spécifiques et propres à certains aménagements, en multipliant les formes de mobilisation des habitants : réunion publique, bien sûr, mais aussi focus group, balades urbaines, pour partager in situ l’impact des évolutions, ateliers ludiques ou créatifs…

De même, des phases d’aménagement provisoire ou saisonnier peuvent permettre de tester les propositions et d’ouvrir un échange plus nourri, à la fois du côté des habitants qui ont pu se rendre compte des impacts, positifs ou négatifs, de ces aménagements sur leurs pratiques, et, du côté des institutions, qui ont pu mesurer les effets des projets avant leur pérennisation.

 

ENTRETIEN

Dans son projet de territoire, la communauté de communes du Clunisois multiplie les initiatives autour de la mobilité. Entretien à deux voix avec son président, Jean-Luc Delpeuch, et Juliette Grolée, chargée de mission mobilité.

Comment votre collectivité aborde-t-elle le sujet du changement climatique ?

JLD : Notre projet de territoire pour le mandat 2020-2026 est intitulé "Vivre ensemble dans le Clunisois dans le monde d’après". Nous l’avons construit via deux entrées : sur les besoins de fond – se loger, se nourrir, se déplacer ; et via une dizaine de "voisinages", non limités au Clunisois car nous sommes dans un département multipolaire, sans grande ville.

Pour construire ce projet, nous sommes aussi partis de deux questions. À celle "De quoi sommes-nous fiers ?", les habitants ont répondu : notre capacité d’auto-organisation, notre capacité associative, de solidarité… Et à la question "de quoi avons-nous peur ?", c’était l’avenir pour nos enfants, le changement climatique, l’absence de médecin… Ainsi, notre projet de territoire est basé sur "comment mobiliser ce dont on est fier pour résoudre ce dont on a peur ?" Et ce raisonnement collectif a bien marché pour la mobilité.

 

Quelles sont les solutions que vous mettez en œuvre ?
Animation sur les mobilités douces dans le clunysois - CC du Clunysois

JLD : Dans notre territoire rural, 41 communes totalisent 14 500 habitants. Et Cluny, le chef-lieu, n’est pas central. Les habitants vont aussi vers les centralités des intercommunalités voisines. L’usage de la voiture est très ancré, on n’a pas de gare ferroviaire. Il faut accompagner les changements.

Nous avons la volonté de ne pas concentrer l’offre de mobilité dans Cluny, mais de nous appuyer sur des bourgs relais de 500 à 1 000 habitants. Nous y répartissons les services communautaires, culturels, les activités économiques… Cela autorise la "dé-mobilité" c’est-à-dire permettre aux habitants de ne pas avoir à se déplacer pour répondre à leurs besoins. Après le transfert de compétence, en mai 2021, on a construit un plan de mobilité simplifié. Il s’agit principalement de développer les mobilités partagées autres que les transports en commun, chers et longs à développer, tout en renforçant l’usage des lignes existantes. Il y a trois lignes de cars régionaux qui circulent sur le territoire, c’est le « squelette » du service public de mobilité.

JG : Sur les communes volontaires, on a mis en place des navettes rurales avec une association locale, conduites par des bénévoles. À elle de combiner des créneaux réguliers pour emmener les gens au marché, prendre les pensionnaires… Ce système, basé sur l’auto-organisation, est d’une grande souplesse. 

On a aussi créé, grâce au fonds vert, des lignes de rabattement, via des marchés de transporteurs, des villages éloignés vers les arrêts des cars régionaux. Ce service a commencé début 2025. On travaille de longue date sur les mobilités actives : on a une voie verte, sur une ancienne ligne de chemin de fer, entre Mâcon et Chalon-sur-Saône, bien entretenue, avec un bon gabarit. C’est aussi une infrastructure pour le quotidien ! Donc on cherche des connexions en direction de l’Est et de l’Ouest. 

C’est un travail collectif avec les usagers, qui ont partagé leurs itinéraires reportés sur une carte participative des lignes de vélo avec un chronogramme. On complète ce réseau en le balisant, en ajoutant des arceaux… Il restera quelques segments, où on demandera l’aide du conseil départemental.

JLD : Notre philosophie est : on a la chance d’avoir déjà un réseau secondaire important et de qualité, n’inventons pas des structures !


Comment êtes-vous organisés en interne pour travailler sur ces sujets ?

JLD : Nous avons deux personnes qui travaillent sur l’information, la sensibilisation et le conseil en mobilité. On a fait le choix de créer des postes. Internaliser la compétence, c’est plus d’économies et d’efficacité dans la recherche de financements. Et en plus, elles savent mobiliser les acteurs du territoire !

Propos recueillis par Albane Canto

2/ Améliorer le cadre de vie avec des outils concrets

Zone de rencontre dans un quartier résidentiel / Cerema

La ville apaisée repose sur une approche globale visant à réorganiser la circulation et améliorer la qualité de vie. Pour cela, il est nécessaire de mettre en cohérence l’aménagement et l’apaisement des vitesses.

La première étape consiste à hiérarchiser le réseau de voiries à l’échelle des quartiers et de la ville. Cette hiérarchisation découle d’une réflexion sur les usages actuels et futurs de l’espace public, afin de l’adapter aux besoins des habitants. L’objectif est de rééquilibrer l’usage de l’espace en faveur des mobilités actives (comme la marche et le vélo) et des transports en commun, tout en limitant la place donnée à la voiture.

Le plan de circulation est au cœur de cette stratégie :

  • Il permet de rediriger le trafic de transit, composé de véhicules qui traversent la ville sans s’y arrêter, vers les voies du réseau primaire, conçues pour absorber ces flux.
  • Il permet de restreindre ce trafic de transit inutile dans les zones résidentielles grâce à des modifications de sens de circulation, la création de zones piétonnes ou des voies à accès réservé. Des filtres modaux peuvent également être mis en place pour laisser passer uniquement les piétons, cyclistes, transports en commun et véhicules d’urgence. Des rues devant les écoles peuvent être piétonnisées et fermées temporairement ou définitivement à la circulation routière. 

Ces mesures permettent d’apaiser les quartiers, notamment autour des écoles et dans les centres-villes, où la sécurité des usagers vulnérables devient une priorité. 

Une autre mesure clé, en parallèle de la réduction du trafic, est l’abaissement des vitesses. Certaines villes adoptent le 30 km/h, instaurent des zones limitées à 30 km/h, ou des zones de rencontre (où les piétons sont prioritaires), des aires piétonnes, des voies vertes… Une ville apaisée verrait idéalement la vitesse limitée à 30 km/h ou moins sur plus de 70 % de sa voirie, tout en gardant le cas échéant quelques axes structurants à 50 km/h, voire à 70 km/h.

En dehors des aires piétonnes et zones de rencontre, il est possible de mettre en place des passages piétons régulièrement, des pistes cyclables avec priorité aux cyclistes, et d’adapter les temps d’attente aux feux pour favoriser les modes actifs. Ces espaces de circulation apaisée renforcent la sécurité des usagers et améliorent la qualité de vie. Des dispositifs de modération de la vitesse peuvent soutenir ces aménagements. Ils se répartissent en plusieurs catégories : 

  • les dispositifs d’"auto-contrainte" pour renforcer la vigilance des automobilistes : priorité à droite, double sens cyclable…
  • les dispositifs d’alerte, souvent des signaux visuels et sonores : signalisation verticale, feu vert "récompense", etc
  • les dispositifs d’apaisement de vitesses, obligeant par leur conception géométrique à ralentir : chicanes, écluses, ralentisseurs…

En parallèle, certaines zones autrefois dédiées à la voiture, comme les espaces de stationnement, peuvent être réaffectées à d’autres usages : mobilités actives ou partagées, plantations, surfaces désimperméabilisées…

Parvis d'école réservé aux modes actifs à Lyon / Cerema

Ces transformations favorisent la convivialité et l’hospitalité dans les espaces publics. Ces différentes mesures combinées permettent notamment d’apaiser les centres-villes, les quartiers résidentiels, mais aussi les abords des écoles et les traversées de village. La cohérence entre l’aménagement urbain et l’abaissement des vitesses est essentielle pour repenser l’usage de l’espace public et créer un environnement sûr et fluide.

Une ville apaisée suppose également de développer des services de mobilité alternatifs à la voiture individuelle, pour en limiter l’usage. Ces services doivent être efficaces, facilement accessibles (notamment à pied et à vélo) et simples d’usage, pour les rendre attractifs et inciter au report modal.

La hiérarchisation des services de mobilité permet d’améliorer leur lisibilité par les usagers. L’offre de mobilité s’appuie notamment sur une armature structurante capacitaire (selon la taille de la ville : métro, tramway, bus à haut niveau de service…) reliant les principaux pôles générateurs de déplacements. Ces lignes ont une forte fréquence, une large amplitude horaire, une vitesse commerciale élevée, et bénéficient d’aménagements et de modalités d’exploitation qui leur permettent d’assurer une bonne régularité et la fiabilité des temps de parcours.

Elles sont souvent complétées par une offre de bus qui irrigue les différents quartiers du territoire, voire par du transport à la demande mieux adapté aux zones périurbaines, pour lesquelles un transport régulier ne serait pas pertinent. 

Intégrer ces services dans une offre unifiée et maillée, avec une tarification adaptée, facilitera l’intermodalité et les déplacements de porte-à-porte.

Le développement de services de location de vélos permet également d’augmenter le nombre de cyclistes, de favoriser le report modal pour les déplacements courts (2 à 10 km) ou d’améliorer la desserte des gares et pôles d’échanges multimodaux. Les modalités de location (libre-service, en station, free floating…) sont variées et sont à construire en fonction du public et des usages ciblés.

Il est également utile de proposer des services de mobilité partagée mutualisant l’usage des voitures en circulation (covoiturage), ou permettant d’utiliser un véhicule ponctuellement (autopartage). Ces services peuvent en effet permettre à certains ménages de franchir le pas vers la "dé- (bi) motorisation" et, ainsi, limiter la place dévolue à la voiture en ville.

Un projet européen pour identifier les leviers d'aménagement

Le projet européen Reallocate, lancé en mai 2023 pour quatre ans et financé par le programme Horizon Europe avec un budget de 12 millions d’euros, a pour objectif d’identifier les leviers et nouvelles pratiques d’aménagement pour favoriser les mobilités durables en apaisant les villes. Ce projet vise à repenser l’aménagement des rues et des espaces publics afin d’engager nos villes vers un modèle de mobilités mieux adapté aux changements climatiques et aux modes actifs et durables. 

Dix métropoles de dix pays européens (Barcelone, Bologne, Budapest, Göteborg, Heidelberg, Lyon, Tampere, Utrecht, Varsovie, Zagreb) se sont regroupées afin de bénéficier de l’appui mutualisé d’un consortium de partenaires européens (université, établissements publics dont le Cerema, entreprises), chacun expert dans des domaines complémentaires.

3/ Partager l'espace public avec l'approche temporelle

Fermeture temporaire d'une rue d'école / Cerema

Les collectivités font souvent face à des choix complexes pour aménager leur territoire, surtout dans les rues où l’espace est limité. Une solution consiste à repenser le partage de l’espace public, non plus seulement de manière "spatiale", mais aussi en jouant sur les temps d’usage, pour rendre l’aménagement adaptable aux besoins selon les moments de la journée ou de l’année. Il existe différentes possibilités d’aménagement en matière de partage temporel :

  • le changement temporel de statut zonal d’une rue ou d’un ensemble de rues : citons par exemple des rues fermées aux heures d’entrée/sortie devant les écoles, ou pendant certaines saisons (tourisme) ;
  • le partage temporel de voies de circulation : par exemple, un couloir de bus (en heures de pointe) peut également servir au stationnement (en heures creuses ou de nuit) ;
  • la gestion temporelle du stationnement : par exemple, du stationnement de bus scolaire durant l’année dédié aux voitures l’été.

Certains modes de partage temporel des espaces publics sont déjà d’utilisation courante pour réduire le trafic en centre-ville, promouvoir les modes actifs, faciliter la circulation des transports en commun et améliorer le cadre de vie et la sécurité des usagers.
Pour aller plus loin, les collectivités locales peuvent aussi mettre en place des politiques temporelles pour tenter de réguler la complexité croissante des temps de vie individuels et collectifs. Elles sont mises en œuvre par des services dédiés, les "bureaux des temps". 

En voici quelques exemples : 
  • favoriser le télétravail, y compris en décalant l’arrivée au bureau après ou avant les heures de pointe,
  • décaler les horaires pour lisser les heures de pointe et réduire la congestion sur la route ou dans les transports
    collectifs ;
  • déployer des espaces de coworking ou des tiers-lieux pour réduire les déplacements de leurs usagers, notamment dans les territoires les moins denses
  • renforcer le "chrono-aménagement" en cherchant à rapprocher les lieux de résidence et d’activité des populations
  • s’appuyer enfin sur des mesures de management de la mobilité pour changer durablement les comportements de mobilité.

Accompagner le changement modal

Les Rencontres nationales du management de la mobilité (RNMM) qui ont eu lieu les 18 et 19 juin 2024 à Lyon, consacrées au rôle du management de la mobilité pour décarboner les mobilités, ont souligné l’importance des mesures d’accompagnement pour convaincre les habitants de changer de mode de déplacement. Des exemples de conseils en mobilité innovants ont ainsi été mis en avant, notamment à travers un échange croisé des métropoles de Lyon, Strasbourg et Paris. 

Ces actions, basées notamment sur des
entretiens personnalisés et systématiques, visent en particulier à aider les populations, notamment issues de quartiers défavorisés, à s’approprier des solutions alternatives – transports en commun, vélo… – dans le cadre des ZFE notamment. Les RNMM sont ainsi le lieu privilégié d’échanges entre praticiens et chercheurs impliqués dans la mise en œuvre des politiques de maîtrise de la demande de mobilité.